Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 7 septembre 2021, R.G. 2020/AL/233
Mis en ligne le vendredi 13 mai 2022
Cour du travail de Liège (division Liège), 7 septembre 2021, R.G. 2020/AL/233
Terra Laboris
Dans un arrêt du 7 septembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que, pour l’assimilation d’une période d’incapacité de travail en matière de pension d’indépendant, les présomptions contenues dans l’arrêté royal n° 38 sont applicables, les notions d’activité professionnelle étant identiques.
Les faits
En 2015, un travailleur indépendant introduit une demande d’assimilation maladie auprès de sa caisse d’assurances sociales pour sept trimestres. Il s’agit de la période du 1er octobre 2013 au 30 juin 2015. La demande est acceptée et une confirmation est donnée de ce qu’aucune cotisation n’est due. L’I.N.A.S.T.I. est cependant informé ultérieurement, et ce par l’administration fiscale, de la perception de revenus taxables.
Interrogé, l’intéressé répond via son comptable qu’il s’agit d’intérêts fictifs sur un compte courant administrateur. L’explication donnée est qu’il possède un compte courant débiteur d’une S.P.R.L., étant le résultat de sommes prélevées les années précédentes dans les comptes de la société. Le comptable précise que l’administration fiscale exige l’ajout d’intérêts fictifs à la base imposable du contribuable en personne physique et que le montant a été calculé sur la moyenne du compte courant, soit 9,20%. Il précise qu’il ne s’agit pas « à proprement parler » de revenus.
L’I.N.A.S.T.I. prend une nouvelle décision, qui annule et remplace la décision précédente, le motif étant qu’une activité professionnelle a été exercée pendant la période litigieuse. Il en résulte que le mandat n’a pas été exercé à titre gratuit (vu les intérêts fictifs sur compte courant et les avances pour cotisations sociales).
Un recours est introduit contre cette décision devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège).
Le recours a été examiné par le tribunal en l’absence de l’I.N.A.S.T.I. et un jugement par défaut, faisant droit à la demande, a été rendu le 30 mars 2020.
Appel est interjeté par l’Institut.
Position des parties devant la cour
L’I.N.A.S.T.I. demande le maintien de sa décision, faisant valoir divers éléments au regard des conditions des articles 28 à 30bis de l’arrêté royal du 22 décembre 1967. L’une de celles-ci est que toute activité professionnelle doit avoir cessé, que ce soit personnellement ou via un tiers. Il considère qu’en sa qualité de co-gérant d’une S.P.R.L., l’intéressé a bénéficié d’un mandat rémunéré pendant la période d’incapacité. L’activité professionnelle est celle visée à l’article 3, § 1er, de l’arrêté royal n° 38, qui prévoit une présomption d’assujettissement à l’égard des mandataires de société. Celle-ci étant réfragable par l’apport de la preuve de la gratuité de fait et de droit du mandat, ou encore par l’absence d’exercice de ce mandat découlant de l’absence d’activité de la société, l’appelant considère que la présomption n’est pas renversée, vu la perception de revenus en tant que dirigeant d’entreprise. Par ailleurs, la société a été active pendant la période en cause, l’intéressé lui-même ayant établi le rapport de gestion pour l’année 2014, étant resté membre du conseil d’administration et ayant participé à ce titre aux décisions prises.
Le demandeur originaire ayant sollicité à titre subsidiaire dans sa demande que ne soient pris en compte que trois trimestres, l’I.N.A.S.T.I. demande que celle-ci soit rejetée au motif que, lorsqu’un but de lucre est présent, il englobe toute la période d’exercice du mandat. Il rappelle encore que, si la gratuité devait être une nouvelle fois affirmée, elle devrait l’être par l’organe compétent pour modifier les statuts ou pour fixer la rémunération et que, en outre, une telle décision ne peut produire ses effets qu’au plus tôt à partir du douzième mois qui précède la déclaration.
