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Prestations aux personnes handicapées : étendue de la subrogation de l’Etat belge

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 juin 2021, R.G. 2020/AB/409

Mis en ligne le lundi 28 février 2022


Cour du travail de Bruxelles, 7 juin 2021, R.G. 2020/AB/409

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 juin 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles de cumul lorsqu’une indemnisation est intervenue dans un autre régime : pour déterminer le montant des allocations (allocation de remplacement de revenus ou allocation d’intégration), il y a lieu uniquement de tenir compte de l’indemnité destinée à compenser la limitation de capacité de gain ou la réduction d’autonomie.

Les faits

Une assurée sociale, bénéficiant depuis 2003 d’une allocation de remplacement de revenus et d’une allocation d’intégration (catégorie 3), est victime d’un grave accident en 2007. En 2011, elle est reconnue atteinte à partir de la date de l’accident d’une réduction de capacité de gain à un tiers de ce qu’une personne valide est en mesure de gagner sur le marché du travail ainsi que d’une réduction d’autonomie de 17 points.

L’année suivante, elle est informée que des avances sur les arriérés d’allocations lui sont octroyées. L’allocation d’intégration est de catégorie 5 et le calcul des deux allocations (allocation de remplacement de revenus et allocation d’intégration) lui est donné. Vu les revenus du partenaire, l’allocation de remplacement de revenus n’est pas payée.

Une seconde décision intervient le même jour, une révision d’office ayant également été entamée, et ce en raison de sa sortie d’une institution.

Une troisième décision liée à une autre révision d’office (séparation de fait) lui donne d’autres montants au titre d’avances sur les allocations à partir du 1er juillet de cette année.

L’Etat belge informe parallèlement la S.N.C.B. de la perception d’une allocation au titre d’avance sur les sommes à payer par celle-ci suite à l’invalidité subie en tant que victime d’un accident. L’Etat belge informe ainsi la S.N.C.B. de sa subrogation jusqu’à concurrence des avances versées et l’invite à communiquer le montant de l’indemnisation avant d’effectuer le versement.

De nouvelles décisions interviendront en 2015 vu deux révisions d’office, étant d’une part un divorce en 2013 et d’autre part un changement dans la composition de ménage (mise en ménage) en 2014.

Le Tribunal de police du Brabant wallon condamne en 2017 la S.N.C.B. à payer des indemnités à l’intéressée et l’Etat belge reçoit, à l’initiative du conseil de celle-ci, copie du jugement. L’avocat précise que rien n’a été accordé pour le dommage économique au regard de l’état antérieur, de telle manière que les allocations de remplacement de revenus paraissent justifiées. Les allocations d’intégration versées par l’Etat belge ont par ailleurs été déduites, tant pour le passé que pour le futur, du besoin d’assistance, l’intéressée devant ainsi continuer à en bénéficier.

Une nouvelle révision d’office sera entamée et justifiera une décision en août 2019 (fin de la mise en ménage), décision qui va supprimer les allocations vu l’absence de réponse à une demande de renseignements complémentaires (formulaire 223). Un indu de plus de 8.000 euros, correspondant à la dernière période, est réclamé.

Plusieurs décisions sont de nouveau prises en septembre 2019, clôturant les révisions d’office précédentes. Après avoir réclamé un recouvrement, l’Etat belge confirme l’annulation de la dette et accorde cependant un arriéré modique (640 euros) pour la période de 2013 à 2019.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre).

La décision du tribunal

Le tribunal met à néant les décisions de 2019 dans leur totalité et ordonne à l’Etat belge de prendre de nouvelles décisions en faisant interdiction tant pour la détermination de l’allocation de remplacement de revenus que l’allocation d’intégration de porter en compte aucune des indemnités converties en rente allouées à la demanderesse par le jugement rendu par le tribunal de police. Il ordonne que de nouvelles décisions soient notifiées dans le délai d’un mois à partir du prononcé du jugement.

L’Etat belge interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine la contestation par un renvoi à l’article 7 de la loi du 27 février 1987 sur les allocations aux personnes handicapées. Elle en rappelle les termes, dont le paragraphe 4, qui est relatif à l’octroi des avances sur prestations et indemnités. Cette question est également visée à l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière d’allocations aux personnes handicapées, qui prévoit la possibilité d’obtenir des avances sur lesdites prestations. Intervient également l’arrêté royal du 6 juillet 1987 pour ce qui est de la liquidation sous forme de capitaux ou de valeur de rachat, le texte prévoyant de convertir la contre-valeur de ceux-ci en prestations périodiques, et ce qu’elle soit imposable ou non, à concurrence de la rente viagère résultant de cette conversion suivant un pourcentage établi dans un tableau joint à l’arrêté.

La cour rappelle que le législateur oblige la personne handicapée à faire valoir ses droits d’une part aux prestations et indemnités auxquelles elle peut prétendre en vertu d’une autre législation et qui trouvent leur fondement dans une limitation de la capacité de gain ou une réduction d’autonomie ou dans les articles 1382 et suivants du Code civil. Elle doit également faire valoir ses droits à d’autres prestations sociales (maladie et invalidité, chômage, accident du travail, maladie professionnelle, pensions, garantie de revenus aux personnes âgées et revenu garanti pour celles-ci).

Pour la cour, l’idée sous-jacente est de tenir compte de ces prestations et indemnités dans le calcul des revenus à prendre en compte et venant en déduction des allocations accordées dans ce secteur. Pour ce qui est des revenus, il est tenu compte des revenus annuels imposables globalement et distinctement pris en considération pour l’I.P.P. ainsi que des revenus imposables distinctement se rapportant à l’année de référence de l’année -2. Si une prestation visée par la loi est liquidée sous forme de capitaux ou de valeur de rachat, il y a lieu de convertir en rente viagère déterminée sur la base de la conversion prévue par le texte et la cour rappelle que le fondement de celui-ci a été reconnu par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 novembre 2017 (Cass., 20 novembre 2017, n° S.17.0006.N). L’article 8bis de l’arrêté royal vise une imputation dès la date de prise de cours du droit à l’allocation.

