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Personnel d’une mission diplomatique : droit au double pécule de vacances

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 juin 2021, R.G. 2018/AB/625

Mis en ligne le mardi 15 février 2022


Cour du travail de Bruxelles, 22 juin 2021, R.G. 2018/AB/625

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 juin 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le droit pour le personnel d’ambassade engagé localement de bénéficier de la loi belge en matière de pécules de vacances et reprend les règles en matière de prescription.

Les faits

Une employée est au service d’une délégation permanente étrangère (non européenne) à Bruxelles. Il s’agit de la délégation permanente auprès de l’Union européenne. Des contrats de travail sont signés depuis son entrée en fonction (1990), contrats annuels et renouvelés systématiquement.

En 2014, la délégation permanente est interpellée par l’Inspection sociale du SPF Emploi, vu le non-paiement du double pécule de vacances. L’employée sollicite, dans la foulée, la régularisation des arriérés. Parallèlement, la Commission des Bons Offices fait diverses démarches auprès de la délégation permanente, mais en vain.

Une procédure est entamée en septembre 2016, demandant le paiement non seulement des doubles pécules de vacances (ou dommages et intérêts en tenant lieu), mais également d’arriérés de rémunération pour des jours de congé ainsi que pour maintien illégal d’un régime de quarante heures par semaine.

L’Etat étranger se voit également demander de déclarer les arriérés à l’O.N.S.S., de payer les cotisations sociales et, au besoin, d’être condamné à ce faire sous peine d’astreinte.

La relation de travail ayant entre-temps pris fin, la procédure s’est poursuivie et le Tribunal du travail de Bruxelles a, par jugement du 8 mars 2018, condamné l’Etat au paiement d’arriérés de double pécules de vacances. Il a rejeté les demandes de l’employée pour les autres postes.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’Etat étranger demande à titre principal que la cour dise non fondée la demande originaire et, à titre subsidiaire, qu’elle limite la condamnation aux montants dus à partir de l’année 2012.

Quant à l’employée, elle sollicite la confirmation du jugement en ce qui concerne les montants alloués mais forme un appel incident sur les postes auxquels il n’a pas été fait droit. Elle demande également la capitalisation des intérêts à dater d’une part d’un commandement d’huissier datant du 6 juin 2018 et d’autre part de conclusions déposées devant la cour le 10 janvier 2019.

La décision de la cour

La cour constate que l’appel incident ne concerne pas le poste relatif à la demande de condamnation de l’Etat à déclarer les sommes dues et à payer les cotisations correspondantes.

Elle acte également que la validité de la procédure n’a pas été contestée, l’Etat n’invoquant par ailleurs pas d’immunité de juridiction ou d’exécution et n’ayant pas contesté la compétence du tribunal du travail et l’application de la loi belge.

Elle en vient ainsi à la question des arriérés de pécules de vacances, ceux-ci portant sur les années 1991 à 2016.

Ce droit, tiré de l’article 38, 2°, de l’arrêté royal du 30 mars 1997 déterminant les modalités générales d’exécution des lois relatives aux vacances annuelles des travailleurs salariés, n’est pas contesté dans son principe, l’Etat invoquant cependant un moyen de prescription.

La cour rappelle que le non-paiement du double pécule de vacances est une infraction pénale sanctionnée par l’article 162, alinéa 2, 3°, du Code pénal social, et ce depuis le 1er juillet 2011. Précédemment, l’infraction était visée par l’article 54, 2°, des lois relatives aux vacances annuelles des travailleurs salariés coordonnées le 28 juin 1971.

Le délai de prescription est de cinq ans. Le non-paiement du pécule de vacances est une infraction réglementaire, étant qu’elle ne requiert pas un élément moral particulier, la simple transgression matérielle et l’imputabilité suffisant.

Il s’agit d’une infraction instantanée et le délai de prescription de l’action prend cours dès la commission de celle-ci. Lorsqu’il y a une même unité d’intention délictueuse, les infractions commises peuvent par contre constituer une infraction continuée ou un délit collectif. Dans ce cas, le délai de prescription ne commencera qu’à partir du dernier des faits commis, pourvu qu’aucun d’entre eux ne soit séparé du suivant par un temps plus long que le délai de prescription applicable (sauf interruption ou suspension de la prescription). La cour renvoie ici à de nombreux arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 7 avril 2008, n° S.07.0058.F).