Quant à l’intimé, il réitère sa demande d’annulation de la décision et, à titre subsidiaire, de limitation de la période assimilée à une période d’activité en qualité d’indépendant. Il fait valoir divers éléments à l’appui de sa position, étant que son état de santé l’a empêché d’exercer une activité professionnelle pendant la période litigieuse et que la société a dû être gérée uniquement par l’autre co-gérant. Les documents administratifs et comptables ont été préparés par le comptable et il n’en est pas signataire (l’intéressé précisant que, s’il devait être considéré comme l’étant, le document date d’une période à laquelle il a été autorisé à reprendre ses activités à temps partiel).
Il s’explique sur les intérêts fictifs, étant qu’ils ne constituent pas une rémunération à proprement parler mais un mécanisme fiscal relatif à la taxation des comptes courants débiteurs au sein d’une société. Celui-ci n’est pas comparable aux autres avantages en nature (mise à disposition d’un véhicule, GSM, etc.). Il plaide également que ces intérêts fictifs couvrent une dette antérieure à la période litigieuse et que ce qui peut justifier le refus d’une assimilation est l’exercice d’une activité professionnelle mais non la perception de revenus, fussent-ils d’ordre professionnel, ce qui n’est pas le cas.
La décision de la cour
La cour reprend l’article 35, § 3, de l’arrêté royal n° 38, ainsi que l’article 28, § 3, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants. Ces textes prévoient qu’aucune cotisation n’est due pour les trimestres d’inactivité pour cause de maladie ou d’invalidité assimilés à une période d’activité dans le cadre du régime de pension des travailleurs indépendants, mais qu’aucune période ne peut être assimilée s’il y a eu exercice au cours de celle-ci d’une activité professionnelle. L’indépendant est censé ne pas avoir cessé son activité professionnelle ou en avoir repris une suivant le cas si une activité est exercée en son nom par personne interposée, l’intéressé bénéficiant en tout ou en partie des revenus produits par celle-ci.
La cour renvoie à la jurisprudence (dont Cass., 21 mars 1983, n° 13.115), qui a rappelé que la notion d’activité telle que visée à l’article 28, § 3, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 est la même que celle reprise dans l’arrêté royal n° 38. Les présomptions d’exercice d’une activité professionnelle sont dès lors applicables à la matière. La cour reprend ainsi l’article 3, § 1er, de l’arrêté royal n° 38 en ce qu’il vise les personnes désignées comme mandataires de société qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ou qui, sans être désignées, exercent un mandat dans une telle société. Celles-ci sont présumées de manière réfragable exercer une activité professionnelle de travailleur indépendant.
D’autres renvois sont faits à la jurisprudence (soit C. trav. Mons, 12 octobre 2018, R.G. 2016/AM/292) pour ce qui est de l’associé actif. Celui-ci est soumis au statut social sans qu’il soit requis qu’il ait perçu des bénéfices et que l’activité exercée ait la nature d’une gestion au sens d’une direction au sens étroit de ce terme. La doctrine à laquelle la cour se réfère également (C.-E. CLESSE, L’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants – Aux frontières de la fausse indépendance, 3e éd., 2015, Kluwer, p. 295) a rappelé que la présomption fiscale doit être abandonnée lorsque la réalité sociologique, seule déterminante, est en sens contraire.
En l’espèce, l’intéressé est potentiellement visé par une double présomption, selon la cour, étant qu’il a bénéficié de revenus taxables en qualité d’indépendant et qu’il était co-gérant d’une société commerciale.
Ayant un mandat de gérant, l’intéressé est dès lors présumé avoir exercé une activité professionnelle et il peut la renverser, ce qu’il ne fait pas, selon la cour, qui renvoie à l’avis du Ministère public. Selon l’Avocat général, les éléments de preuve qui doivent être apportés sont manquants et, par ailleurs, il ressort d’une publication au Moniteur belge que la société a trois gérants et que, parmi ceux-ci, l’intéressé joue un rôle essentiel, à tel point que la cour considère qu’il est « incontournable ».
