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Limitation à 25% de l’indemnisation de l’incapacité permanente de travail suite à un accident du travail dans le secteur public : une mise au point de la Cour du travail de Liège (division Namur)

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 23 novembre 2021, R.G. 2017/AN/213

Mis en ligne le mardi 31 mai 2022


Cour du travail de Liège (division Namur), 23 novembre 2021, R.G. 2017/AN/213

Terra Laboris

Dans son arrêt du 23 novembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Namur), statuant après l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 14 janvier 2021, conclut à l’obligation de prendre en compte dans la limitation de l’indemnisation de l’incapacité permanente suite à un accident du travail survenu dans le secteur public un taux d’incapacité déjà reconnu suite à un accident du travail survenu précédemment dans le secteur privé.

Rétroactes

La Cour du travail de Liège (division Namur) a rendu un arrêt en date du 27 novembre 2018 en cette affaire, interrogeant la Cour constitutionnelle.

Les faits concernaient une travailleuse, qui avait relevé précédemment du secteur privé et qui, suite à un accident du travail était indemnisée dans le cadre de l’incapacité permanente, à concurrence de 19% d’I.P.P. Elle entra ensuite à l’O.N.E. et fut victime d’un nouvel accident du travail, celui-ci étant à indemniser dans le cadre du régime applicable au secteur public sur la base d’une incapacité permanente de 12%.

L’O.N.E. l’avait informée qu’en application de l’article 6 de la loi du 3 juillet 1967, la rente devait être limitée à 25%, et ce dans la mesure où elle continuait à exercer ses fonctions. En conséquence, l’O.N.E. considérait devoir limiter la rente due pour le second accident à 6%.

Interrogée, FEDRIS répondit que cette limitation n’était pas applicable, ne pouvant concerner que l’indemnisation de deux accidents du travail dans le secteur public.

La cour du travail procéda, ainsi, dans son arrêt du 27 novembre 2018, à un examen approfondi de la question et trouva nécessaire d’interroger la Cour constitutionnelle. Celle-ci (à l’époque Cour d’arbitrage) était déjà intervenue dans un arrêt du 5 décembre 2002 (C. const., 5 décembre 2002, n° 176/2002), considérant que cette disposition était applicable aussi bien aux victimes d’un seul accident que d’accidents successifs (dont le nombre est indifférent). Les rentes et allocations du secteur privé n’étaient cependant pas visées.

La cour du travail se déclara sensible à l’argument de l’O.N.E. relatif à la discrimination possible entre les victimes d’accidents successifs, le dernier étant indemnisé conformément à la loi du 3 juillet 1967, dès lors que les victimes conservent l’exercice de fonctions, et ce selon que le premier accident est réparé dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967 ou dans celui de la loi du 10 avril 1971. Dans la première hypothèse, le maximum de l’indemnisation est 25% de la rémunération de base et, dans la seconde, il n’y a pas de limitation.

Renvoyant aux principes dégagés par la Cour constitutionnelle dans sa jurisprudence, la cour du travail releva que la différence de traitement pourrait être légitimée par les différences objectives entre les deux secteurs. Elle considéra cependant qu’il y avait lieu, en application de la loi du 6 janvier 1989, de poser une question préjudicielle. Celle-ci porte sur la violation possible des articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que l’article 6 traite de manière différente deux catégories de personnes se trouvant dans une situation comparable : d’une part les victimes d’accidents du travail tous indemnisés dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967 (avec limitation) et d’autre part les victimes d’accidents du travail dont certains sont indemnisés dans le secteur privé (avec absence de limitation).

