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Accident du travail : indemnisation des séquelles directes et indirectes

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 2 février 2021, R.G. 2019/AL/336

Mis en ligne le vendredi 29 avril 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 2 février 2021, R.G. 2019/AL/336

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 février 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation dans son arrêt du 25 février 2010, concernant les séquelles indemnisables suite à un accident du travail, s’agissant en l’espèce de déterminer si des lésions préexistantes et asymptomatiques devaient être prises en compte, dès lors qu’elles se sont révélées suite à l’accident.

Les faits

Une employée communale est victime d’un accident sur le chemin du travail en 2008. Elle est percutée par un véhicule sur un passage pour piétons.

L’accident est reconnu par son employeur et elle sera également indemnisée en droit commun. En 2012, le SSA (MEDEX) décide de consolider à la date du 7 septembre 2011. Il retient une IPP de 15%. L’intéressée ayant entre-temps été victime d’un AVC, cet incident n’est pas pris en compte. Suite à la décision du SSA, son employeur notifie à l’intéressée sa décision quant aux séquelles.

Un recours est introduit, dans le cadre duquel le médecin de la demanderesse fixe à 45% le taux d’IPP.

Le Tribunal du travail de Liège, saisi du recours de l’intéressée, désigne un médecin-expert par jugement du 19 février 2013 et, dans un second jugement du 25 octobre 2016, il réinterpelle l’expert à propos d’un anévrisme présenté par l’intéressée, lui demandant si celui-ci a pu être déstabilisé par l’accident du travail. La demanderesse avait, en effet, passé des examens (exploration vestibulaire et IRM cérébrale) pour les malaises présents avant l’accident (étant des vertiges et céphalées) et ceux-ci avaient mis en évidence fortuitement un anévrisme non rompu de la carotide interne droite.

Par jugement du 12 février 2019, le tribunal vide sa saisine et, renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2010 (Cass., 25 octobre 2010, n° S.09.0036.F), considère que l’anévrisme peut être un pseudo-anévrisme post-traumatique. Il retient le lien causal et rappelle que la présomption doit jouer en faveur de la victime, l’assureur-loi (soit l’employeur dans le secteur public) devant rapporter le cas échéant la preuve contraire. Le tribunal retient une IPP de 80% à dater du 1er août 2012.

La commune interjette appel, demandant que le taux soit fixé à 7%, et ce à dater du 11 juillet 2011. Elle conteste également les périodes d’incapacité temporaire (hors la première, du 21 mai 2008 au 21 février 2010).

Position des parties devant la cour

Pour la commune, appelante, l’anévrisme préexistait à l’accident du travail, de telle sorte que la lésion constatée (dilatation) n’est pas une conséquence de celui-ci. Cette lésion n’a d’ailleurs pas été modifiée par cet accident et la présomption de causalité ne trouve pas à s’appliquer. La commune estime, quant au taux d’IPP, que, dans la mesure où les séquelles de l’AVC ne doivent pas être prises en compte, le taux doit être de 7% et que, même si elles devaient l’être, il ne pourrait pas être de 80%, dans la mesure où l’employée a repris le travail à temps plein jusqu’à sa pension.

L’intéressée considère pour sa part qu’elle bénéficie d’une présomption quant au lien causal, qui n’est pas renversée par la commune et qu’il faut appliquer la théorie de l’équivalence des conditions.

Elle précise que les examens sont intervenus parce qu’elle présentait des céphalées et des vertiges. Une artériographie lui a été proposée et elle l’a acceptée. Elle considère qu’il y a un lien entre cet examen et le traumatisme initial. Il en découle que toutes les conséquences relatives à cet examen doivent être prises en charge. L’intervention pratiquée avait pour objectif de limiter les conséquences de l’accident et elle considère ne pas avoir rompu le lien de causalité en acceptant les risques liés à celle-ci.

