Terralaboris asbl

Conditions du travail A.L.E.

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 14 septembre 2021, R.G. 09/1.707/A, 09/1.709/A, 09/1.710/A, 09/1.711/A, 09/1.712/A, 09/1.713/A, 09/1.714/A, 09/1.716/A, 09/1.717/A, 09/1.718/A, 09/2.531/A, 09/2.532/A, 09/2.533/A, 09/2.535/A, 09/2.536/A, 09/2.537/A, 09/2.538/A, 09/2.539/A, 09/2.540/A et 09/2.541/A

Mis en ligne le vendredi 29 avril 2022


Tribunal du travail de Liège (division Namur), 14 septembre 2021, R.G. 09/1.707/A, 09/1.709/A, 09/1.710/A, 09/1.711/A, 09/1.712/A, 09/1.713/A, 09/1.714/A, 09/1.716/A, 09/1.717/A, 09/1.718/A, 09/2.531/A, 09/2.532/A, 09/2.533/A, 09/2.535/A, 09/2.536/A, 09/2.537/A, 09/2.538/A, 09/2.539/A, 09/2.540/A et 09/2.541/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 14 septembre 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) retient comme illégal l’octroi, à des travailleurs A.L.E., de défraiements systématiques, ceux-ci constituant en réalité un système de rémunération occulte.

Les faits

Des travailleurs A.L.E. ont été occupés par un centre culturel (A.S.B.L.) organisant notamment des représentations théâtrales, et ce en vue d’assurer le montage et le démontage de décors. Ils étaient, en sus du chèque A.L.E., bénéficiaires d’un « défraiement ». Le quota de quarante-cinq heures était généralement dépassé et les heures prestées en sus étaient en général reportées au mois suivant (ou n’étaient pas déclarées, un « défraiement » plus important étant alors perçu).

Ils furent auditionnés par les services de l’Inspection sociale et effectuèrent chacun des déclarations circonstanciées. L’ONEm fut informé de la situation. Après avoir été réauditionnés, par les services de l’ONEm cette fois, les intéressés firent l’objet de décisions d’exclusion et de récupération, avec sanction.

Un recours fut introduit devant le tribunal du travail et l’A.S.B.L. fut appelée en garantie. Parallèlement, elle fut assignée en paiement de rémunération et de dommages et intérêts.

Le tribunal est saisi, dans la présente affaire, de la question des rémunérations et de dommages et intérêts. Il statue après que le dossier ONEm a été tranché. Sont demandés des arriérés de rémunération calculés sur la base des barèmes sectoriels ainsi que des dommages et intérêts vu les décisions de récupération et d’exclusion de l’ONEm.

La décision du tribunal

Les demandeurs étant au nombre de vingt, le tribunal examine d’abord la problématique de manière transversale.

Sur le premier chef de demande, il constate que l’A.S.B.L. n’est pas l’employeur et que, de ce fait, en l’absence de contrats de travail, il ne peut y avoir de rémunération due.

Par contre, la question des dommages et intérêts est longuement développée.

Ce chef de demande est fondé sur l’article 1382 du Code civil et le tribunal vérifie en conséquence, et successivement, l’existence d’une faute, d’un dommage, ainsi que le lien de causalité.

Pour ce qui est de la faute, il retient que celle-ci doit s’envisager au regard du critère de l’utilisateur normalement prudent et diligent, dans la mesure où la loi du 7 avril 1999 relative au contrat de travail A.L.E. ne contient aucune obligation dans son chef d’informer le prestataire de ses droits et obligations en matière de chômage.

En l’espèce, plusieurs fautes ont été commises, étant notamment l’octroi de défraiements qui ne couvraient pas des frais assumés par les travailleurs mais visaient à leur allouer une rémunération plus attractive et à réduire les coûts de la main-d’œuvre. La pratique – illégale – était bien connue des responsables de l’institution.

Le lien causal avec le dommage (que le tribunal examinera de manière individuelle en fin de décision) est admis, celui-ci découlant du système mis en place et ayant conduit à l’exclusion des allocations de chômage.

