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Droit aux prestations familiales garanties et reconnaissance du statut de réfugié

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 juillet 2021, R.G. 2020/AB/83

Mis en ligne le mardi 29 mars 2022


Cour du travail de Bruxelles, 5 juillet 2021, R.G. 2020/AB/83

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 juillet 2021, la Cour du travail de Bruxelles retient que les prestations familiales garanties sont dues pour les bénéficiaires du statut de réfugié à partir de la prise en charge par le C.P.A.S. (aide sociale) et non pour la période précédente couverte par une aide matérielle (hébergement en Initiative Locale d’Accueil en l’occurrence).

Les faits

Une famille syrienne, arrivée en Belgique fin novembre 2017 et ayant obtenu le statut de réfugiés le 26 mars 2018, introduit une demande de prestations familiales garanties le 9 août.

Celles-ci sont accordées à partir du premier du mois. Pour la période passée, FAMIFED (actuellement IRISCARE) motive sa décision par la circonstance que, pour une première période, il n’y avait pas d’autorisation de séjour (article 1er de la loi du 20 juillet 1971) et que, pour la suite, les parents ne justifiaient pas avoir eu la charge de leur enfant, dans la mesure où ils étaient hébergés dans un centre d’accueil et/ou dans une Initiative Locale d’Accueil (I.L.A.).

Suite au recours introduit, le tribunal du travail a statué par jugement du 20 décembre 2019. Il a condamné FAMIFED au paiement des prestations familiales garanties pour la seconde de ces deux périodes.

IRISCARE interjette appel.

La décision de la cour

Dans son exposé du cadre légal, la cour s’attache à l’article 1er de la loi du 20 juillet 1971, son alinéa 1er prévoyant l’octroi des prestations en faveur de l’enfant qui est exclusivement ou principalement à la charge d’une personne physique qui réside en Belgique, notion précisée à l’alinéa 4. Celui-ci entend par « enfant principalement à charge de la personne physique » ci-dessus l’hypothèse où cette personne supporte plus de la moitié du coût d’entretien de l’enfant.

La Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 5 janvier 1998 (Cass., 5 janvier 1998, n° S.97.0091.N) qu’il faut entendre par là le rapport entre les moyens financiers à disposition de l’intéressé et le coût d’entretien. Il s’agit de comparer le coût d’entretien de l’enfant et la partie de ce coût supportée par l’intéressé.

L’étranger ayant demandé l’autorisation de séjourner dans le Royaume pour raisons médicales graves (article 9ter de la loi du 15 décembre 1980) est considéré, dès qu’il est inscrit au registre des étrangers et mis en possession d’une attestation d’immatriculation, comme autorisé à séjourner dans le Royaume conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980, et ce même si le séjour est temporaire et précaire.

S’agissant d’un demandeur de protection internationale, la cour renvoie à la Directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Son article 17 impose aux Etats membres de faire en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d’accueil lorsqu’ils présentent leur demande de protection internationale. La loi « accueil » du 12 janvier 2007 (qui transpose partiellement la Directive) contient un principe en son article 3, étant que tout demandeur d’asile a droit à un accueil devant lui permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine. L’accueil consiste soit en une aide matérielle fournie conformément à la loi, soit en une aide sociale octroyée par les C.P.A.S. conformément à la loi organique du 8 juillet 1976. La cour rappelle que ce n’est qu’au sein d’une structure d’accueil que l’aide matérielle peut être fournie. Elle reprend encore le mécanisme de transition de l’aide matérielle vers l’aide sociale des C.P.A.S. (article 43 de la loi).

En l’espèce, les conditions relatives au séjour sont remplies à la date d’introduction de la demande d’asile, soit le 5 décembre 2017, et il n’existait aucun droit pour la période antérieure (novembre 2017).

Pour le gros de la période litigieuse, la cour fait l’examen des deux situations successives. Les intimés ont interjeté appel du jugement en ce qui concerne la période du 1er décembre 2017 au 9 avril 2018. Elle rappelle la motivation du jugement, qui a considéré que, vu le montant de l’allocation journalière accordée au sein des structures d’accueil, les intéressés ne pouvaient couvrir au moins la moitié des besoins de leur enfant. Les demandeurs originaires contestent cette conclusion, mais la cour rejette leur position, non autrement étayée. Pour la période ultérieure, cependant, la cour ne partage pas l’analyse du tribunal, qui a considéré qu’un nouvel hébergement ayant été accordé, les intéressés bénéficiaient toujours d’une aide matérielle sous la forme d’un logement dont le loyer et les charges étaient payés par le C.P.A.S. (outre l’aide médicale). Une aide financière de l’ordre de 150 euros par semaine leur ayant en outre été accordée pour l’ensemble des autres besoins de base, le premier juge avait conclu que les parents pouvaient se prévaloir de la présomption selon laquelle l’enfant faisait partie de leur ménage durant cette période.

