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Prestations aux personnes handicapées : point de départ du droit aux allocations en cas de révision médicale planifiée

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 janvier 2022, R.G. 2020/AL/182

Mis en ligne le mardi 31 mai 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 13 janvier 2022, R.G. 2020/AL/182

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 janvier 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2013, qui a tranché la question de la constitutionnalité de la non-rétroactivité de l’article 23, § 2, alinéa 5, de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière des allocations aux personnes handicapées en cas de révision d’office du droit aux allocations.

Les faits

Une assurée sociale a contesté devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) que l’Etat belge lui refuse une allocation de remplacement de revenus ainsi qu’une allocation d’intégration. Les motifs à ce refus sont, pour la première, relatifs aux revenus de l’intéressée et, pour la seconde, aux conditions médicales à remplir.

Dans le cadre de la contestation sur la réduction d’autonomie, le tribunal a désigné un expert et, suite au dépôt du rapport d’expertise, il a conclu à une réduction d’autonomie de douze points (dont deux en matière de difficultés de déplacement). En conséquence, les avantages sociaux et fiscaux correspondants ont été accordés, l’allocation d’intégration due étant celle de catégorie 3. L’allocation de remplacement de revenus a également été admise.

L’Etat belge a interjeté appel, contestant la date de prise de cours des allocations. La différence litigieuse porte sur deux mois, l’Etat belge considérant que celles-ci devaient être octroyées à partir du 1er septembre 2017 et non du 1er juillet.

La décision de la cour

Un premier point de discussion porte sur un argument relatif à l’autorité de chose jugée du jugement désignant l’expert, question qui donne lieu à un examen par la cour de l’article 19 du Code judiciaire. La cour conclut que le jugement en cause n’a pas tranché de manière définitive la date de prise de cours de l’éventuelle allocation d’intégration et qu’il n’a dès lors pas dessaisi le tribunal sur cette question. L’appel dirigé contre le jugement ne peut donc se voir opposer une défense tirée du caractère définitif de celui-ci.

Quant à la décision elle-même, la cour reprend l’article 8 de la loi du 27 février 1987, qui a confié au Roi la mission de déterminer la date de prise de cours des décisions administratives, et ce suite à une demande ou vu une révision.

Pour ce qui est des demandes, la cour en rappelle le mécanisme, précisant que celui-ci n’est pas en cause dans le litige, les dispositions à analyser et appliquer étant celles relatives aux révisions elles-mêmes. Il s’agit des articles 21 et suivants de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière d’allocations aux personnes handicapées.

Ces dispositions sont calquées sur les articles 17 et 18 de la Charte de l’assuré social. Les hypothèses visées ne sont pas celles de l’espèce et la cour se tourne dès lors vers l’article 23 du même arrêté royal. Son § 1er, alinéa 5, dispose qu’il est procédé d’office à une révision du droit à l’allocation d’intégration à la date fixée par une décision antérieure lorsque celle-ci a été prise sur la base d’éléments ayant un caractère provisoire ou évolutif. C’est la révision médicale planifiée.

Le § 2, alinéa 5, du même article dispose, à l’époque des faits (la cour l’examinant ainsi avant sa modification par un arrêté royal du 7 avril 2019, qui ne s’applique qu’aux décisions postérieures à son entrée en vigueur, fixée au 1er décembre 2019), que dans cette hypothèse la nouvelle décision va produire ses effets le premier jour du mois qui suit sa notification. Il n’y aucune distinction selon que la révision mène à une augmentation ou à une diminution des allocations, la Cour de cassation ayant été saisie de la question et ayant jugé dans un arrêt du 2 décembre 2013 (Cass., 2 décembre 2013, n° S.12.0123.F) que cette absence de distinction est raisonnablement justifiée.

En l’espèce, l’appel de l’Etat belge est fondé, dans la mesure où la décision porte la date du 1er août 2017 et qu’elle a été notifiée le même jour. La révision planifiée a été entamée le 30 juin 2017. La décision devait, en application des dispositions ci-dessus, prendre effet le premier jour du mois suivant sa notification, soit le 1er septembre 2017.

Enfin, la cour se saisit également de la question des chiffres, et ce par évocation. Elle détermine ceux-ci, confirmant la proposition de calcul de l’Etat belge.

Intérêt de la décision

La cour du travail renvoie ici à juste titre à l’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2013 (Cass., 2 décembre 2013, n° S.12.0123.F – précédemment commenté).

La Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 18 juin 2012, R.G. 2010/AB/297 – également précédemment commenté) avait considéré en cette affaire que l’article 23, § 2, alinéa 5 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière d’allocations aux personnes handicapées était discriminatoire et violait, en conséquence, les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle avait considéré que le principe de non-discrimination pouvait être mis en cause et que, si dans la majorité des cas la disposition légale est favorable à la personne handicapée, il n’y avait pas de justification raisonnable à traiter de manière identique deux catégories de personnes qui sont dans des situations différentes, étant ceux dont l’allocation va être réduite et ceux pour lesquels il y aura majoration.

Le pourvoi formé contre cet arrêt contenait un seul moyen. Celui-ci concerne l’article 23, § 2, alinéa 5 de l’arrêté royal, considérant qu’il ne concerne qu’un seul groupe de personnes, à savoir les personnes handicapées pour lesquelles une décision antérieure a été prise sur la base d’éléments à caractère provisoire ou évolutif et pour lesquelles il est procédé d’office à une révision du droit aux allocations. Au moment où cette révision est effectuée, le résultat de cet examen de même que l’effet sur le droit aux allocations sont inconnus. Il n’y a dès lors pas deux groupes de personnes se trouvant dans des situations différentes. Le moyen considère que la distinction faite par l’arrêt ne résulte pas de l’application de la disposition légale mais des faits.

La Cour de cassation a conclu que la faculté pour la personne handicapée d’introduire une nouvelle demande, sans attendre la révision d’office, et d’obtenir ainsi une majoration de ses allocations à la date de la demande (ou à une date antérieure) justifie raisonnablement l’application uniforme de la non-rétroactivité de l’article 23, § 2, alinéa 5 en cas de révision d’office. Cette disposition permet en effet d’introduire une nouvelle demande lorsque selon le demandeur lui-même des modifications sont intervenues qui justifieraient l’augmentation de l’allocation, cette nouvelle demande pouvant tendre à une révision de l’appréciation de la capacité de gain ou du degré d’autonomie, en raison d’un changement de son état physique ou psychique ou du fait qu’il satisfait aux autres conditions d’octroi.

Nous avions souligné à l’époque que l’importance de cet arrêt n’échapperait pas. Lorsqu’un bénéficiaire d’allocations considère que son état s’est aggravé et qu’est par ailleurs prévue une révision médicale planifiée, il a intérêt à introduire, parallèlement, une demande d’aggravation, conformément à l’article 17, § 1er, de l’arrêté royal du 22 mai 2003, et ce eu égard à la date de prise d’effet de l’aggravation qui serait constatée et à son incidence sur le taux de l’allocation. Il ne doit, en conséquence, pas attendre la révision d’office, puisque l’article 23, § 1er, alinéa 5, du même arrêté royal n’a pas d’effet rétroactif.


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