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Accident du travail : conditions légales de l’action en révision

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 septembre 2021, R.G. 2017/AB/5

Mis en ligne le vendredi 13 mai 2022


Cour du travail de Bruxelles, 2 septembre 2021, R.G. 2017/AB/5

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 septembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend les quatre conditions légales de l’action en révision, la discussion portant sur la notion de « fait nouveau » dans le cadre de cette procédure.

Les faits

Suite à un accident du travail survenu le 15 août 2009 (accident non contesté : chute à partir d’une passerelle), le FAT (FEDRIS) avait entériné en juillet 2011 un accord-indemnité signé par les parties. Celui-ci fixait la période d’incapacité, la date de consolidation et l’incapacité permanente (4%). Le rapport de consolidation contenait comme conclusions diverses contusions et fractures, certaines plaintes ayant disparu mais d’autres persistant. Une pénibilité à la reprise du travail était constatée, vu des séquelles au poignet droit ainsi que des douleurs.

Un an plus tard, l’intéressé s’est plaint d’acouphènes bilatéraux, ceux-ci ayant déjà été constatés quelques mois après l’accident mais jugés sans incidence sur la capacité de travail à l’époque.

Une intervention chirurgicale est pratiquée. Le travailleur considère que cette situation est imputable à l’accident. Il en informe l’assureur-loi, qui refuse d’intervenir.

Une action en révision est dès lors introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre).

La procédure en première instance

Le travailleur demande à la cour d’accueillir son action en révision des indemnités, compte tenu de la perte de capacité existant suite aux conséquences de l’accident. Subsidiairement, il demande la désignation d’un expert.

Par jugement du 18 novembre 2016, le tribunal admet la recevabilité de l’action et procède à la désignation.

La contestation devant la cour

L’assureur interjette appel, faisant grief au tribunal d’avoir admis que les conditions de la révision étaient réunies, et ce au motif d’une part que, dans la procédure en indemnisation, aucune lésion de type acouphène n’avait été retenue et que, de l’autre, la procédure en révision n’a pas vocation à corriger une éventuelle erreur commise dans le cadre de celle-ci. En l’espèce, la victime considère que ses plaintes existaient déjà en 2009 alors que celles-ci n’ont pas été reprises dans le tableau séquellaire ayant fait l’objet du règlement de l’accident.

La décision de la cour

La cour fait un rappel en droit, la question de l’aggravation dans le cadre du délai de révision étant organisée par l’article 72 de la loi du 10 avril 1971. Elle rappelle qu’en vertu de cette disposition, la révision des indemnités doit être fondée sur une modification de la perte de capacité de travail de la victime (ou de la nécessité de l’aide régulière d’une autre personne, ou encore sur le décès dû aux conséquences de l’accident).

Pour la cour, les conditions de l’action en révision doivent être constatées. Elles sont au nombre de quatre : (i) il faut une modification de la perte de capacité de travail de la victime, (ii) celle-ci doit résulter d’un fait médical nouveau, (iii) ce fait nouveau doit être en lien direct avec l’accident et (iv) cette action doit être introduite dans les trois ans de l’entérinement de l’accord-indemnité ou de la date à laquelle la décision fixant le droit aux indemnités est coulée en force de chose jugée.

La première de ces conditions suppose que la modification de la perte de capacité de travail résulte d’une modification de l’état de santé de la victime (renvoyant à C. trav. Bruxelles, 12 avril 2021, R.G. 2021/AB/92).

La deuxième condition relative à cette modification est qu’elle doit résulter d’un fait médical nouveau, la loi exigeant que celui-ci soit apparu postérieurement à la détermination de l’incapacité permanente. Il doit s’agir d’un fait qui n’était pas connu ou qui ne pouvait pas l’être à ce moment.

La cour renvoie à la doctrine (M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, La réparation des séquelles de l’accident (sur le chemin) du travail, Kluwer, Etudes pratiques de droit social, 2007/2, p. 381), qui a rappelé que cette condition doit être rapprochée de la notion de consolidation et que celle-ci est acquise lorsque l’existence et le degré de l’incapacité prennent un caractère de permanence, c’est-à-dire lorsqu’il est permis de déterminer à quel taux s’élève l’incapacité dont, selon les prévisions que permet l’avancement de la science médicale, la victime souffrira toute sa vie.

En ce qui concerne le fait médical nouveau lui-même, il peut concerner soit la lésion initiale, soit l’adaptation à cette lésion, soit une nouvelle pathologie, soit encore consister dans l’aggravation d’un état antérieur.

