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Licenciement : examen des motifs au regard de la C.C.T. n° 109 et des règles anti-harcèlement

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 18 novembre 2021, R.G. 20/2.446/A

Mis en ligne le mardi 31 mai 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 18 novembre 2021, R.G. 20/2.446/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 18 novembre 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle que la mésentente sur les lieux du travail est un motif raisonnable de rupture, celle-ci n’empêchant cependant pas l’application de la législation prohibant le harcèlement moral et sexuel sur les lieux du travail.

Les faits

Une employée d’un bureau d’architectes-experts, engagée en 2013, a été victime d’un burnout en 2016 et a été mise en incapacité de travail. Au cours de celle-ci, elle se voit notifier son congé avec préavis à prester. Cette notification intervient par voie d’huissier. Elle demande à connaître les motifs de son licenciement, conformément à la C.C.T. n° 109. La réponse de l’employeur porte à la fois sur la diminution du volume de travail administratif et sur la qualité de son travail. La secrétaire introduit une demande d’évaluation de réintégration auprès du Service extérieur de protection et de prévention du travail et celui-ci conclut qu’elle ne peut reprendre le travail convenu, non plus que tout autre travail, chez l’employeur. La force majeure médicale est ainsi constatée.

Une procédure est introduite par l’employée, qui considère à la fois que le licenciement est manifestement déraisonnable et qu’elle a été victime, pendant toute la période d’occupation, de harcèlement moral de la part d’un des associés et de harcèlement sexuel de la part des deux autres.

La décision du tribunal

Pour ce qui est de l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal note qu’un mois avant le licenciement, l’intéressée avait écrit à ses employeurs à propos d’une question de commission paritaire applicable, celle-ci étant à son sens la C.P. n° 336 et non la C.P. 200. Un mois après, elle fut licenciée. Le jour du licenciement, elle avait saisi le Contrôle des lois sociales pour obtenir la régularisation de sa situation, l’employeur n’ayant pas, au moment du licenciement, été informé de cette démarche. Le tribunal note que la régularisation salariale demandée est intervenue ultérieurement, suite à la visite d’un inspecteur du Contrôle des lois sociales.

Le lien entre la demande de régularisation et le licenciement n’est pas déterminant dans l’appréciation du caractère manifestement déraisonnable de celui-ci, eu égard aux explications détaillées données par l’employeur dans sa réponse à la demande relative au motif de la rupture. Le tribunal conclut son examen sur la question, estimant qu’il était raisonnable de mettre fin à la relation de travail, l’employeur démontrant d’une part qu’il s’était engagé depuis quelques années sur le chemin de la digitalisation, qui a entraîné une baisse significative du travail administratif, et de l’autre que la relation de travail avait évolué négativement, cette évolution n’étant cependant pas exclusivement imputable à l’intéressée.

Le tribunal aborde ensuite la question de l’indemnisation postulée sur la base de l’article 32ter de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs, accordant des développements importants à la question de la définition du harcèlement.

Depuis la modification légale ayant pris effet au 1er septembre 2014, le harcèlement a une définition plus claire, qui permet, selon le tribunal, d’éviter l’amalgame. Elle permet en effet de distinguer les directives et les instructions de l’employeur qui forment la substance de l’engagement du travailleur de celles qui ne le sont pas et sortent de ce cadre. Il rappelle que l’exercice de l’autorité et du pouvoir disciplinaires n’est pas en soi constitutif de harcèlement, même si le travailleur concerné le ressent de manière blessante, insultante ou humiliante. De même, échappe à la définition un conflit entre personnes.

La question est dès lors de savoir si l’employée a été harcelée, que ce soit sur le plan moral ou sexuel, au sens de cette définition légale. Le tribunal note une mésentente récurrente entre la secrétaire et les associés, mésentente qui a d’ailleurs abouti à la conclusion que la décision de rupture était raisonnable.

Il retient cependant que celle-ci était surtout due au comportement d’un associé déterminé et qu’il ne s’agit pas d’un hyperconflit, qui suppose des attaques mutuelles entre des personnes qui occupent des positions sensiblement similaires.

Le tribunal examine des courriels adressés par l’associé en cause, courriels ayant un ton désobligeant, méprisant, voire offensant. Le tribunal retient à cet égard non seulement le contenu mais également la forme : l’usage de majuscules, d’une police de taille 36, ainsi que du rouge. Pour le tribunal, il y a d’autres manières de s’adresser à un collaborateur et l’employeur aurait dû apporter aux problèmes rencontrés une réponse plus constructive, l’intéressée n’adoptant pas une attitude, dans ses réponses, qui eût pu entretenir de tels agissements.

