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Pompiers professionnels : exigence d’une égalité de traitement sur le plan de la rémunération

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 septembre 2021, R.G. 2018/AB/553

Mis en ligne le vendredi 13 mai 2022


Cour du travail de Bruxelles, 9 septembre 2021, R.G. 2018/AB/553

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 septembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une distinction au niveau du paiement de la rémunération de pompiers professionnels en fonction de leur ancienneté (non-paiement de certaines prestations), conclut à la violation des principes d’égalité et de non-discrimination.

Les faits

Des pompiers professionnels occupés au service d’incendie d’une commune du Brabant wallon (personnel communal statutaire) ont introduit une procédure devant les juridictions du travail, après avoir adressé à la Commune une mise en demeure le 4 août 2015 aux fins d’obtenir le paiement d’arriérés de rémunération.

Le statut pécuniaire des membres du personnel communal statutaire prévoit en effet que ceux-ci bénéficient d’une allocation pour travail de nuit, de samedi et de dimanche dès qu’ils comptent une ancienneté de fonction de cinq ans au sein du service d’incendie.

Ce service a été intégré dans la Zone de secours du Brabant wallon le 1er avril 2015.

L’objet de leur demande est d’obtenir le paiement de ces prestations pour les cinq premières années de leur occupation, vu le caractère discriminatoire du statut pécuniaire, qui limite le bénéfice des sursalaires aux pompiers comptant cinq années d’ancienneté. Ils contestent également le fait que les heures de formation n’ont pas été intégralement rémunérées.

Une procédure a été introduite par requête le 1er septembre 2015, postulant l’octroi de dommages et intérêts découlant de l’infraction de non-paiement de la rémunération, et ce pour ces deux points.

Le Tribunal du travail du Brabant wallon a rendu son jugement le 1er mars 2018, déclarant irrecevables les demandes relatives à la période antérieure au 4 août 2010. Il condamne d’ores et déjà la Commune à payer à une douzaine de demandeurs d’importants montants au titre de prestations nocturnes, de samedi et de dimanche.

Une réouverture des débats est ordonnée sur plusieurs points, notamment sur la recevabilité de la demande relative aux heures de formation.

Appel est interjeté par la Commune.

Position des parties devant la cour

La partie appelante demande la confirmation du point de départ de la prescription quinquennale et la mise à néant du jugement pour le surplus.

En ce qui concerne les intimés, ils sollicitent la confirmation du jugement et, par la voie de l’effet dévolutif de l’appel, ils sollicitent que la cour tranche les chefs de demande sur lesquels le premier juge ne s’est pas prononcé.

La décision de la cour

La cour examine successivement les allocations pour prestations nocturnes et de week-end ainsi que la rémunération des heures de formation.

Se pose en premier lieu la question de la prescription quinquennale. La cour constate que l’appel ne vise pas la décision du premier juge en ce que celui-ci a considéré la demande prescrite pour la période antérieure au 4 août 2010, et ce eu égard à la mise en demeure interruptive de prescription qui a été adressée le 4 août 2015, par laquelle l’ensemble des demandeurs originaires ont mis la Commune en demeure de payer les arriérés de rémunération. La question porte dès lors sur le droit aux allocations pour la période ultérieure, à savoir du 4 août 2010 au 31 mars 2015 (vu l’intégration du service d’incendie à la zone de secours à partir du 1er avril).

La cour examine ainsi le statut pécuniaire du personnel communal statutaire, qui contient la clause selon laquelle l’ancienneté de fonction de cinq ans est requise pour l’octroi de l’allocation pour travail de nuit, de samedi ou de dimanche.

Cette clause est contestée par les pompiers au motif d’une violation des articles 10 et 11 de la Constitution et de l’existence d’une discrimination indirecte sur la base de l’âge, celle-ci étant incompatible avec la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

La cour rappelle les principes à respecter par l’employeur public en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération du personnel : celui-ci est tenu de respecter les principes d’égalité et de non-discrimination tels qu’ils résultent des articles 10 et 11 de la Constitution. Dans un arrêt du 16 juin 2014 (Cass., 16 juin 2014, n° C.12.0402.F), la Cour de cassation a rappelé que cette règle est d’ordre public.

Le principe d’égalité s’oppose à ce que des catégories de personnes se trouvant dans une situation comparable au regard de la mesure considérée soient traitées de manière différente, sauf justification objective et raisonnable.

La comparabilité des catégories distinguées ainsi que l’objectivité du critère utilisé ne sont pas discutées par les parties, ce que la cour relève expressément, renvoyant à deux arrêts de la Cour constitutionnelle (C. const., 9 juillet 2013, n° 103/2013 et C. const., 22 septembre 2011, n° 144/2011), celle-ci ayant jugé que les pompiers volontaires et les pompiers professionnels constituent des catégories comparables dès lors qu’ils accomplissent les uns et les autres des missions semblables dans un même corps.

La cour renvoie également à l’arrêt CADMAN de la Cour de Justice (C.J.U.E., 3 octobre 2006, Aff. n° C-17/05, CADMAN c/ HEALTH & SAFETY EXECUTIVE, EU:C:2006:633) pour les deux catégories de pompiers professionnels (ceux qui ont moins de cinq ans de fonction et ceux qui ont cette ancienneté). La Cour de Justice n’interdit cependant pas, dans son arrêt ci-dessus, une différence de traitement rémunératoire en fonction de l’ancienneté, celle-ci devant être objectivement et raisonnablement justifiée.

