Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 mars 2021, R.G. 2020/AL/304
Mis en ligne le mardi 14 juin 2022
Cour du travail de Liège (division Liège), 11 mars 2021, R.G. 2020/AL/304
Terra Laboris
Dans un arrêt du 11 mars 2021, la Cour du travail de Liège a rappelé l’arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2015, dont l’enseignement est que la sanction prévue à l’article 59sexies, § 6, de l’arrêté royal organique ne peut être modulée : le texte est conforme tant à la Constitution qu’à l’article 6 de la C.E.D.H.
Les faits
Un bénéficiaire d’allocations de chômage, soumis à la procédure d’activation de recherche d’emploi, signe un premier contrat le 28 mars 2011, contenant certains engagements (contact avec le FOREm en vue d’un entretien individuel, offre de quatre candidatures au moins par mois, celles-ci devant répondre à certaines conditions).
Pour le second entretien, prévu par la réglementation, il est convoqué mais ne réclame pas le recommandé à la poste. Il fait alors l’objet d’une exclusion.
Le second entretien se tiendra trois mois plus tard. Il en ressort qu’il n’a pas respecté les engagements pris dans le contrat initial et un second contrat est signé. L’ONEm lui octroie pendant quatre mois l’allocation de chômage réduite. Suite au troisième entretien, il est également constaté un non-respect des engagements pris et l’ONEm réduit alors pendant six mois l’allocation de chômage, l’excluant à l’issue de la période.
Un recours est déposé devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui déboute le demandeur.
Appel est interjeté en vue d’obtenir la réformation du jugement et l’annulation par voie de conséquence de la décision administrative. A titre subsidiaire, l’appelant demande un sursis quant à la hauteur de la sanction.
Les arrêts de la cour
La cour a rendu un précédent arrêt en date du 11 décembre 2014, constatant le non-respect des engagements pris dans le cadre du deuxième contrat. L’intéressé devait en effet fixer un entretien individuel dans les trente jours, entretien qui ne pouvait être remplacé par sa participation à une séance d’information collective pour un accompagnement à l’emploi. Par ailleurs, il était tenu de diversifier ses candidatures, ce qu’il n’a pas fait. La cour a constaté qu’il s’agissait de candidatures spontanées, majoritairement envoyées à des entreprises liégeoises uniquement, et qu’aucune réponse d’employeur n’a été fournie.
Eu égard à ces constats, la cour a confirmé la légalité de la décision prise par l’ONEm, sur pied de l’article 59sexies, § 6, alinéa 1er, 2°, de l’arrêté royal organique.
L’affaire a été renvoyée au rôle sur la question de la contrariété de l’article 59sexies de l’arrêté royal à l’article 6 de la C.E.D.H. La question porte sur l’absence de possibilité de moduler les sanctions selon la gravité du non-respect des engagements. Un arrêt de la Cour de cassation était à l’époque attendu, des pourvois ayant été introduits sur la question.
Dans l’arrêt du 11 mars 2021, la cour n’examine, dès lors, plus que la question de la possibilité du sursis.
L’arrêt de la Cour de cassation avait été rendu le 21 septembre 2015 (Cass., 21 septembre 2015, n° S.13.0008.F). Cet arrêt a conclu qu’en écartant, par application de l’article 159 de la Constitution, l’article 59sexies, § 6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 au motif que l’exclusion que prévoit cette disposition ne peut faire l’objet de modalités comparables à celles qui peuvent assortir les mesures équivalentes applicables au travailleur visé à l’article 51, § 1er, alinéa 1er, l’arrêt de fond, qui nie l’existence d’un critère objectif et raisonnable justifiant ce traitement différent, viole les article 10 et 11 de la Constitution.
La constitutionnalité de la disposition a été, ainsi, reconnue.
En application de cette jurisprudence, la cour du travail conclut que l’article 59sexies, § 6, qui ne prévoit pas la possibilité d’octroyer un sursis, est conforme tant à la Constitution qu’à l’article 6 de la C.E.D.H. Elle conclut dès lors au non-fondement de la demande.
Intérêt de la décision
Ce bref arrêt de la Cour du travail de Liège permet de revenir sur l’arrêt de la Cour de cassation, qui a tranché la question, en date du 21 septembre 2015.
Dans ses conclusions précédant l’arrêt, M. l’Avocat général GENICOT avait conclu à la cassation de l’arrêt soumis à la censure de la Cour (arrêt de la Cour du travail de Mons du 17 octobre 2012). Il avait rappelé la procédure d’activation de recherche d’emploi, dans les éléments de comparaison avec les chômeurs visés par les articles 51 et suivants de l’arrêté royal, avait relevé que celle-ci ne se borne pas à sanctionner les comportements entraînant l’exclusion du bénéfice des allocations dès l’origine de la situation de chômage mais visait également des circonstances apparues dans le décours d’un chômage initialement régulier. Il analysait la spécificité de la procédure d’activation comme l’implication directe et personnelle du chômeur dans l’élaboration préalable de la définition des mesures concrètes soumises à appréciation et susceptibles de le conduire sur le chemin de la réinsertion sur le marché de l’emploi.
La loi, de la sorte, intègre le chômeur dans le processus consensuel d’élaboration des engagements personnalisés qui s’imposeront à lui et, par l’effet de la force obligatoire des conventions, l’associe à un processus normatif encadré, puisqu’elle veut qu’avec lui soient déterminés les engagements de l’exécution desquels dépendra le maintien ou non des allocations. M. l’Avocat général inscrivait ce processus dans l’évolution d’un état social actif et de l’activation des allocations sociales tendant à la contractualisation de celles-ci en réaction contre une logique assurantielle ne prenant pas suffisamment en compte les efforts réels de reclassement des chômeurs.
Ceci à la différence des situations visées par les articles 51 et suivants, où les manquements sanctionnables sont uniformément décrits sans particulières adaptations aux situations concrètes et personnelles des chômeurs effectivement concernés et où les sanctions sont généralement définies selon une fourchette assez large de périodes d’exclusion, déléguant en quelque sorte à l’ONEm (et au juge) le soin de les adapter ultérieurement à la situation personnelle du chômeur concerné. Il concluait que le processus régi par les articles 59bis et suivants est inverse de celui des articles 51 et suivants et qu’en conséquence, l’arrêt ne pouvait, sans violer les dispositions légales, décider que les sanctions prévues à l’article 59sexies, § 6, violaient le principe d’égalité et de non-discrimination et devaient être écartées en vertu de l’article 159 de la Constitution.
La Cour de cassation a suivi l’avis de l’avocat général, concluant que les travailleurs qui deviennent chômeurs par suite de circonstances dépendant de leur volonté et les chômeurs complets qui manquent à leur obligation de rechercher activement du travail constituent des catégories de personnes que distingue un critère objectif et raisonnable dès lors que seuls les seconds bénéficient d’un suivi encadré de leurs efforts.