Pour la cour, cependant, même si le statut de réfugié a été obtenu le 26 mars 2018, le basculement de l’aide matérielle vers l’aide des C.P.A.S. ne s’est fait que le 1er août et, pour la période antérieure, l’enfant et les parents ont continué à bénéficier d’une aide matérielle octroyée par FEDASIL dans le cadre de la loi « accueil ». En l’occurrence, il s’est agi d’une aide fournie dans une I.L.A. organisée par un C.P.A.S. Ceci n’enlève pas à l’aide son caractère d’aide matérielle, le C.P.A.S. agissant ici en qualité de partenaire de FEDASIL (l’aide matérielle étant octroyée aux frais de FEDASIL). Il n’y a à ce moment pas d’aide financière du C.P.A.S. en application de la loi organique des C.P.A.S. ou de la loi du 26 février 2002 relative au droit à l’intégration sociale.

La cour rappelle qu’il y a eu prise en charge directe de tous les frais afférents à l’hébergement, cette intervention étant majorée du montant ci-dessus (montant qui inclut l’argent de poche et les besoins quotidiens de la famille). C’est le C.P.A.S., pour le compte de FEDASIL, qui supportait en définitive la totalité du coût d’entretien de l’enfant, tandis que le soin était laissé aux parents d’utiliser adéquatement l’allocation mise à leur disposition. Les parents géraient dès lors un budget afin de subvenir à certains besoins de la famille, mais ceci ne signifie pas qu’ils supportaient une partie du coût d’entretien de leur enfant. Ils ne peuvent dès lors être considérés comme ayant leur enfant exclusivement ou principalement à leur charge au cours de cette période, au sens de l’article 1er, aliéna 1er, de la loi du 20 juillet 1971.

La cour accueille dès lors l’appel.

Enfin, elle rejette une demande subsidiaire de questions préjudicielles, essentiellement au motif que les catégories de personnes proposées ne sont pas comparables.

Intérêt de la décision

La question de l’octroi des prestations familiales garanties en cas de demande d’asile a fait l’objet de plusieurs précisions importantes, la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation étant intervenues à plusieurs reprises.

L’arrêt commenté renvoie à deux décisions de la Cour de cassation.

Un premier arrêt du 5 janvier 1998 (Cass., 5 janvier 1998, n° S.97.0091.N) a défini la notion d’enfant « exclusivement ou principalement à charge d’une personne physique », étant que cette personne doit supporter plus de la moitié du coût d’entretien de l’enfant, cette condition étant présumée remplie (sauf preuve du contraire) s’il résulte d’une inscription au registre de la population que l’enfant fait partie de son ménage. Lorsque la preuve doit être apportée par le demandeur, elle doit l’être « par la comparaison entre le coût d’entretien de l’enfant et la partie de ce coût supportée par l’intéressé, en tenant compte du revenu propre de l’enfant ». La Cour a encore précisé qu’à cet égard, la nature dudit revenu est dépourvue de pertinence.

En l’espèce, la Cour de cassation a cassé la décision de la cour du travail, qui avait refusé de tenir compte du minimum de moyens d’existence octroyé à cet enfant dès qu’il avait atteint la majorité, au motif que ce minimum n’était pas pris en considération « comme ressource pour déterminer le droit aux prestations familiales garanties dans le chef de la personne qui a la charge de (l’enfant) ».

Comme l’a précisé la cour du travail, il s’agit de comparer le coût d’entretien de l’enfant et la partie de ce coût supportée par l’intéressé.

Un second arrêt est intervenu beaucoup plus récemment (Cass., 8 avril 2019, n° S.17.0086.F – précédemment commenté), qui a mis un terme à la question de savoir si le droit existait dès lors que la personne qui a l’enfant à charge est sous couvert d’une attestation d’immatriculation. Une controverse persistait en jurisprudence quant à la question de savoir si ce document valait autorisation de séjour.

La cour du travail aborde, dans l’arrêt commenté, un autre volet, étant les difficultés liées à l’octroi des prestations familiales garanties dans l’hypothèse de demandeurs étrangers dont le séjour est à régulariser, à savoir la distinction à opérer entre l’aide matérielle de FEDASIL et l’aide sociale des C.P.A.S. Ce n’est, pour la cour, qu’à partir du moment où l’aide sociale est octroyée que le droit aux prestations familiales est ouvert. Ainsi, pour une période de prise en charge en I.L.A., à charge de FEDASIL, elle retient que, même si le C.P.A.S. intervient, il ne s’agit pas d’une intervention au titre d’aide sociale mais de la gestion, en combinaison avec l’intervention de FEDASIL, des conditions d’octroi de l’aide matérielle.


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