La cour analyse ainsi la nature des allocations, qui tendent à compenser la pénibilité des prestations effectuées. Elle rejette l’argument de la Commune selon lequel il s’agirait de la valorisation de l’expérience acquise, celle-ci faisant également valoir des considérations budgétaires, considérant que rien ne justifie que des prestations identiques, effectuées au sein du même corps et dans des conditions identiques, soient indemnisées différemment. Elle relève sur ce point que la pénibilité et l’atteinte à la vie familiale et sociale sont les mêmes pour tout pompier, quelle que soit son ancienneté.

Elle renvoie aux arrêts de la Cour du travail de Bruxelles des 14 septembre 2015 et 20 janvier 2020 (C. trav. Bruxelles, 14 septembre 2015 et 20 janvier 2020, R.G. 2012/AB/592), qui a tranché sur la distinction faite dans une autre commune pour l’octroi de la même allocation entre pompiers volontaires et pompiers professionnels. A fortiori, la cour considère que cette jurisprudence doit s’appliquer ici. L’égalité de traitement entre les deux catégories de pompiers professionnels a été rompue par la Commune et la cour en constate l’illégalité. Elle décide en conséquence d’écarter les termes « dès qu’ils comptent une ancienneté de cinq ans de fonction au sein du service communal d’incendie » constitutifs de la discrimination prohibée, écartement intervenant sur la base de l’article 159 de la Constitution.

La cour aborde, en conséquence, les montants dus, dont le total est de l’ordre de 343.000 euros.

Sur la question de la rémunération des heures de formation, s’agissant d’heures suivies en-dehors des heures de service, la cour examine les clauses du règlement d’ordre intérieur de la Commune concernant celles-ci. Il s’agit de formations pour les brevets de caporal et sergent (et autopompe). Ces formations sont complémentaires par opposition à des formations obligatoires (étant celles légalement imposées) et ont été suivies en-dehors des heures de service.

Pour la cour, il s’agit d’heures supplémentaires. Elle renvoie à l’article 8 de la loi du 14 décembre 2000 fixant certains aspects de l’aménagement du temps de travail dans le secteur public, qui prévoit un repos compensatoire. Or, les heures n’ont pas été récupérées. La cour relève que ni la loi elle-même ni la Directive européenne n° 93/104 (actuellement 2003/88) qu’elle transpose ne règlent la question de la rémunération et que ni l’une ni l’autre ne peuvent dès lors servir de fondement au droit à la rémunération des heures supplémentaires.

D’autres fondements doivent dès lors être recherchés et la cour se réfère à l’arrêté royal du 19 avril 2014 relatif au statut administratif du personnel opérationnel des zones de secours. Vu le transfert (à raison de septante heures), les heures supplémentaires ont pu être transférées vers celles-ci à partir du 1er avril 2015. La question se pose dès lors des heures qui n’ont pas été transférées. N’ayant pas été récupérées, la cour relève qu’aucune disposition n’interdit, ni en droit interne ni en droit communautaire, qu’elles soient rétribuées si elles n’ont pas pu être récupérées, et ce contrairement à la matière des congés payés, où la Directive n° 2003/88 prévoit en son article 7, point 2, que la période minimale de congés annuels payés ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relations de travail.

En ne rémunérant pas les heures litigieuses, la Commune a contrevenu à la loi du 12 avril 1965 et l’indemnisation correspondante est due.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Bruxelles est ici saisie d’une discrimination à l’intérieur d’une même catégorie de pompiers, étant des pompiers professionnels. Elle rappelle les avancées faites par l’affaire MATZAK, qui avait constaté l’existence d’une discrimination entre pompiers volontaires et pompiers professionnels. Cette affaire avait d’ailleurs donné lieu à un arrêt de la Cour de Justice (C.J.U.E., 21 février 2018, Aff. n° C-518/15, VILLE DE NIVELLES c/ MATZAK, EU:C:2018:82). Le débat était essentiellement relatif à la notion de « temps de travail » et de « période de repos », s’agissant de temps de garde. La Cour de Justice avait considéré que l’article 2 de la Directive n° 2003/88 doit être interprété en ce sens que le temps de garde qu’un travailleur passe à domicile avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de huit minutes, restreignant très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités, doit être considéré comme du temps de travail.

Après cet apport jurisprudentiel important, la Cour du travail de Bruxelles avait repris l’examen de la demande des pompiers volontaires et rendu l’arrêt auquel il est ici fait référence (C. trav. Bruxelles, 20 janvier 2020, R.G. 2012/AB/592 – précédemment commenté).

Dans celui-ci, elle avait condamné l’employeur public au paiement d’un euro provisionnel au titre de dommages et intérêts découlant de l’infraction de non-paiement de la rémunération, s’agissant d’une violation de la loi du 12 avril 1965, dans la mesure où les heures de garde à domicile n’avaient pas donné lieu au paiement de l’indemnité de garde prévue au statut pécuniaire des agents de la Ville.

Dans l’arrêt du 9 septembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles (autrement composée) retient le même fondement, le litige lui soumis ne présentant cependant pas la difficulté de la qualification (temps de travail ou période de repos), s’agissant de manière évidente de prestations effectuées. Ceci vaut bien sûr pour le droit aux prestations nocturnes du samedi et du dimanche, mais également pour des formations complémentaires effectuées en-dehors du temps de travail, au-delà de la formation légale obligatoire.


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