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Restructuration et respect de la C.C.T. n° 109

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 18 mai 2021, R.G. 19/3.392/A

Mis en ligne le mardi 11 janvier 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 18 mai 2021, R.G. 19/3.392/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 18 mai 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) reprend les exigences de motivation de la C.C.T. n° 109 lors de la communication des motifs et alloue l’amende civile dès lors que ceux-ci sont vagues. S’agissant d’une « restructuration », le lien entre le motif et le licenciement n’étant pas avéré, l’indemnité est due.

Les faits

Une employée d’une société immobilière, engagée en 2005 comme secrétaire de direction et ayant été rapidement promue au poste de directrice adjointe, est en incapacité en 2019, pendant deux mois, période suivie de congés annuels.

Depuis le début de son absence, une intérimaire a été engagée aux fins de la remplacer.

Lors de la reprise du travail, l’employée est licenciée, et ce au motif de restructuration. Il est exposé dans la lettre de licenciement que le poste qu’elle occupe n’a plus de raison d’être et qu’il ne sera plus pourvu à l’avenir. Une indemnité compensatoire de préavis lui est annoncée et est rapidement payée.

Les motifs précis du licenciement sont demandés dans le délai légal et s’ensuivent de nombreux échanges entre les parties.

Une procédure est finalement introduite, l’intéressée demandant un ajustement de l’indemnité compensatoire de préavis et autres sommes (pécule de vacances, prime de fin d’année, etc.) et, en ce qui concerne la C.C.T. n° 109, d’une part l’amende civile et d’autre part l’indemnité elle-même.

La décision du tribunal

Sur le complément d’indemnité compensatoire de préavis, le tribunal réexamine les éléments constitutifs de la rémunération de base et procède au réajustement des sommes dues à ce titre.

Pour ce qui est des deux chefs de demande relatifs à la C.C.T. n° 109, le tribunal reprend certains principes guidant la procédure de communication des motifs, dont la question des motifs eux-mêmes, qui doivent être communiqués au travailleur à sa demande.

Ceux-ci doivent, pour le tribunal, être clairs et précis et permettre au travailleur d’apprécier le caractère raisonnable de son licenciement. Renvoi est fait à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 26 septembre 2017 (C. trav. Liège, div. Namur, 26 septembre 2017, J.T.T., 2018, p. 25). La cour du travail a considéré dans cette décision que rien n’interdit que la communication prenne la forme de la réponse à la question « motif précis du chômage » figurant sur le C4. En ce qui concerne la notion de motifs concrets, aucun formalisme particulier n’est imposé mais sont exclues les formules vagues, impersonnelles ou stéréotypées. Il doit s’agir de motifs réels et en lien avec le congé en cause.

Le tribunal rappelle une abondante doctrine à cet égard. En synthèse, les motifs concrets doivent dès lors (i) exclure les formules stéréotypées et les motifs vagues, abstraits ou théoriques, (ii) impliquer l’existence d’un motif réel et (iii) permettre au travailleur de saisir les raisons pour lesquelles il a été licencié et apprécier l’opportunité d’une contestation en justice.

En l’occurrence, a été visée une restructuration, et ce dans la lettre de rupture. La société y a précisé que le poste de directrice adjointe n’avait plus lieu d’être et que l’intéressée ne serait pas remplacée. Ce motif figure également sur le C4 (« restructuration de la société »).

Le tribunal constate que, dans son argumentation en justice, la société invoque des raisons financières et des difficultés économiques. Celles-ci n’ont cependant pas été citées dans la lettre de rupture et ne peuvent se déduire du terme « restructuration ». Il rappelle également que les termes vagues du type « réorganisation » ou « restructuration » sont généralement considérés comme n’étant pas suffisamment précis.

Par ailleurs, aucune explication n’est donnée quant à la manière dont la société va être restructurée ni les raisons pour lesquelles l’intéressée ne serait pas remplacée. Celle-ci n’était dès lors pas en mesure de vérifier la réalité du motif. Si des modifications sont intervenues au sein des sociétés gravitant autour de l’employeur, cette circonstance est insuffisante pour lui permettre de comprendre le motif de la rupture, d’autant que ceci était antérieur au licenciement.

Vu par ailleurs l’engagement d’une intérimaire lors du début de l’incapacité et le maintien de sa présence à la fin de cette période, l’employée devait pouvoir comprendre la situation.

