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Droits d’auteur et droits voisins : cumul avec les allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 novembre 2021, R.G. 2019/AB/896

Mis en ligne le mardi 14 juin 2022


Cour du travail de Bruxelles, 3 novembre 2021, R.G. 2019/AB/896

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 novembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la modification introduite par un arrêté royal du 7 février 2014 en la matière : les droits d’auteur, droits voisins ou droits d’exploitation sont, lorsqu’ils n’ont pas été soumis à des retenues de sécurité sociale, à prendre en compte pour le calcul de la limitation du cumul autorisé par l’article 130 de l’arrêté royal organique.

Les faits

Un artiste (comédien et metteur en scène) bénéfice du statut d’artiste dans le cadre de la réglementation chômage. Etant généralement occupé dans le cadre de contrats de courte durée, il perçoit des allocations de chômage entre ceux-ci et échappe à la dégressivité.

Il est convoqué par l’ONEm en octobre 2017, au motif que le revenu de son activité pour une année déterminée (2014) aurait dépassé le montant de référence de l’article 130 de l’arrêté royal organique.

Il s’agit, ainsi qu’il l’explique lors de son audition, de la perception de droits d’auteur pour l’année en cause. L’ONEm lui annonce la récupération de la différence (7,94 euros) sur chaque allocation perçue. Il fait part de son désaccord.

La décision administrative qui lui est notifiée confirme la récupération, sur la base du montant journalier tel que calculé.

Il lui est expliqué que sont pris en compte les revenus nets imposables, le montant journalier étant obtenu en divisant les revenus annuels par 312. Dans ce calcul n’interviennent pas les revenus découlant d’une activité salariée ou d’une occupation statutaire, non plus que les revenus provenant d’activités artistiques ayant définitivement pris fin avant le début de la période de chômage ou qui ont déjà pris fin depuis deux années calendrier consécutives.

L’ONEm lui réclame, en conséquence, un montant de l’ordre de 1.000 euros.

L’intéressé demande à l’administration de revoir sa décision, exposant que les activités artistiques ont été exercées exclusivement dans le cadre de contrats de travail de courte durée, ceux-ci ayant été régulièrement communiqués à l’organisme de paiement et les cartes de contrôle ayant été complétées. Ces revenus n’ont pas, pour lui, été perçus pendant une période de chômage.

L’essentiel de la contestation porte ainsi sur la circonstance que, pour l’année en cause, une partie de la rémunération afférente à certains contrats de travail a été perçue sous la forme de droits d’auteur non soumis aux retenues de sécurité sociale. Les droits d’auteur ont été perçus, comme il l’explique, en même temps que la rémunération et en exécution du contrat de travail, soit avant le début du chômage consécutif audit contrat.

Pour l’ONEm, l’article 130, § 1er, 6°, de l’arrêté royal organique s’applique au chômeur qui perçoit au cours de l’année civile des revenus tirés de l’exercice d’une activité artistique de création ou d’interprétation. Il est tenu compte de tous les revenus découlant directement ou indirectement de cet exercice, à l’exception du revenu provenant d’une occupation statutaire ou de la partie de celui-ci tirée de l’exercice d’une activité assujettie à la sécurité sociale des travailleurs salariés lorsque des retenues ont été effectuées (sur tout ou partie de celui-ci).

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon.

Parallèlement, une autre décision est prise concernant un exercice ultérieur.

Le jugement du tribunal

Dans son jugement du 12 novembre 2019, le Tribunal du travail du Brabant wallon confirme les décisions de l’ONEm mais condamne celui-ci ainsi que la CAPAC in solidum au paiement d’une somme de 1.000 euros au titre de dommages et intérêts, accueillant une demande reconventionnelle de l’artiste, qui considère ne pas avoir été informé alors qu’il a eu des contacts réguliers avec la CAPAC et que celle-ci a en conséquence commis une faute en lien causal direct avec le dommage subi. Quant à l’ONEm, il lui reprochait de ne pas avoir pris de décision lui indiquant qu’à partir de la modification réglementaire de 2014, ses droits d’auteur pourraient donner lieu à la révision de ses allocations.

L’ONEm et la CAPAC interjettent appel.

La décision de la cour

La cour résume l’objet de la contestation : il s’agit de la prise en compte, dans le cadre de la limitation du cumul autorisé à l’article 130, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, des revenus que l’intéressé a perçus au titre de droits d’exploitation en marge de ses contrats de travail. Il s’agit de conventions de cession des droits d’exploitation par lesquelles celui-ci a accordé, moyennant un montant brut forfaitaire, le droit d’exploiter ses créations pendant une certaine période.

La cour renvoie aux articles 44 et suivants de l’arrêté royal et, particulièrement, à l’article 48bis ainsi qu’à l’article 130.

Un arrêté royal du 7 février 2014 est venu modifier l’article 130 (notamment) et a inséré dans l’arrêté royal un article 48bis (et abrogé l’article 74bis, notamment). L’article 48bis déroge aux articles 44 et 48 en permettant au chômeur qui exerce une activité artistique ou qui perçoit un revenu de cette activité de bénéficier d’allocations.

La cour reprend le détail de la disposition, soulignant que l’activité artistique exercée dans un contrat de travail entraîne la perte de l’allocation de chômage pour tous les jours qui se situent dans la période couverte par celui-ci, et ce « sans préjudice de l’application (…) de l’article 130 ». Le § 2 de l’article 130 prévoit la réduction des allocations dès lors que les revenus dépassent un certain plafond. S’agissant d’une activité artistique, le texte prévoit qu’il est tenu compte de tous les revenus découlant directement ou indirectement de son exercice, à l’exception du revenu tiré d’une activité exercée dans le cadre d’un statut ou d’une activité assujettie en tout ou en partie à la sécurité sociale des travailleurs salariés.

