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Indemnisation en cas de résolution judiciaire du contrat de travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 8 octobre 2021, R.G. 19/3.879/A

Mis en ligne le lundi 13 juin 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 8 octobre 2021, R.G. 19/3.879/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 octobre 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) accueille une demande de résolution judiciaire du contrat de travail, déboutant cependant la demanderesse de dommages et intérêts fixés à l’équivalent de l’indemnité compensatoire de préavis.

Les faits

Une employée a convenu, avec son employeur, en cours de contrat, de pouvoir prester partiellement à son domicile. Elle exerce les fonctions de responsable des achats, de la logistique, etc., ainsi que de responsable qualité.

Suite au rachat de l’entreprise, des discussions interviennent très rapidement quant à la nature des fonctions et à la place dans l’intéressée dans l’organigramme, celle-ci étant précédemment placée en-dessous du directeur général. Se pose concrètement la question du maintien de la fonction. Via son conseil, l’intéressée interpelle la direction de la société, estimant que celle-ci envisage une modification unilatérale d’éléments essentiels du contrat.

Elle tombe en incapacité de travail et introduit une procédure en résolution judiciaire.

Les jugements du tribunal du travail

Le tribunal a rendu un premier jugement le 4 février 2020, ordonnant une médiation. Celle-ci n’a pas abouti et l’affaire a fait l’objet d’une ordonnance sur pied de l’article 747, § 1er, du Code judiciaire, en vue de son instruction par les parties.

Le 8 octobre 2021, le Tribunal rend le présent jugement.

Position des parties devant le tribunal du travail

La demanderesse sollicite la résolution judiciaire du contrat aux torts de la société. Elle fait valoir que, malgré l’autorisation de prester (une partie du temps) à son domicile, il lui est imposé de revenir travailler au siège tous les jours. Il y a une modification du lieu de travail et du temps de déplacement, de manière importante et fautive.

Elle souligne également avoir perdu, dans la réorganisation intervenue suite au rachat de la société, une assistante administrative personnelle et s’être vu retirer des fonctions de responsabilité. Elle conteste l’existence de motifs économiques justifiant les modifications imposées.

La société conteste pour sa part avoir commis des manquements graves, considérant que la fonction est maintenue ainsi que les moyens pour l’exercer. Elle se réfère au contrat, selon lequel les prestations sont effectuées au siège, l’accord verbal intervenu entre la demanderesse et le directeur de l’époque (en 1992) étant une norme hiérarchiquement inférieure au contrat de travail ainsi qu’au règlement de travail. S’il fallait retenir des modifications contractuelles, celles-ci sont peu importantes et relèvent du ius variandi de l’employeur. La société justifie la réorganisation intervenue par la nécessité d’instaurer un mangement plus collaboratif et participatif.

La décision du tribunal

Dans le jugement du 8 octobre 2021, un premier rappel est effectué par le tribunal de la question de la résolution judiciaire du contrat de travail.

Les modes de dissolution du contrat de droit civil sont en effet admis dans la loi du 3 juillet 1978.

La résolution judiciaire ne peut être prononcée que si le manquement est dû à une faute du débiteur de l’obligation et donc à une inexécution d’une obligation qui engage sa responsabilité. Deux conditions sont posées pour que ce manquement soit retenu, étant qu’il doit être suffisamment important pour entraîner la résolution et qu’il doit revêtir une certaine gravité. Ne peuvent être invoqués un motif d’équité, un manquement anodin, un manquement à une obligation secondaire, ou encore un manquement peu important.

Le tribunal rappelle sur le plan de la preuve que l’existence d’un manquement et son caractère de gravité suffisante doivent être prouvés par celui qui sollicite la résolution judiciaire.

En cas de modification d’une condition essentielle de la fonction, celle-ci peut être demandée, le fondement de cette action étant ici l’article 1134 du Code civil. Le tribunal souligne que, si les conventions légalement formées tiennent lieu, en vertu de cette disposition, de loi à ceux qui les ont faites et qu’elles ne peuvent dès lors être modifiées que de leur consentement mutuel, ce principe n’est pas absolu et qu’une modification peut intervenir à l’initiative tant de l’une que de l’autre partie. Le ius variandi de l’employeur a vu sa portée limitée, la Cour de cassation ayant jugé que ne peuvent être modifiés unilatéralement les éléments essentiels du contrat ainsi que les éléments accessoires convenus par les parties (avec renvoi notamment à Cass., 13 octobre 1997, n° C.95.0145.F).