La Cour constitutionnelle répondit dans son arrêt du 14 janvier 2021 (C. const., 14 janvier 2021, n° 1/2021) que l’article 6, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne réduit pas le montant d’une rente pour incapacité permanente de travail attribuée en application de cette loi lorsqu’il est inférieur à la limite de 25% que cette disposition prévoit et lorsque la somme de cette rente et d’une rente viagère perçue par la même personne en application de l’article 24, dernier alinéa, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail excède cette limite, alors qu’il réduit le montant d’une rente pour incapacité permanente de travail attribuée en application de la loi du 3 juillet 1967, au motif que la somme de cette rente et d’une autre rente du même type excède la limite de 25%.

La décision de la cour du travail du 23 novembre 2021

La cour du travail rappelle que la limitation à 25% prévue à l’article 6, § 1er, de la loi, aussi longtemps que la victime conserve l’exercice de fonctions, devrait s’appliquer en cas de succession d’accidents du travail aux rentes et allocations cumulées indemnisant ceux-ci, pour autant qu’elles soient payées dans le régime applicable au secteur public. Les rentes et allocations (en ce compris l’allocation d’aggravation) relatives à un accident antérieur survenu notamment dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 ne devraient pas entrer en ligne de compte. Cependant, renvoyant à l’arrêt du 14 janvier 2021 ci-dessus, la cour conclut que son interprétation selon laquelle les accidents survenus dans le secteur privé ne devraient pas être pris en compte doit être écartée en raison de sa contrariété aux articles 10 et 11 de la Constitution. Il en découle que l’indemnisation plafonnée vise non seulement l’accident antérieur dans le secteur public, mais aussi dans le secteur privé.

Ceci vaut, eu égard à l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 5 décembre 2002 ci-dessus, également pour les accidents successifs.

La cour déboute dès lors la victime de sa demande.

Intérêt de la décision

La position de la Cour du travail de Liège n’était pas sans fondement, celle-ci renvoyant à la ratio legis de la limitation, que les travaux préparatoires justifiaient par la circonstance que le dommage dans le secteur public serait plus limité compte tenu notamment de la stabilité d’emploi et des garanties offertes aux victimes qui conservent leur emploi.

La Cour constitutionnelle a pour sa part conclu qu’il n’est pas raisonnablement justifié d’une part de réduire le montant d’une rente d’incapacité permanente de travail attribuée en application de la loi du 3 juillet 1967 au motif que la somme de cette rente et d’une autre rente du même type excède la limite de 25% et d’autre part de ne pas réduire le montant d’une rente d’incapacité de travail en application de la loi du 3 juillet 1967 dont le montant est inférieur à cette limite lorsque la somme de cette dernière rente et d’une rente viagère perçue en application de l’article 24 de la loi du 10 avril 1971 excède celle-ci.

La Cour a renvoyé à son arrêt n° 176/2002, considérant que la limite imposée est raisonnable, l’article 6, § 2, de la loi du 3 juillet 1967 permettant à la victime de conserver une rémunération de même niveau après l’accident lorsque, devenue inapte à l’exercice des fonctions qu’elle exerçait en raison de celui-ci, elle a été affectée à l’exercice d’autres fonctions compatibles avec son nouvel état de santé auquel correspond normalement une rémunération inférieure à celle à laquelle elle avait droit au moment de l’accident.

Il y a dès lors lieu d’être attentif, pour l’application de cette limitation, aux « autres fonctions exercées », celles-ci devant être compatibles avec le nouvel état de santé du travailleur du secteur public.

Dans un arrêt du 18 octobre 2017 (C. trav. Bruxelles, 18 octobre 2017, R.G. 2016/AB/31 – précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles a rappelé à cet égard que, s’il entend limiter le paiement de la rente d’accident du travail à 25%, l’employeur public doit établir que l’intéressé a conservé l’exercice de fonctions pendant la période litigieuse. Ceci signifie exercice effectif (avec renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 8 octobre 2007, n° S.06.0060.F). Pour la cour, même si les travaux préparatoires ne sont pas « limpides », il s’est agi de viser l’agent victime d’un accident du travail qui est en mesure de poursuivre l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire qui est capable de continuer à exercer ses anciennes fonctions.


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