Pour que le juge du fond puisse admettre une unité d’intention délictueuse, il doit pouvoir constater que les différents faits constituent la manifestation successive de la même intention. Comme l’a souligné la doctrine (F. KEFER, « Les concours d’infractions en droit pénal social », Le droit pénal social et les contrats de travail spéciaux, Larcier, Bruxelles, 1997, p. 813), l’unité d’intention s’apparente ainsi à une identité de mobile, chacun des actes prenant une place déterminée dans le système conçu par l’auteur pour réaliser sa fin.

En l’espèce, la cour constate que l’Etat étranger plaide avoir agi par ignorance, étant que le droit belge trouvait à s’appliquer en matière de vacances annuelles et qu’il s’agit d’une erreur de droit « acceptable », vu le contexte international de la relation de travail. Subsidiairement, il plaide l’absence d’unité d’intention délictueuse, aux fins de limiter la condamnation aux arriérés à une période de cinq ans.

La cour rejette ces arguments, constatant d’une part qu’une erreur de droit n’est pas crédible, et ce d’autant que figurent au dossier des interpellations précises et réitérées, et de longue date, concernant la question. Celles-ci remontent à l’année 1986 et ont été réitérées par divers intervenants. Par ailleurs, l’Etat étranger dispose de l’appui de la Direction du Protocole du SPF Affaires étrangères et, en outre, d’un secrétariat social. Son erreur ne peut être tenue pour invincible.

L’infraction est dès lors établie : l’infraction pénale est imputable à l’employeur et son élément moral peut être déduit du simple fait matériel commis.

C’est l’inertie de l’Etat étranger face aux différentes interpellations qui lui ont été adressées qui révèle la même unité d’intention, étant que celui-ci n’a pas voulu, sciemment et de manière persistante, se conformer à la loi belge.

Le délai de prescription de cinq ans a dès lors pris cours lors du dernier fait punissable, étant en l’occurrence le non-paiement du double pécule de vacances de l’année 2016. L’action, mue par citation en septembre de cette année, n’est pas prescrite et la cour accueille la demande, acceptant, sur le plan des montants, les décomptes de l’employée.

Elle va par ailleurs confirmer le jugement sur la question des arriérés de rémunération pour jours de congé (légaux et conventionnels) non pris. Cependant, pour ce qui est du maintien du régime hebdomadaire à quarante heures, la cour constate qu’aucun règlement de travail n’est produit (et même n’aurait été établi). Les horaires de travail ne sont pas précisés, alors que les contrats de travail se réfèrent à une durée hebdomadaire de quarante heures. L’ex-employeur n’établissant pas que l’intéressée n’aurait pas presté les heures contractuellement convenues, elle fait en conséquence droit à la demande. Elle accueille également la demande d’anatocisme.

Intérêt de la décision

Cet arrêt confirme l’application au personnel d’ambassade engagé localement de la législation belge en matière de vacances annuelles. Si le droit n’était, en fin de compte, pas contesté par l’Etat étranger, celui-ci s’est retranché derrière un moyen de prescription pour limiter le montant de la condamnation.

La cour a rappelé dans cet arrêt la distinction entre l’infraction momentanée (ce qu’est en principe le non-paiement de la rémunération – Cass., 22 juin 2015, n° S.15.0003.F), cette infraction pouvant être une infraction continuée (ou délit collectif) si le juge constate une unité d’intention délictueuse.

L’on notera qu’est, à cet égard, très généralement retenue la persistance de l’employeur au maintien de sa position de refus de paiement malgré la demande formée par le travailleur ou relayée par des institutions ou intervenants externes. L’on soulignera ici le rôle de premier plan joué par la Commission des Bons offices créée au sein du SPF Emploi pour le personnel occupé dans les missions diplomatiques. Cette Commission a été créée par une circulaire ministérielle du 23 mai 2013 et réunit des représentants de diverses institutions et administrations concernées par la problématique des conditions de travail du personnel engagé dans les missions diplomatiques.


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