Il rappelle que, dans le contrat de travail, les deux parties ne sont pas égales, l’employeur disposant d’un pouvoir d’autorité sur le travailleur, mais qu’il doit en user avec mesure, conformément aux articles 16 et 20 de la loi du 3 juillet 1978, c’est-à-dire dans le respect et les égards mutuels.

S’agissant ici, selon le jugement, d’un « usage impropre de la communication écrite » (mais aussi probablement verbale), il pourrait s’agir d’un management déficient et non véritablement d’un comportement harcelant. Cependant, d’autres éléments sont pointés, notamment un incident relatif à une absence pour incapacité de travail, l’employeur imputant à ce sujet un « mensonge » à l’employée. Pour le tribunal, l’accusation selon laquelle elle se serait rendue chez son médecin « pour obtenir un certificat » est une forme de management inefficace, désastreux et blessant, dans la mesure où un lien hasardeux est fait entre la réalité, la gravité, la sincérité d’une incapacité et la sortie autorisée (17e feuillet).

Le ton du courriel confirme l’absence de symétrie dans les rapports contractuels et l’existence d’une relation qui pourrait s’apparenter à du « dominant-dominé ». En outre, d’autres comportements vexatoires sont relevés, notamment la facturation d’un état des lieux effectué quatre ans avant le licenciement, prestation qui avait été assurée comme un service à l’époque et qui, quelques jours après le licenciement, fait l’objet d’une facturation pour un montant important. Le tribunal retient qu’il s’agit également d’une tentative de déstabilisation et/ou d’intimidation, d’autant qu’aucune suite n’a été réservée ultérieurement à cette facture.

Pour ce qui est du harcèlement sexuel, il est question de nouveau de courriels adressés à l’intéressée, renvoyant à des liens vers des sites à caractère sexuel ou des publicités du même genre.

Le tribunal retient que rien n’étaye la position de l’employeur, selon lequel il y avait consentement à tout le moins implicite de l’employée. Il conclut que « la sexualité n’a pas grand-chose à faire sur le lieu de travail » et que l’envoi de courriels graveleux ou offensants est constitutif d’indices de harcèlement sexuel.

Les deux formes de harcèlement sont admises, la présomption n’étant pas renversée pour le harcèlement sexuel.

Il est dès lors fait droit à l’indemnité postulée, étant le forfait de six mois.

Intérêt de la décision

Le Tribunal du travail de Liège (division Liège) a rendu ici un jugement nuancé et tout à fait conforme aux principes légaux en matière de contrôle du motif de licenciement et de harcèlement.

Sur la première question, il est de jurisprudence constante que la seule constatation d’une mésentente entre travailleurs ou entre un travailleur et l’employeur constitue un motif autorisé de rupture du contrat, motif tiré des nécessités de fonctionnement de l’entreprise. N’est pas en cause, dans cet examen, la détermination du responsable de la mésentente en cause, mais son simple constat, qui nuit à l’organisation de l’entreprise.

Par contre, le comportement de l’employeur ainsi que celui du travailleur peuvent faire l’objet d’un examen approfondi dans le cadre de la législation prohibant le harcèlement au travail. En l’espèce, le harcèlement moral est avéré et le harcèlement sexuel est admis en ce que les éléments du dossier font apparaître des indices de celui-ci et que la présomption n’est pas renversée.

Il s’agit ici d’un motif qui est lié au comportement de l’employeur, comportement apprécié en fonction des critères généralement retenus comme constituant le harcèlement prohibé.

A diverses reprises, le tribunal souligne la distinction à faire entre ce qu’il qualifie de « management déficient » et le « comportement harcelant ». Cette nuance est importante, le mauvais management n’étant pas susceptible de donner lieu à l’application de la loi.

Enfin, l’on notera que le tribunal a également relevé l’absence de symétrie dans la relation de travail, situation qui, si elle est due à la mise en présence de parties qui ne sont pas sur pied d’égalité, ne peut aboutir à l’instauration d’une relation « dominant-dominé », celle-ci devenant un abus de droit de l’autorité confiée à l’employeur par les articles 16 et 20 de la loi relative aux contrats de travail, autorité dont il ne peut que faire un usage normal dans le cadre du respect des égards mutuels imposés par l’article 20 de la loi.


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