Quant à la détermination des éléments essentiels, il y a lieu de rechercher l’intention des parties. Le juge doit sur ce point vérifier si l’élément en question constitue un élément à défaut duquel le travailleur n’aurait pas conclu le contrat ou qui fait l’objet d’une description particulièrement détaillée. Cet examen peut résulter non seulement de l’analyse du contrat, mais également de l’exécution de la relation contractuelle, via la correspondance, l’organigramme, etc. La question du lieu de travail à cet égard se vérifie, outre par l’examen du contrat, par la nature de l’emploi ou des fonctions exercées.

Le tribunal rappelle encore que la modification doit être intervenue de manière définitive, étant qu’elle doit être certaine et exécutée.

Le contrôle du juge quant à l’existence d’une modification d’un élément essentiel ou non passe par l’examen des intérêts en présence, s’agissant d’effectuer un équilibre entre l’intérêt personnel du travailleur et l’intérêt économique de l’employeur.

Le lieu de travail est en principe un élément essentiel du contrat de travail, mais seules les modifications importantes de celui-ci entraînent la rupture irrégulière du contrat. C’est en l’occurrence une condition contractuelle qui a été exécutée pendant vingt-deux ans par une employée administrative et le tribunal retient que c’est un élément essentiel.

Quant à la contrariété avec le contrat de travail et le règlement de travail, le tribunal analyse la situation comme résultant d’un usage et rappelle que la jurisprudence et la doctrine posent des conditions pour qu’un usage soit considéré comme source de droit, étant qu’il doit être stable, constant et général, critères qu’il définit avec renvoi à de nombreuses décisions. L’usage est incorporé dans le contrat de travail en application des articles 1160 (qui dispose que l’on doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées) et 1135 du Code civil (selon lequel les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature).

Vu l’ensemble des éléments de fait, le tribunal conclut à la faute de l’employeur, faute grave au point de justifier la résolution judiciaire, prononcée au dernier jour des prestations.

Il en vient ainsi à l’examen du dommage et rappelle à cet égard que la partie qui demande la résolution judiciaire peut postuler des dommages et intérêts, mais que ceux-ci doivent être fonction du préjudice réel subi suite à la résiliation du contrat. En conséquence, la preuve du dommage ainsi que son étendue doivent être établies, même si, comme le relève le jugement, une partie de la jurisprudence tend à considérer que le dédommagement consiste en une indemnité de rupture (renvoyant ici à M. DAVAGLE, La résolution judiciaire du contrat de travail, Guide juridique de l’entreprise – Traité théorique et pratique, 2e éd., www.jura.be).

La demanderesse postulant l’équivalent de l’indemnité compensatoire de préavis, elle reste en défaut de prouver et de justifier son dommage, le tribunal considérant que la résolution du contrat constitue en elle-même une réparation satisfaisante. Le tribunal renvoie pour cette conclusion à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 22 juin 2016 (C. trav. Bruxelles, 22 juin 2016, R.G. 2014/AB/385, J.T.T., 2016, p. 358).

Enfin, sur une demande d’indemnité pour harcèlement moral, le tribunal déboute l’intéressée au motif qu’elle n’établit pas l’existence de celui-ci. Il procède de même pour une demande relative à des indemnités pour travail à domicile, la demanderesse ayant perçu un montant forfaitaire mensuel destiné à couvrir l’ensemble des frais relatifs à l’accomplissement de sa fonction.

Intérêt de la décision

Comme l’a rappelé le tribunal du travail, la difficulté soulevée en l’espèce concerne l’indemnisation du travailleur qui postule la résolution judiciaire du contrat de travail.

Deux solutions se rencontrent en effet, étant d’une part l’octroi d’une indemnité compensatoire de préavis et de l’autre une indemnisation de droit commun, pour laquelle le travailleur doit établir son préjudice.

L’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 7 juin 2013 (C. trav. Liège, 7 juin 2013, R.G. 2012/AL/268), qui admis l’octroi de dommages et intérêts évalués par rapport au préjudice correspondant dans le chef du travailleur aux avantages financiers dont il aurait bénéficié pendant le préavis convenable auquel il aurait pu prétendre, outre le dommage moral que constituent pour lui une fin de carrière brisée et les problèmes de santé consécutifs aux fortes pressions dont il a fait l’objet (ces éléments étant décrits de façon circonstanciée dans les rapports médicaux produits aux débats). L’ensemble de ces éléments ont été en l’espèce admis à concurrence de 70.000 euros, deux tiers intervenant en réparation du dommage matériel et un tiers pour le dommage moral.


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