L’amende civile est dès lors due.

Enfin, sur le caractère manifestement déraisonnable de la rupture, le tribunal rappelle qu’en vertu de la C.C.T. n° 109, il doit vérifier (i) si les motifs sont ou non en lien avec les motifs autorisés et, dans ce cadre, examiner l’exactitude de ces motifs et s’ils sont la cause réelle du licenciement, en d’autres termes le lien causal entre les motifs et le licenciement lui-même, et (ii) si l’exercice du droit de licencier est conforme à l’exercice de ce droit par un employeur normal et raisonnable. Il faut que le motif soit dès lors valable et raisonnable. Si le motif n’est pas établi, il n’est pas valable, ce qui fait que l’employeur doit établir son existence. Dès lors que le motif n’est pas avéré, le congé est non seulement illégal mais aussi déraisonnable.

En l’espèce, la société n’a pas communiqué valablement les motifs et doit dès lors fournir la preuve des motifs qu’elle invoque. La preuve de difficultés financières persistantes n’est pas rapportée. Le tribunal examine cependant s’il y a une « restructuration » et rappelle ici que deux éléments doivent, dans l’examen d’un tel motif, être établis, à savoir la restructuration elle-même mais également le lien causal entre celle-ci et le licenciement, lien causal qui n’est nullement avéré en l’espèce.

Pour ce qui est de la suppression de poste, la même conclusion s’impose, étant que la société ne prouve pas ses dires, étant que l’employée n’effectuait plus que des tâches administratives et que celles-ci ne justifiaient plus son poste de directrice adjointe.

Enfin, sur la question du remplacement, le tribunal rappelle la jurisprudence lorsque le licenciement est notifié lors du retour du travailleur : celui-ci n’est pas valablement motivé quand l’intention de l’employeur est en fait d’engager le travailleur remplaçant. Un rappel est ici fait notamment à la doctrine de M. DAVAGLE (M. DAVAGLE, « Le licenciement manifestement déraisonnable », Incapacité de travail et inaptitude au travail : droits et obligations de l’employeur et du travailleur, E.P.S., Kluwer, 2017 pp. 572-573).

Intérêt de la décision

Ce jugement rappelle les discussions intervenues d’une part au niveau général quant à la notion de motifs concrets de licenciement et d’autre part quant à la référence à une « restructuration ».

La jurisprudence rejette, dans son ensemble, que cette seule référence soit satisfaisante au sens de la C.C.T. n° 109, une « restructuration » devant d’abord être en lien causal avec le licenciement, étant qu’elle a dû entraîner celui-ci (et non en être la conséquence) et celle-ci pouvant par ailleurs viser tout type de situation dans l’entreprise, et non seulement l’hypothèse de difficultés financières ou de problèmes économiques.

L’on peut à cet égard notamment renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 12 février 2020, R.G. 2018/AL/781 – précédemment commenté), la cour ayant considéré que, lorsque l’employeur invoque un des trois motifs visés par l’article 8 de la C.C.T. n° 109 pour justifier un licenciement, elle doit exercer un contrôle strict de la réalité de ce motif (au contraire du contrôle de proportionnalité, qui est marginal). En l’espèce, l’employeur invoquait les nécessités de fonctionnement de l’entreprise en se basant sur une étude unilatérale qui n’était en réalité que le soutien méthodologique de son choix mais ne justifiait pas de la nécessité de le poser. La cour constate encore que la décision de licencier résulte de l’implémentation pure et simple d’un plan salarial qui prévoit deux possibilités : soit le travailleur accepte la nouvelle politique salariale, soit il est licencié avec préavis. Dès lors, la sanction postulée par la travailleuse, à savoir la sanction maximale de dix-sept semaines, se justifie.

De même, sur la question de savoir si la restructuration et/ou la réorganisation constitue(nt) un motif de licenciement, l’on lira le jugement du Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Dinant, 20 avril 2020, R.G. 18/521/A – également précédemment commenté). Pour le tribunal, en cas de restructuration et/ou de réorganisation, l’employeur doit établir le lien causal entre la réorganisation et ses conséquences sur le plan organisationnel et financier d’une part et le licenciement du travailleur de l’autre. À défaut, le licenciement n’est pas fondé sur des motifs économiques liés aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service et le travailleur a droit à une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.


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