L’employeur plaidant également qu’il y a lieu à partage de responsabilité, au motif que les travailleurs avaient également commis une faute en ne déclarant pas leur situation, le tribunal relève qu’une telle faute ne serait en toute hypothèse pas en lien causal avec le préjudice subi, que les défraiements soient déclarés ou non devant nécessairement conduire au même résultat. Il retient également que ce ne sont pas les travailleurs A.L.E. qui ont imposé ce système, l’initiative émanant de l’A.S.B.L. elle-même, ce qui fut dûment constaté par la contrôleuse de l’ONEm.

Le tribunal en vient à l’examen des dommages et intérêts réclamés au cas par cas. Il se fonde, pour ce, sur les jugements rendus suite aux recours introduits contre les décisions de l’ONEm (exclusion, récupération et sanction). Dans chacun des dossiers, passés successivement en revue, le tribunal s’attache à déterminer le dommage réellement en lien causal avec les fautes de l’A.S.B.L. C’est en général selon le même schéma que le tribunal procède aux fins de fixer les montants des dommages et intérêts auxquels l’A.S.B.L. se verra condamnée.

Lorsque la sanction d’exclusion a été assortie d’un sursis, il n’y pas eu de privation d’allocations, de telle sorte que l’équivalent de celles-ci ne peut être réclamé. Lorsqu’une indemnité de défraiement a été attribuée pour la même période, elle doit intervenir en déduction du préjudice dont la réparation est demandée. Pour certains travailleurs, il n’y a pas eu d’obligation de rembourser les allocations perçues, le tribunal ayant considéré dans son jugement ONEm qu’il y avait prescription vu l’ancienneté des faits.

Intérêt de la décision

Certaines catégories de demandeurs d’emploi peuvent, via les agences locales pour l’emploi, travailler dans des emplois de proximité. Le système a un objectif de réinsertion socio-professionnelle et permet à des particuliers ou à des organisations de bénéficier de services non rencontrés par les circuits réguliers du travail. L’on cite généralement les petits travaux de bricolage ainsi que de jardinage, ou encore l’encadrement d’enfants ou autres services de ce type.

Le recours au service de l’A.L.E. est accessible non seulement à des personnes privées, mais également à des autorités locales ainsi qu’à des A.S.B.L. et établissements d’enseignement. L’on notera à cet égard que, si sont visées des activités non commerciales, le recours aux A.L.E. est autorisé dans le chef d’horticulteurs et d’agriculteurs. Cette question n’est pas le débat ici, seules certaines activités au sein de ces secteurs spécifiques étant autorisées dans ce cadre.

Il n’est pas contesté en l’espèce que l’A.S.B.L., centre culturel et théâtre wallon, ait pu recourir aux services de travailleurs A.L.E.

Les éléments du dossier démontrent cependant que ce recours était en l’espèce systématique, ou à tout le moins très fréquent, et ce eu égard au nombre de personnes concernées ainsi qu’aux périodes visées par les enquêtes administratives.

Si ces activités sont autorisées, lorsqu’elles sont déployées dans le cadre des normes autorisées (étant notamment un nombre d’heures par mois, qui doit, selon le type d’utilisateur, être de quarante-cinq, septante ou cent-cinquante heures par mois calendrier), se pose néanmoins la question de la conformité de la rémunération avec les allocations de chômage.

Le tribunal du travail siégeant en contrat a tenu compte des décisions rendues dans le volet ONEm pour déterminer le montant du préjudice et, dans chacun des cas, a vérifié les montants perçus au titre de défraiement (et non au titre de chèques A.L.E.) afin de déterminer le dommage indemnisable.

Le système mis en place par l’A.S.B.L. étant qualifié par le tribunal de « système de rémunération occulte », s’agissant de l’octroi de « défraiements » n’ayant pas le caractère de remboursement de frais, les montants en cause ne peuvent être analysés que comme le paiement d’une rémunération.

La solution retenue par le tribunal dans cette hypothèse est dès lors que reviennent aux travailleurs A.L.E. pour les périodes correspondantes les chèques A.L.E. à majorer de dommages et intérêts correspondant à la différence entre les allocations de chômage réclamées et les « défraiements » perçus.

L’on notera encore que le jugement ne réserve aucune considération autre quant au caractère rémunératoire (donc passible de retenues sociales et fiscales) de ces derniers.


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