Pour la cour, la notion de « revenus à prendre en compte » doit être comprise largement : il s’agit, sans distinction de nature, de tous les revenus découlant directement ou indirectement de l’exercice d’une activité artistique. Est dès lors uniquement requis un lien avec l’exercice de cette activité.

La cour renvoie à deux arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 11 mars 2021, R.G. 2018/AB/410 et C. trav. Bruxelles, 27 mars 2021, R.G. 2018/AB/29). Contrairement à la situation antérieure, l’arrêté royal du 7 février 2014 a introduit une distinction à l’article 130, § 2, de l’arrêté royal. Actuellement, lorsqu’une activité artistique est exercée dans le cadre d’un contrat de travail, seul le revenu (ou la partie de celui-ci) soumis à des retenues de sécurité sociale échappe à l’application de la règle de cumul. Par contre, une indemnité sous forme de cession de droits d’auteur ou de droits voisins ou de droits d’exploitation allouée en vertu d’un contrat de travail et sur laquelle il n’y a pas eu de retenues de sécurité sociale entraîne l’application de celle-ci.

En conclusion, pour la cour, la combinaison des articles 48bis et 130, § 2, de l’arrêté royal fait que (i) l’article 130 s’applique au revenu qui découle de l’activité artistique, (ii) une activité artistique exercée dans le cadre d’un contrat de travail entraîne la perte des allocations pour toute la période couverte par ce contrat, et ce sans préjudice de l’application de l’article 130, et (iii) tous les revenus de cette activité artistique salariée sont pris en considération pour fixer le montant des allocations dans le cadre de l’article 130, § 2, sauf s’ils ont donné lieu à des retenues de sécurité sociale.

En l’espèce, une partie de la rémunération a été payée sous forme de droits d’auteur, ce qui représente une optimisation des charges sociales et fiscales. Les droits d’auteur perçus par l’intéressé à la fin des contrats de travail n’ayant pas été soumis à des retenues de sécurité sociale, ils doivent être pris en compte pour l’application de l’article 130, § 2. La cour relève – tout en s’interrogeant sur le choix du législateur – que, si cette situation n’est pas très différente de celle d’autres travailleurs bénéficiant de rémunérations défiscalisées (chèques-repas ou certains sursalaires d’heures supplémentaires), elle ne voit pas en l’état des textes de possibilité de déroger à la réglementation, qui est claire.

Enfin, sur la demande de dommages et intérêts, elle considère que le devoir d’information des organismes de sécurité sociale ne va pas jusqu’à obliger ceux-ci à attirer l’attention du chômeur sur les conséquences de la qualification de ses revenus en envisageant, outre les revenus de salarié et d’indépendant, toutes les qualifications alternatives auxquelles les employeurs peuvent recourir pour « optimiser » la rémunération des artistes qu’ils emploient. La CAPAC n’a dès lors pas commis de faute. Pour ce qui est de l’ONEm, la cour considère qu’il n’y a pas de dépassement du délai raisonnable, l’ONEm devant attendre les revenus communiqués par le SPF Finances.

Enfin, quant à la question de savoir si la bonne foi du chômeur pourrait être invoquée, la cour rappelle que, dans ce type de discussion, elle ne joue aucun rôle (renvoyant à plusieurs décisions de jurisprudence, dont C. trav. Bruxelles, 22 octobre 2020, R.G. 2019/AB/205 et C. trav. Mons, 11 juin 2020, R.G. 2019/AM/271).

Intérêt de la décision

La cour aborde dans cet arrêt la modification intervenue à l’article 130 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 par l’arrêté royal du 7 février 2014.

Précédemment, il n’était pas tenu compte des revenus tirés d’une activité artistique salariée, sans distinguer selon la nature de ces revenus. La Cour de cassation avait jugé dans deux arrêts (Cass., 15 octobre 2012, n° S.11.0061.N et Cass., 11 mars 2013, n° S.11.0093.N) que l’article 130, § 2, alinéa 3, n’instaurait pas de distinction selon la nature des revenus tirés de l’exercice d’une activité salariée, de sorte que l’indemnité allouée en vertu d’un contrat de travail pour la cession de droits voisins n’entrait pas en ligne de compte pour l’application de l’article 130, § 2, alinéa 1er, de l’arrêté royal. Ces revenus n’intervenaient dès lors pas, que ce soit sous forme de salaire ou de droits d’auteur perçus pour une activité artistique exercée en exécution d’un contrat de travail. Aucune référence n’était faite à la perception de retenues de cotisations sociales. Depuis la modification du texte, il est précisément prévu que seul le revenu ou la partie de ce revenu tirée de l’exercice d’une activité assujettie à la sécurité sociale et pour laquelle des retenues ont été opérées échappe au calcul effectué en application de l’article 130, § 2.

Ainsi, une indemnité sous forme de cession de droits d’auteur ou de droits voisins ou de droits d’exploitation, allouée en vertu d’un contrat de travail et qui n’a pas été soumise à des retenues de sécurité sociale, entre en compte pour la limitation du cumul de l’article 130, § 2.

Il s’agit, comme en l’espèce, d’une optimisation fiscale, qui n’est pas critiquable, mais pour laquelle des risques existent sur le plan des allocations de chômage. La situation mérite d’être soulignée.


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