Le fait nouveau doit être un fait différent de l’évolution normale des lésions prises en considération. Il doit se distinguer d’un fait qui existait déjà au moment de l’estimation de l’incapacité permanente et qui aurait échappé ou qui aurait pu échapper aux prévisions des parties et du juge, c’est-à-dire qu’il est de nature à avoir échappé à leurs prévisions. C’est donc le fait qui ne pouvait être prévu de façon certaine à la date du jugement (ou de l’entérinement de l’accord).

La cour rappelle encore que la procédure en révision ne peut réparer les erreurs ou les lacunes de l’indemnisation intervenues dans la procédure antérieure, ce qui avait déjà été retenu par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 juillet 1948 (Cass., 8 juillet 1948, Pas., 1948, I, p. 445).

La même doctrine a relevé que la question doit être nuancée. Ainsi, si, au départ, une lésion n’entraînait qu’une simple invalidité sans incidence sur la capacité de travail et qu’il était constaté à ce moment qu’elle n’était pas susceptible d’avoir un jour pareille incidence et qu’ainsi elle n’avait pas été reprise dans le bilan séquellaire, rien n’empêche que, dans le cadre d’une procédure en aggravation, cette lésion puisse intervenir, pour autant que l’aggravation constatée réponde aux conditions de l’action. Dans cette hypothèse, c’est l’aggravation elle-même, génératrice d’une perte de capacité de travail, qui doit pouvoir être considérée comme le fait nouveau, c’est-à-dire un fait qui n’était ni connu ni prévisible.

La troisième condition est l’exigence d’un lien direct avec l’accident, la monocausalité n’étant cependant pas exigée. La demande de révision peut dès lors être fondée sur l’aggravation d’un état antérieur, pour autant que celle-ci soit en lien avec l’accident.

Enfin, la quatrième condition est le délai de l’introduction de l’action.

Sur le plan des principes, la cour rappelle encore la question de la preuve : la présomption de causalité ne joue pas dans le cadre de cette action. La charge de la preuve est dans le chef de la victime, pour ce qui est des quatre conditions ci-dessus.

En l’espèce, l’examen minutieux que fait la cour l’amène à conclure que rien ne lui permet d’exclure que la réapparition et/ou l’aggravation des acouphènes, même simplement apparents à l’époque, ne pouvaient pas être connues au moment de l’entérinement de l’accord, ni, a contrario, d’affirmer que cette problématique fut perdue de vue ou sous-estimée, ce qui aurait pour effet que la procédure de révision tendrait exclusivement à la rectification d’une erreur.

Rien ne permet non plus d’exclure le lien avec l’accident du travail, non plus que l’incidence sur la capacité de travail.

La cour déboute dès lors l’assureur de son appel, confirmant la décision du premier juge et lui renvoyant la cause pour la poursuite de son instruction.

Intérêt de la décision

L’action en aggravation des séquelles dans le cadre d’une révision telle qu’autorisée par l’article 72 de la loi du 10 avril 1971 est délicate. C’est la notion de « fait nouveau » qui est au cœur de la discussion et celui-ci fait très régulièrement l’objet de débats.

Il peut être renvoyé sur la notion à deux arrêts de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 4 juin 2007 (Cass., 4 juin 2007, n° S.06.0031.F), la Cour a jugé que le fait nouveau requis ne doit pas être connu (ou être susceptible d’être connu) lors du règlement en consolidation. Il peut cependant consister en un élément existant avant la prise de cours du délai de revision. Cet arrêt illustre l’élément de la discussion dans le cas d’espèce, étant qu’est admissible l’hypothèse où existaient, comme rencontré dans cet arrêt, des acouphènes présents lors du règlement en consolidation mais non invalidants, ce qui explique qu’ils n’ont pas été repris dans le bilan séquellaire.

Un second arrêt du 26 mai 2008 (Cass., 26 mai 2008, n° S.07.0111.F – précédemment commenté) s’est prononcé sur une lésion passée inaperçue lors de la consolidation. La Cour suprême a rejeté un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 8 décembre 2006, R.G. 48.244 – également précédemment commenté). La cour du travail avait constaté en l’espèce que la lésion (ainsi que la présence d’un corps étranger) n’était pas connue à la date de l’accord statuant sur les séquelles, dans la mesure où elle n’apparaissait pas dans les radiographies de l’époque en raison de l’angle sous lequel celles-ci avaient été prises. Elles ne pouvaient dès lors raisonnablement pas être connues et cet angle de vue n’avait surpris à l’époque ni les médecins-traitants ou radiologues, ni le médecin-conseil de l’assureur. Cette situation a été connue ultérieurement, par de nouveaux clichés. La cour avait considéré que la demande en révision des indemnités avait ainsi été introduite sur la base de « faits nouveaux », c’est-à-dire des faits qui n’étaient pas connus ou qui ne pouvaient pas être connus à la date de l’accord.


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