Elle rejette qu’une attestation d’un co-gérant ait une réelle force probante, alors qu’aucune décision n’a été prise par l’assemblée générale. Pour ce qui est des comptes, il n’est pas établi que le fait que son nom ait été apposé au bas de ceux-ci pour l’année 2014 est le fruit d’une erreur matérielle.
Enfin, la cour constate qu’il n’est nullement démontré que le mandat aurait été exercé à titre gratuit.
Sur les intérêts fictifs, la cour considère que, s’il s’agit d’une fiction sur le plan fiscal plutôt que de revenus réellement perçus ou d’avantages, d’autres éléments permettent de conclure qu’il n’était pas financièrement désintéressé par rapport à la société. Et la cour de renvoyer à un arrêt du 8 mai 2020 de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 8 mai 2020, R.G. 2018/AB/750), où une gérante avait recapitalisé sa société sur fonds propres afin qu’elle soit viable, la cour considérant que la circonstance que le mandat de gérant ne soit pas rémunéré était dans ce contexte sans incidence sur le but de lucre.
Le jugement est dès lors réformé.
Intérêt de la décision
L’article 28, § 3, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 permet au travailleur de demander l’assimilation de périodes d’incapacité à une période d’activité. En cas d’acceptation, il conserve son statut sans devoir payer des cotisations sociales et la période d’incapacité est prise en compte pour le calcul de la pension, comme s’il y avait poursuite de celle-ci. L’assimilation n’est cependant pas d’office, des conditions étant posées par le texte, dont l’exigence de la cessation de l’activité professionnelle.
La Cour du travail de Bruxelles a, dans cet arrêt, rappelé que les conditions de l’arrêté royal n° 38 et les présomptions qu’il contient s’appliquent à la matière. Un arrêt de la Cour de cassation du 21 mars 1983 (Cass., 21 mars 1983, n° 13.115) confirme cette règle.
Les deux présomptions de l’arrêté royal n° 38 étant réfragables, le mandataire de société peut apporter la preuve que l’activité n’est pas habituelle (la société étant sans activité ou dormante) ou qu’elle est exercée sans but de lucre. Dans cet arrêt du 8 mai 2020 (C. trav. Bruxelles, 8 mai 2020, R.G. 2018/AB/750 – précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles avait repris les éléments infirmant le renversement des présomptions, étant les déclarations TVA, ainsi qu’un chiffre d’affaires. Dans la mesure où l’intéressée était restée gérante pendant la période considérée, la cour a rappelé qu’un mandat implique une activité régulière et habituelle.
Dans un arrêt du 11 août 2020 (C. trav. Bruxelles, 11 août 2020, R.G. 2019/AB/648 – également précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles a encore repris la portée des présomptions de l’arrêté royal n° 38 : celles-ci valent non seulement pour vérifier l’exercice d’une activité professionnelle, mais également pour déterminer les conditions d’assimilation de périodes de maladie ou d’invalidité à l’exercice d’une telle activité aux fins de bénéficier de droits correspondants en matière de pension.
Dans l’arrêt commenté, la Cour du travail de Liège renvoie également à une décision de sa juridiction (siège autre composé) du 26 juin 2018, qui a également admis que les mêmes règles valent dans les deux textes en ce qui concerne la notion d’activité professionnelle et les présomptions d’exercice.
Sur les conditions de l’assimilation, un précédent arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 14 avril 2017 (C. trav. Bruxelles, 14 avril 2017, R.G. 2015/AB/1.158) a admis que l’indépendant peut démontrer que son état de santé était tel qu’il était totalement inapte à poser des actes liés à l’exercice de son mandat. Ceci, sans oublier que, ce mandat supposant des interventions régulières, dont la signature de documents administratifs et financiers, ceux-ci constituent une manifestation de son exercice habituel.