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Réparation de l’accident du travail : interdiction de cumul

Commentaire de Cass. (1re chambre), 1er octobre 2021 n° C.19.0307.F

Mis en ligne le mardi 29 mars 2022


Cour de cassation (1re chambre), 1er octobre 2021, n° C.19.0307.F

Terra Laboris

La Cour de cassation reprend, dans un arrêt du 1er octobre 2021, sa jurisprudence en matière de cumul de la réparation en cas d’accident du travail : l’interdiction de cumul de la réparation en loi avec une autre réparation s’applique même si la nécessité de fournir des efforts accrus n’a pas été prise en considération lors de la fixation des indemnités d’accident du travail.

Faits de la cause

M. P.P. a subi un accident alors qu’il était au travail pour un employeur public assuré par la S.A. ETHIAS qui a pris en charge les indemnités d’incapacité permanente.

M. P.P. avait, parallèlement à son emploi dans le secteur public, une activité de musicien et d’ingénieur du son à laquelle il a été contraint de renoncer suite à l’accident.

En droit commun, AXA BELGIUM est l’assureur tenu de réparer sur la base de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs (usagers faibles). C’est ce volet de la réparation qui est en cause en l’espèce.

La décision de fond

Le jugement soumis à la censure de la Cour de cassation a été prononcé le 9 décembre 2015 par le Tribunal de première instance du Brabant wallon statuant en degré d’appel et comme juridiction de renvoi ensuite d’un arrêt de la Cour du 25 janvier 2008, en cause tant de la victime que d’ETHIAS contre AXA.

Nous ne disposons pas du jugement ni de la requête en cassation. Le commentaire est donc fondé sur le seul arrêt.

Les dispositions critiquées du jugement

1.
Le tribunal condamne AXA à payer à la victime des indemnités de 43.010 euros et 64.276,50 euros pour le dommage matériel permanent consistant dans la nécessité pour la victime de fournir des efforts accrus pour accomplir ses tâches professionnelles normales auprès de l’employeur public, dans le passé et dans le futur.

Le tribunal a donc reconnu l’existence d’efforts accrus et décidé qu’il ressortait des pièces du dossier qu’ETHIAS n’avait pas indemnisé ce poste du dommage matériel permanent, ce dommage spécifique se distinguant du dommage professionnel matériel couvert par la loi du 3 juillet 1967.

2.
Le tribunal condamne AXA au paiement d’une indemnité de 100.000 euros pour la perte d’une chance de revenus supplémentaires en qualité de musicien professionnel et d’ingénieur du son, débutée, en dehors du secteur public, en parallèle avec son activité professionnelle, considérant que l’obligation pour la victime de renoncer à ces activités est en relation avec l’accident.

L’arrêt de la Cour

1.
Sur les efforts accrus, la Cour rappelle l’interdiction de cumul des indemnités accordées sur la base de la loi du 3 juillet 1967 et de la réparation en droit commun (article 14, § 2, alinéa 2, de la loi sur les accidents du travail dans le secteur public et article 14bis en cas de réparation sur la base de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989). Cette interdiction ne vaut que pour le même dommage et ne s’étend pas au dommage dont la réparation n’est pas couverte par la loi du 3 juillet 1967.

« Le dommage matériel subi par la victime en raison de la réduction permanente de sa capacité de travail consiste en la diminution de sa valeur économique sur le marché du travail et aussi, éventuellement, en la nécessité de fournir des efforts accrus pour accomplir ses tâches professionnelles normales ».

Cette règle s’applique même quand les indemnités d’incapacité permanente ont été calculées sans tenir compte de la nécessité de fournir des efforts accrus. Cette circonstance ne peut donc justifier légalement la décision que la nécessité pour M. P.P. de fournir des efforts accrus pour accomplir ses tâches professionnelles normales auprès de son employeur public ne concerne pas le dommage matériel professionnel couvert par la loi du 3 juillet 1967.

