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Cumul d’une pension de survie et d’indemnités AMI : conditions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 novembre 2021, R.G. 2020/AB/231

Mis en ligne le mardi 14 juin 2022


Cour du travail de Bruxelles, 9 novembre 2021, R.G. 2020/AB/231

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 novembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions de cumul d’une pension de survie et d’indemnités AMI, ainsi que le mécanisme de récupération de l’indu, celui-ci pouvant entraîner un délai de prescription de trois ans, délai retenu en l’espèce.

Les faits

Une pension de survie a été accordée à une assurée sociale, suite au décès de son époux, depuis mai 2013. L’intéressée a dû remplir le formulaire imposé, selon lequel elle est tenue de déclarer si elle renonce ou non à percevoir des prestations sociales à dater de la prise de cours de la pension. Elle signale qu’elle bénéficie de prestations AMI et complète le document ad hoc.

La pension de survie est dès lors diminuée au montant de base de la GRAPA et la décision correspondante confirme à l’intéressée la possibilité de cumul pendant douze mois civils (consécutifs ou non), la pension devant être suspendue après cette période – sauf renonciation par elle aux prestations AMI.

Le cumul étant intervenu pendant une période de neuf mois, le SFP rappelle à l’intéressée que la pension sera suspendue après douze mois – sauf renonciation vue ci-dessus. Elle déclare dès lors renoncer aux prestations AMI.

Trois ans plus tard, il est cependant constaté, suite à un croisement de banques de données, qu’elle a continué à bénéficier des indemnités en cause. Vu le cumul non autorisé, elle est informée qu’elle doit choisir pour chaque mois, soit de conserver la pension, soit de conserver l’indemnité AMI, selon le choix le plus avantageux. Si ce choix n’est pas exprimé, le SFP annonce qu’il considérera qu’elle a choisi de conserver les prestations AMI et suspendra dès lors sa pension.

Aucune suite n’est réservée à ce courrier, non plus qu’à un rappel.

Une décision de révision de la pension est alors annoncée, la pension devant être suspendue à partir de janvier 2015 et les montants perçus à tort récupérés. Il s’agit d’un montant de 42.000 euros. Le SFP fait application des règles de prescription, ce qui aboutit à ce que cinq mois ne soient pas réclamés.

L’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui la déboute.

Elle interjette appel.

La décision de la cour

La cour constate qu’elle doit statuer sur un indu, celui-ci étant issu d’un cumul non autorisé. La récupération porte sur une durée de trois ans.

Les conditions de cumul sont prévues à l’article 25 de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, ainsi qu’à l’article 64quinquies de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, et à l’article 21 de la loi du 13 juin 1966 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés (et autres catégories visées).

Les conditions légales sont vérifiées, étant, s’agissant d’indu, d’une part l’existence d’un paiement et, d’autre part, son caractère indu.

L’intéressée, qui ne conteste pas les montants, fait valoir la responsabilité de la mutuelle et du SFP, considérant qu’il y a eu à l’origine de l’indu une erreur de la mutualité en ce qu’elle a poursuivi le paiement des indemnités en dépit du formulaire de renonciation. Cette même erreur est imputée au SFP, l’appelante faisant également valoir sa limite de compréhension des faits et sa situation de vulnérabilité. Elle plaide qu’il y a une faute inexcusable dans le chef de l’institution de sécurité sociale, faute dont elle ne peut être tenue responsable.

La cour constate qu’elle n’a cependant pas mis la mutuelle à la cause et que rien au dossier ne permet de vérifier qu’elle aurait entrepris des démarches vis-à-vis de l’organisme assureur à propos de la situation.

Pour la cour, la responsabilité du SFP (qui est le seul à la cause) ne peut par ailleurs être retenue, dans la mesure où l’assurée sociale ne s’est pas comportée comme une personne normalement prudente et diligente et qu’aucun défaut de vigilance ne peut être constaté dans le chef du SFP, non plus qu’un manquement à ses obligations en vertu de la Charte de l’assuré social. La cour rappelle également que l’éventuelle méconnaissance de la réglementation est sans incidence sur le constat de cumul et que la situation de vulnérabilité n’est pas davantage documentée, ni en tant que telle ni dans ses répercussions sur sa capacité à comprendre et à suivre la question litigieuse.