Enfin, dans l’hypothèse où la cour ne retiendrait pas la relation causale, elle rappelle que la commune ne peut revenir à un taux inférieur à celui fixé par le SSA, qui est de 15%.

La décision de la cour

Dans son examen des principes, la cour du travail reprend les effets de la présomption légale de causalité, étant que la question à se poser est celle de savoir si l’événement soudain épinglé exclut manifestement la lésion. Pour la cour, exiger davantage aboutirait à priver de tout effet cette présomption. Elle renvoie à l’arrêt du 3 février 2003 de la Cour de cassation (Cass., 3 février 2003, n° S.02.0088.N), selon lequel la présomption est renversée lorsque le juge a la certitude ou la conviction que la lésion ne trouve pas son origine dans l’accident, et ce par l’existence d’un haut degré de vraisemblance quant à l’absence de relation causale entre la lésion et cet accident. En conséquence, pour la cour, lorsque le juge du fond, se fondant sur les éléments de fait qu’il précise, considère « qu’il ne peut pas être conclu que la lésion ne peut pas, avec le plus haut degré de probabilité, être exclue comme la conséquence de l’accident », il déclare par cette motivation que n’est pas fournie la preuve contraire que les lésions ne sont pas in concreto la conséquence de cet accident.

Après avoir rappelé l’arrêt du 25 octobre 2010 de la Cour de cassation quant à la prise en compte des interventions chirurgicales postérieures à l’accident ainsi que de leurs suites et conséquences directes et indirectes sur l’état médical de la victime, la cour du travail cite un très large extrait de la décision en cause, qui a retenu un lien causal, s’agissant d’une intervention présentée comme une réponse aux plaintes de la victime suite à l’accident. La Cour de cassation y a précisé que, sans l’accident, l’opération en cause n’aurait pas été réalisée et que les suites post-opératoires ne seraient pas intervenues. Le lien causal est donc établi, s’agissant en l’occurrence de conséquences indirectes de l’accident.

Elle rappelle encore que quand plusieurs causes sont à l’origine du dommage, il n’est pas requis, par l’effet de la théorie des conditions que la faute reprochée soit la cause exclusive du dommage. Cette théorie ne permet pas de choisir parmi les causes celle dont le pouvoir causal est le plus important. Par conséquent, dans l’appréciation du dommage en lien causal avec la faute, tout dommage, direct ou indirect, est indemnisable s’il est établi qu’il ne se serait pas produit ou, à tout le moins, ne se serait pas produit tel qu’il s’est produit en l’absence de la faute.

La cour retient également que la commune plaide la théorie de l’acceptation des risques, étant que la victime du dommage doit supporter celui-ci en tout ou partie dès lors qu’elle s’est volontairement exposée au danger. La cour précise que cette théorie est appliquée, en général, pour les risques prévisibles, ainsi pour l’exercice d’un sport. L’acceptation d’un risque suppose sa connaissance et celle-ci ne peut s’appliquer si la victime n’a pas eu cette connaissance, sauf imprudence de sa part, imprudence fixée à l’aune de l’homme normalement prudent et diligent.

La cour clôture ce résumé des principes applicables en rappelant le caractère contraignant de l’avis du MEDEX.

Elle passe ainsi à l’examen des deux rapports d’expertise. Le premier considère qu’il n’y a aucune relation causale directe entre l’accident et la dilatation anévrismale découverte fortuitement, mais qu’il y a une relation indirecte en raison du fait que c’est dans le cadre du traitement des céphalées et des vertiges persistants qu’une IRM a été réalisée et que l’anévrisme a été découvert. Il donne deux taux, selon que la relation causale est retenue (80%) ou non (7%).

Du rapport complémentaire, la cour retient la réponse donnée par l’expert, étant qu’il n’est pas possible de déterminer si l’anévrisme a été déstabilisé par l’accident, non plus que d’en démontrer le contraire. L’expert précise par ailleurs qu’il a tenu compte de l’intégralité des séquelles directement imputables.