Le jugement attaqué est donc cassé en ce qu’il condamne AXA à payer à la victime des indemnités de 43.010 euros et 64.276,50 euros pour le dommage matériel permanent consistant dans la nécessité pour la victime de fournir des efforts accrus pour accomplir ses tâches professionnelles normales auprès de l’employeur public, dans le passé et dans le futur.

Par voie de conséquence, il est cassé en ce qu’il « limite l’assiette du recours (d’ETHIAS) contre (AXA) pour les débours concernant l’incapacité permanente de travail au montant du préjudice professionnel permanent fixé par ce jugement ».

2.
Par contre, la Cour décide que le moyen d’AXA n’est pas fondé en ce qu’il critique la décision de la condamner à payer à la victime une indemnité de 100.000 euros pour la perte d’une chance de revenus supplémentaires en qualité de musicien professionnel et d’ingénieur du son, activité dont le tribunal a relevé qu’elle avait débuté en dehors du secteur public et en parallèle avec l’activité de la victime dans ce secteur. La Cour précise que l’« interdiction de cumul ne s’étend pas au dommage dont la réparation n’est pas couverte par la loi du 3 juillet 1967 ».

Intérêt de la décision

1.
La jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur ce que le dommage matériel subi par la victime en raison de la réduction de sa capacité de travail consiste en la diminution de sa valeur économique sur le marché du travail et qu’une des atteintes à cette valeur économique peut consister dans la nécessité de fournir des efforts accrus (cf. not. sur Juportal Cass., 22 juin 2017, n° C.16.0282.F ; Cass., 16 mars 2004, n° P.03.1518.N et les références citées fiche 3). Il s’agit donc d’un dommage couvert par la loi du 3 juillet 1967 dans le cas d’espèce de l’arrêt commenté, ou par la loi du 10 avril 1971 pour le secteur privé. Le principe est donc l’interdiction de cumul de la réparation en loi avec une autre réparation et il s’applique même si la nécessité de fournir des efforts accrus n’a pas été prise en considération lors de la fixation des indemnités d’accident du travail.

2.
Mais ainsi que l’indique l’arrêt commenté : « Cette interdiction de cumul ne s’étend pas au dommage dont la réparation n’est pas couverte par la loi du 3 juillet 1967 », soit le « dommage permanent résultant de la perte de revenus ou d’une chance de revenus provenant d’une activité professionnelle en dehors du secteur public ».

La Cour de cassation avait déjà retenu cette solution dans un arrêt du 2 novembre 2018 (Cass., 2 novembre 2018, n° C.17.0393.N), qui décide que l’interdiction de cumul ne s’étend pas au dommage dont la réparation n’est pas couverte par la loi du 3 juillet 1967. Cet arrêt est publié sur Juportal avec les conclusions fouillées de Madame l’Avocat général Ria MORTIER, qui contiennent de nombreuses références doctrinales et jurisprudentielles. Il s’agissait en l’espèce d’un professeur d’éducation artistique employé à temps partiel par le Gouvernement flamand et ayant en outre une occupation secondaire d’artiste indépendant.

Il y a donc des possibilités de cumul entre de la réparation en loi et une indemnité en vertu du droit commun pour des dommages qui, bien qu’ils aient une nature professionnelle, ne rentrent pas dans l’objectif des lois sur la réparation d’un accident du travail ou sur le chemin du travail (cf. les conclusions de Mme MORTIER, point 2.4, qui cite : D. SIMOENS , « Ongevallenrecht : grensgebieden van aansprakelijkheid, verzekering en sociale zekerheid », T.P.R., 1984, p. 438 ; cf. ég. Cass., 3 janvier 1969, Pas., 1969, p. 414 sur le cumul autorisé entre la rente viagère due en loi à la veuve de la victime d’un accident du travail mortel et les dommages et intérêts en droit commun pour la perte du profit qu’elle aurait pu retirer d’activités de la victime après la pension).


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