La cour conclut dès lors au non-fondement de l’appel.

Intérêt de la décision

La cour était amenée ici à rappeler les règles relatives aux possibilités de cumul entre la pension de survie et les indemnités AMI.

L’article 25, alinéa 1er, de l’arrêté royal n° 50 conditionne l’octroi de la pension de retraite et de la pension de survie à l’absence d’exercice d’une activité professionnelle ou de perception d’indemnités pour cause de maladie, d’invalidité ou de chômage (ou encore de perception d’une allocation pour cause d’interruption de carrière ou d’une indemnité complémentaire dans le cadre de la prépension conventionnelle), ceci sauf cas et conditions déterminés par le Roi.

L’arrêté royal du 21 décembre 1967 prévoit la possibilité de cumul avec la pension de survie, mais uniquement pendant une période unique de maximum douze mois civils, que ceux-ci soient consécutifs ou non. Après cette période, le bénéfice de la pension de survie est automatiquement suspendu pour la période qui suit, au cours de laquelle l’intéressé perçoit les indemnités visées à l’article 25 de l’arrêté royal n° 50. Il a cependant la possibilité de renoncer à celles-ci.

Les règles relatives à la récupération de l’indu sont fixées dans la loi du 13 juin 1966 relative à la pension de retraite et de survie des ouvriers, des employés, des marins naviguant sous pavillon belge, des ouvriers mineurs et des assurés libres. Le délai de prescription de l’action en répétition de l’indu est de six mois à compter de la date à laquelle le paiement a été effectué. Ce délai est porté à trois ans lorsque les sommes indues ont été obtenues par des manœuvres frauduleuses ou par des déclarations fausses ou sciemment incomplètes, ou encore en cas d’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement.

L’on notera que les hypothèses visées sont très larges, s’agissant non seulement de la fraude avérée via des manœuvres frauduleuses ou des déclarations fausses ou sciemment incomplètes, mais encore pour ce qui est de l’abstention de produire une déclaration rendue obligatoire par la loi ou résultant d’un engagement pris.

Interviennent également les dispositions de la Charte de l’assuré social, dispositions non enfreintes en l’espèce, comme l’a constaté la cour.

La question de la bonne foi – et également celle de la vulnérabilité (celle-ci n’étant cependant pas autrement documentée) – ne sont pas en elles-mêmes de nature à empêcher l’application du texte.

Relevons sur cette question un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 27 juillet 2017 (C. trav. Bruxelles, 27 juillet 2017, R.G. 2015/AB/525 – précédemment commenté) en matière de reprise du travail. La cour y a ici considéré qu’en cas de reprise du travail, le bénéficiaire d’une pension est tenu, eu égard aux règles de limitation de cumul, d’informer l’institution de sécurité sociale et, si un cumul non autorisé est découvert ultérieurement, le constat suffit à entraîner la récupération, quelle que soit la bonne foi ou l’ignorance de la loi que voudrait faire valoir l’assuré social. Dans la mesure où il invoque la Charte de l’assuré social et, particulièrement, d’une part son article 17, § 2, aux fins d’obtenir une non-rétroactivité de la décision ou, de l’autre, un défaut d’information, qui serait un manquement à l’article 3 du texte et permettrait d’entraîner la reconnaissance de la responsabilité de l’institution de sécurité sociale, il faut également tenir compte de son comportement. Si l’obligation d’information en cas de reprise d’une activité professionnelle n’est pas sanctionnée directement, son non-respect a en l’espèce été retenu contre l’intéressée, puisque, n’ayant elle-même pas rempli son obligation, elle ne peut exiger de l’institution de sécurité sociale qu’elle ait fourni de son côté une information immédiate et automatique.


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