Dans son examen des éléments concrets à prendre en cause, la cour constate que l’expert et les parties sont d’accord pour dire que cet anévrisme existait avant l’accident. Il s’agit d’une lésion. Qu’il ait été découvert fortuitement ou non est une circonstance indifférente, de même que le fait qu’il ait été asymptomatique, dès lors qu’il peut être mis en rapport avec l’accident lui-même. Et la cour de rappeler que l’intéressée présentait des contusions à la tête suite à l’accident.

Pour renverser la présomption, la cour précise qu’il ne suffit pas de soutenir que la lésion existait antérieurement. Il faut que soit rapportée la preuve – avec un haut degré de vraisemblance – que l’état antérieur a évolué pour son propre compte et qu’il n’a pas été influencé par l’accident.

Ces questions ne trouvent pas de réponse dans le dossier. Les avis médicaux n’étant pas convergents, la cour conclut à la nécessité de recourir encore une fois à une expertise, la mission confiée à l’expert étant limitée.

Dans l’immédiat, vu le caractère contraignant de la décision du MEDEX, la cour estime que, quelle que soit l’hypothèse qui sera retenue, le taux d’IPP ne peut être inférieur à 15% et elle souligne que ce taux couvre l’incapacité résultant des séquelles d’une fracture ouverte ainsi que le stress post-traumatique avec état dépressif. Celui-ci ne tient pas compte des répercussions de l’AVC. La commune est condamnée à indemniser d’ores et déjà sur la base de ce taux.

Intérêt de la décision

La question du renversement de la présomption est délicate, particulièrement dans ce dossier ; d’où son intérêt. La lésion était en effet préalable à l’accident, de telle sorte qu’elle ne peut en elle-même être considérée comme consécutive à celui-ci. Les effets de cette lésion préexistante ont cependant entraîné des séquelles, qui viennent par ailleurs s’ajouter à d’autres, non contestées.

Les effets de cette lésion préexistante n’ont, sur le plan médical, pas été considérés comme une conséquence directe mais une conséquence indirecte de l’accident et la cour du travail a très judicieusement renvoyé ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2010 (Cass., 25 octobre 2010, n° S.09.0036.F), où étaient en cause des séquelles consécutives à une intervention chirurgicale conseillée à la victime dans le décours de l’accident (cette intervention ayant, pour d’autres médecins, été considérée comme inopportune). L’assureur-loi ayant été informé de l’éventualité de l’intervention et ayant marqué son accord, la Cour de cassation put ainsi reprendre les termes de la cour du travail selon lesquels l’intervention avait été présentée à la victime comme une réponse aux différentes plaintes et douleurs subies suite à l’accident, qu’il n’était pas contesté que c’est l’accident qui avait généré l’intervention et qu’il apparaissait donc que, sans celui-ci, l’opération en cause n’aurait pas été réalisée. En conséquence, les lésions découlant des suites opératoires ont été admises comme étant en lien causal, s’agissant de conséquences indirectes. L’accord de l’assureur-loi impliquait que l’opération s’inscrivait dans le suivi curatif de l’accident, qu’elle était ainsi en relation causale et intervenait dans ce cadre. La Cour de cassation, après ce rappel de la motivation de l’arrêt de la cour du travail (C. trav. Bruxelles, 17 mars 2008, R.G. 47.069 – précédemment commenté), a conclu que le juge du fond avait pu constater l’existence d’un lien causal avec les interventions chirurgicales pratiquées et leurs conséquences.

Cette affaire met ainsi en évidence les séquelles réparables, étant qu’il ne s’agit pas uniquement des séquelles directes et immédiates, mais également des séquelles indirectes ou ultérieures. L’arrêt de la Cour du travail de Liège de ce 2 février 2021 est l’occasion d’approfondir la question des séquelles préexistantes asymptomatiques et qui se sont manifestées eu égard à l’accident.


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