Pour la cour, l’Etat belge ne peut, vu ce texte, tenir compte de capitaux se rapportant à une période antérieure à la date de prise de cours du droit à l’allocation (celle-ci étant en principe le premier jour du mois qui suit la demande). Renvoi est encore fait à un arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2003 (Cass., 5 mai 2003, n° S.02.0124.N), qui a validé cette interprétation.

Cette règle de non-cumul n’est pas propre à la matière des allocations aux personnes handicapées mais se retrouve dans d’autres législations et la cour renvoie ici à la législation sur les accidents du travail et à l’assurance maladie. Dans un arrêt du 22 septembre 2008 (Cass., 22 septembre 2008, n° C.07.0531.N), rendu en matière d’assurance maladie-invalidité, la Cour de cassation a indiqué que la règle de non-cumul a pour objet d’éviter d’indemniser deux fois un même dommage ou partie de dommage et que le droit de subrogation de l’organisme qui a octroyé des avances est limité et ne peut s’exercer que sur les prestations octroyées concernant un même dommage.

Cette jurisprudence a inspiré le législateur dans le secteur des allocations aux personnes handicapées et, dans un arrêt récent (Cass., 7 octobre 2019, n° S.18.0061.N), la Cour de cassation a décidé que, pour déterminer le montant des allocations de remplacement de revenus ou d’intégration, il y a lieu uniquement de tenir compte de l’indemnité destinée à compenser la limitation de la capacité de gain ou la réduction d’autonomie. En conséquence, si une personne handicapée, victime d’un accident impliquant un tiers responsable, se voit allouer en justice une indemnisation en droit commun sous forme d’un capital censé représenter le dommage lié au préjudice économique subi durant une certaine période, cette indemnisation ne peut servir à diminuer le montant des allocations de remplacement de revenus accordées pour une période antérieure, quand bien même l’indemnisation de droit commun allouée trouve son fondement dans une limitation de la capacité de gain au sens de l’article 7, § 2, de la loi.

La cour du travail souligne encore que le cumul que le législateur a voulu interdire dans les limites ci-dessus ne peut concerner que le capital versé par l’assureur du tiers responsable et l’allocation de remplacement de revenus se rapportant à une même période.

La cour examine, dès lors, la position de l’Etat belge quant aux deux allocations.

Dans la mesure où il est admis par celui-ci que l’intéressée est atteinte d’une réduction de capacité de gain à un tiers de ce qu’une personne valide est en mesure de gagner sur le marché du travail, et ce en raison d’un trouble de la vue non susceptible d’amélioration, si la personne handicapée a l’obligation de faire valoir ses droits aux prestations notamment en cas de responsabilité sur pied des articles 1382 et suivants du Code civil, cette obligation doit être appréciée d’une manière raisonnable. L’on ne peut contraindre l’intéressée à poursuivre une procédure contre la S.N.C.B. afin de réclamer un préjudice économique éventuel sur lequel le tribunal de police a réservé à statuer et dont le résultat est considéré en l’espèce hautement aléatoire, compte tenu de l’importance de l’état antérieur invoqué par la S.N.C.B. durant l’expertise.

L’Etat belge ne peut dès lors considérer que l’intéressée n’a pas droit à une allocation de remplacement de revenus (à partir du divorce). La cour souligne encore que les provisions allouées n’ont concerné que les autres postes du dommage subi par l’intéressée (et non le préjudice économique).

Examinant par ailleurs la question de l’allocation d’intégration, la cour constate que les sommes allouées par le tribunal de police ne visent pas la réduction d’autonomie de 13 points qui a justifié l’octroi de l’allocation d’intégration de catégorie 3 mais uniquement l’augmentation de la réduction d’autonomie de 13 points (initiale) à 17 points, soit 4 points en plus, ce qui permet à l’intéressée de réunir les conditions médicales pour revendiquer une allocation d’intégration de catégorie 5. Elle peut en tout cas réclamer l’allocation de catégorie 3 sans tenir compte des sommes versées par la S.N.C.B., puisque celles-ci n’indemnisent pas son état antérieur et ne couvrent dès lors pas le même « dommage » que celui qui donnait droit à une allocation d’intégration.

Intérêt de la décision

L’espèce examinée par la cour du travail dans cet arrêt renvoie à un arrêt précédent (C. trav. Bruxelles, 24 juin 2020, R.G. 2018/AB/814 – précédemment commenté). La question tranchée portait sur le point de savoir si l’Etat belge pouvait tenir compte, au titre de revenus venant en déduction de l’allocation de remplacement de revenus pour une période passée, d’une rente viagère alors que le capital versé par l’assureur, converti en rente viagère, se rapportait à une période différente.

La cour du travail avait déjà renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2008 cité ci-dessus en matière de cumul AMI, où la Cour suprême avait rappelé l’interdiction d’indemniser deux fois un même dommage ou partie de dommage ainsi que la limitation du droit de subrogation de l’organisme qui a octroyé des avances : celui-ci ne peut s’exercer que sur les prestations octroyées concernant un même dommage.

En matière de prestations aux personnes handicapées, il a été rappelé qu’un arrêt plus récent est intervenu en date du 7 octobre 2019 et que celui-ci a décidé que, pour déterminer le montant des allocations (allocation de remplacement de revenus ou allocation d’intégration), il y a lieu uniquement de tenir compte de l’indemnité destinée à compenser la limitation de capacité de gain ou la réduction d’autonomie.


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