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Demande d’allocation d’aggravation suite à un accident du travail dans le secteur public : caractère contraignant de la décision du MEDEX ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 17 août 2021, R.G. 2020/AU/47

Mis en ligne le mardi 15 mars 2022


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 17 août 2021, R.G. 2020/AU/47

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 août 2021, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) répond à la question du pouvoir d’appréciation de l’autorité (ou du juge) sur l’évaluation du taux d’incapacité permanente faite par le MEDEX dans le cadre d’une demande d’allocation d’aggravation après le délai de révision : la cour du travail répond que ni le juge ni l’autorité ne peuvent prendre une décision médicale moins favorable que celle du MEDEX.

Les faits

Un travailleur du secteur public a introduit une procédure contre son employeur (administration communale).

Il avait, précédemment, formé une demande tendant à la reconnaissance de l’aggravation de l’incapacité permanente consécutive à un accident du travail dont il avait été victime le 13 décembre 2005. Les séquelles de cet accident ont été fixées en son temps, une incapacité permanente partielle de 10% ayant été retenue. Elle concerne des fractures du pied droit. La demande d’aggravation a été formée le 5 janvier 2018, le médecin-traitant de l’intéressé faisant valoir un taux aggravé de 35%.

Le MEDEX retint une aggravation et, suite à un appel introduit par la victime, le pourcentage aggravé fut fixé à 15%. Il s’agit de la position définitive du MEDEX, qui a retenu une majoration significative de l’impotence fonctionnelle douloureuse chronique du pied droit, des radiographies et des examens ayant été réalisés en 2017. Pour le MEDEX, bien que cette impotence fonctionnelle se répercute de manière légère sur la marche, celle-ci reste encore d’intensité moyenne, ce qui justifie le taux accordé.

Suite à l’action introduite, un expert fut désigné par le Tribunal du travail de Liège (division Arlon). L’expert désigné évalua l’incapacité permanente à 10%, rappelant cependant l’évaluation du MEDEX à 15%. Il se fonde sur la similitude des examens cliniques réalisés à dix ans d’intervalle ainsi que sur son propre examen, ainsi que sur la quasi-identité des plaintes.

Le tribunal du travail statua par jugement du 23 juin 2020, fixant l’incapacité à partir du 15 janvier 2018 à 15%.

Un appel a été introduit par l’employeur.

Position des parties devant la cour

L’employeur considère que la décision médicale du MEDEX n’est pas contraignante dans son minimum dans le cadre d’une demande en révision, au contraire de l’évaluation primaire. Il se réfère également aux articles 11, 13 et 14 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (relatifs à l’action en révision).

Quant à l’intimé, il soulève l’irrecevabilité de l’appel, au motif que la Commune n’a pas introduit un appel incident mais un moyen présenté en défense de sa thèse. Il rappelle que les parties ont sollicité d’un commun accord l’entérinement du rapport d’expertise et que, en application de l’article 1043 du Code judiciaire, un jugement d’accord ne peut faire l’objet d’un appel. Subsidiairement, se fondant sur l’article 8 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (qui délègue l’appréciation du taux d’incapacité permanente partielle à celui-ci et sa décision liant également le tribunal), il conclut au non-fondement de l’appel, considérant que l’employeur est tenu par la position médicale du MEDEX.

La décision de la cour

La cour conclut à la recevabilité de l’appel, le jugement dont appel n’étant pas un jugement d’accord au sens de l’article 1043 du Code judiciaire (qui permet aux parties de demander au juge d’acter l’accord qu’elles ont conclu sur la solution du litige dont il est régulièrement saisi). En demandant conjointement l’entérinement du rapport d’expertise, les parties ne se sont en effet pas expliquées sur la question juridique soulevée par l’expert et sur laquelle il n’était pas amené à donner un avis. Il ne pouvait donc y avoir accord que sur la conclusion hybride de l’expert. La branche médico-légale des conclusions de celui-ci a été adoptée par le tribunal, qui a ainsi implicitement tranché la question. La cour rappelle encore le caractère d’ordre public de la loi, un recours pouvant être introduit avec pour objet de discuter d’une règle d’ordre public.

Pour ce qui est du fond, elle fait un examen fouillé de la question posée, s’agissant de l’obligation pour le juge de tenir compte du taux du MEDEX, dans le cadre d’une action en aggravation.

Les dispositions légales sont reprises, étant celles de la loi du 3 juillet 1967 et celles de l’arrêté royal applicable au personnel communal, à savoir celui du 13 juillet 1970. La cour reprend particulièrement l’article 9, § 3, al. 1er) de celui-ci, qui concerne le rôle du service médical. Ces dispositions incluent l’hypothèse de la révision (de même que celle de la modification de la nécessité d’aide de tiers), prévoyant qu’au plus tard dans les trois mois de la demande, le service médical examine la victime et maintienne ou modifie le pourcentage d’incapacité permanente. Cette décision doit être notifiée immédiatement à l’autorité et celle-ci doit répercuter la décision du service médical vers la victime. La proposition de l’autorité adressée à la victime doit prévoir, en vertu de l’article 14, le maintien, l’augmentation, la diminution ou la suppression de la rente et contenir d’autres mentions légales.

En cas d’aggravation après l’expiration du délai de révision, une demande peut être faite en vue de modifier le taux, pour autant que celui-ci, après l’aggravation, soit de 10% au moins. L’arrêté royal prévoit (article 5bis, § 5) le mode d’introduction de la demande ainsi que les délais de l’instruction administrative.

Pour la cour, la question est de savoir si, s’agissant d’une demande d’allocation d’aggravation (et elle note ici qu’il s’agit d’une telle demande et non d’une demande en révision, ainsi que ceci figure erronément dans les conclusions de l’administration communale), l’autorité est tenue par le minimum retenu par le MEDEX, comme en évaluation primaire, l’article 5bis ne prévoyant pas que l’autorité ne peut qu’augmenter le pourcentage de l’incapacité permanente décidé par le MEDEX.

En cas de fixation des séquelles, l’employeur est lié, de même que le juge, la situation de la victime ne pouvant qu’être améliorée (la cour renvoyant notamment à la doctrine de S. REMOUCHAMPS, « Le rôle du MEDEX », Les accidents du travail dans le secteur public, Anthémis, 2015, pp. 268 et s., notamment), ainsi qu’à plusieurs arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 13 octobre 2014, n° S.13.0121.N). Ceci figure à l’article 9, mais non à l’article 5bis, § 5.

A la question ainsi posée, qui est de savoir si l’autorité (ainsi que le juge) peut prendre une autre décision médicale moins favorable que celle retenue par le MEDEX, la cour répond immédiatement par la négative

Pour ce, elle renvoie, outre à la doctrine ci-dessus, aux missions du MEDEX ainsi qu’au Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 13 juillet 1970, qui prévoit que l’autorité est liée par la décision du service médical, un parallèle étant clairement fait entre la procédure d’évaluation primaire et la procédure d’évaluation en révision. La cour souligne que la procédure de demande d’allocation d’aggravation est ultérieure et ne pouvait dès lors pas être visée en tant que telle par ce Rapport au Roi.

Renvoi est encore fait à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 mai 2013 (C. const., 8 mai 2013, n° 62/2013 - qui concerne du personnel PJPol soumis à l’arrêté royal du 30 mars 2001) et à la doctrine de L. MASSAUX (L. MASSAUX, « Les rapports de l’employeur public et de la victime avec le ‘réassureur’ », Les accidents du travail dans le secteur public, cité, pp. 328 et s.), de même qu’à celle de F. LAMBRECHTS (F. LAMBRECHTS, « La déclaration, la procédure administrative et la procédure en révision », Les accidents du travail dans le secteur public, cité, pp. 127 et s.).

En outre, dans un arrêt du 11 mai 2020 (Cass., 11 mai 2020, n° S.19.0045.N – rendu dans le cadre de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 relatif au personnel de l’Etat fédéral et des entités fédérées), la Cour de cassation a estimé que, même en l’absence de texte explicite, l’autorité ne peut qu’augmenter le pourcentage de l’incapacité permanente. Pour la cour du travail, une lecture plus stricte pourrait amener à considérer que l’autorité n’a aucun pouvoir d’appréciation, même à la hausse, mais, en toute hypothèse, le texte exclut une diminution du pourcentage dès lors que le pouvoir d’appréciation de l’autorité est, par arrêté royal, dûment fondé sur la loi, délégué au service médical, ce qui rend bien son intervention contraignante et non seulement consultative (12e feuillet). L’interprétation de la loi suggérée par la Commune n’est dès lors pas retenue par la cour.

La cour conclut à la confirmation du jugement, étant que le taux revu doit être fixé à 15%.

Intérêt de la décision

La question posée aux juridictions du travail dans cette affaire ne manque pas d’intérêt et, dans l’arrêt commenté, la Cour du travail de Liège y a longuement répondu en droit.

La question de savoir si l’autorité employeur et les juridictions du travail (après celle-ci) ont un pouvoir d’appréciation quant au taux retenu par le MEDEX a régulièrement amené des litiges et la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts quant au caractère contraignant de la décision du MEDEX ou de l’OML. L’on peut à cet égard renvoyer à plusieurs arrêts précédemment commentés, étant ceux du 13 octobre 2014 (n° S.13.0121.N), du 7 mars 2016 (n° S.15.0053.N) et 11 mai 2020 (n° S.19.0045.N).

Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation a confirmé que l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967 dispose que toutes les contestations relatives à son application, y compris celles qui concernent la fixation du pourcentage de l’incapacité de travail permanente, sont déférées à l’autorité judiciaire compétente pour connaître des actions relatives aux indemnités prévues par la législation sur la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles. La décision du MEDEX est contraignante pour le ministre, dans la mesure où elle reconnaît un taux d’invalidité permanente, celui-ci ne pouvant qu’augmenter le pourcentage ainsi fixé. En conséquence, le tribunal du travail qui tranche un litige relatif au pourcentage d’invalidité permanente d’un membre du personnel d’une administration fédérale, telle que visé à l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967, ne peut, pour cette incapacité permanente, retenir un pourcentage inférieur à celui fixé par le MEDEX. L’on pourra utilement se référer sur cet arrêt aux conclusions de M. l’Avocat général VANDERLINDEN publiées sur Juportal.

La question des pouvoirs de l’autorité (et du juge) dans des procédures ultérieures à celle de l’évaluation primaire ne semble pas avoir été abondamment discutée.

Si la question de la révision elle-même est prévue dans le texte de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, la question restait entière pour la demande d’aggravation survenue à l’expiration du délai de révision.

La lacune relative à la possibilité d’introduire une demande d’aggravation après ce délai n’a été comblée que par une loi du 17 mai 2007. Il a fallu, ensuite, attendre les arrêtés royaux venus compléter les textes existants. Pour l’arrêté royal du 13 juillet 1970, la cour du travail a précisé que la disposition est l’article 5bis. Celui-ci a été introduit par un arrêté royal du 26 novembre 2012 seulement et comme relevé, il est muet quant au caractère contraignant de la décision du MEDEX. L’on pourra cependant ajouter que la ratio legis impose de retenir la même solution que pour l’évaluation primaire et celle en revision, aucun élément ne plaidant en faveur d’une autre option prise par le législateur.


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