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Stagiaire sous contrat de formation-insertion : quid en cas d’accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 8 décembre 2021, R.G. 2021/AU/6

Mis en ligne le lundi 27 juin 2022


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 8 décembre 2021, R.G. 2021/AU/6

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 décembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) rappelle qu’avant la loi du 21 décembre 2018, ces stagiaires n’entraient pas dans le champ d’application de la loi du 10 avril 1971 mais que, s’agissant en l’espèce d’appliquer la réglementation de la Région wallonne, un Décret du 18 juillet 1997 prévoyait l’obligation pour l’employeur de couvrir le stagiaire contre les risques d’accident de la même manière que le fait la loi du 10 avril 1971.

Les faits

M. M. a été engagé dans le cadre d’un contrat de formation-insertion avec une société et le FOREm en avril 2015. Celui-ci est d’une durée de vingt-six semaines et porte sur une formation en tant qu’ouvrier de terrassement. A l’issue de ce contrat, la société est tenue de l’engager dans les liens d’un contrat de travail pour une durée identique. Qulques mois après l’engagement, il est victime d’un accident du travail.

Le contrat prévoit la couverture contre ce type de risque par la conclusion d’une police qui garantit les mêmes avantages que ceux mis à charge de l’assureur-loi par la loi du 10 avril 1971. L’indemnisation prévue est calculée sur la base de la rémunération de la profession pour laquelle il est formé, avec retenues de cotisations sociales. Il est également prévu que l’indemnisation intervient sur la base des mêmes critères que ceux prévus par la loi du 10 avril 1971. Pour ce qui est du taux d’invalidité permanente, l’allocation est remplacée par un capital. Celui-ci représente la rente non indexée et est établi suivant les mêmes principes que la loi sur les accidents du travail, mais calculé selon le barème d’application sur les capitaux à payer en vigueur au moment de l’accident. Aucune rechute ni aggravation de l’invalidité permanente ne sont à charge de l’assureur après ce paiement.

Une convention est signée en octobre 2016, prévoyant un taux de 3% d’invalidité permanente. La date de consolidation est arrêtée au 15 du même mois. Est calculée une rente de conversion d’un montant de l’ordre de 13.200 euros, sur la base d’un salaire de 35.000 euros.

La convention dispose en outre que le paiement de la somme règle de manière définitive toutes les conséquences de l’accident et que le travailleur est dès lors indemnisé pour la totalité du préjudice subi, passé, présent ou à venir, connu ou inconnu, prévu ou imprévu, et il est encore précisé que c’est en pleine connaissance de cause que le travailleur accepte la convention à titre de règlement définitif et qu’il renonce expressément et formellement à toute action présente ou future.

En 2018, une rechute en incapacité temporaire totale intervient et le médecin de recours fixe, suite à celle-ci, l’incapacité permanente à 12%, précisant que l’intéressé n’a cessé d’être symptomatique dans le décours de l’accident.

La compagnie d’assurances refuse d’intervenir.

Une requête est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Marche-en-Famenne) en date du 9 octobre 2019, et elle donne lieu à un jugement rendu le 23 octobre 2020.

Dans celui-ci, le tribunal désigne un expert, avec la mission habituelle dans le cadre d’une action en aggravation. Le tribunal a estimé que la convention était contraire au décret du 18 juillet 1997 relatif à l’insertion de demandeurs d’emploi auprès d’employeurs qui organisent une formation permettant d’occuper un poste vacant, dans la mesure où elle comporte une différence importante avec le système d’indemnisation général en accident du travail. Le tribunal a précisé que l’impossibilité pour le stagiaire d’être indemnisé en cas d’aggravation, et ce eu égard aux termes de cette convention, crée une discrimination avec les travailleurs ordinaires. Il a dès lors écarté les dispositions litigieuses de la convention signée.

L’assureur interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour l’assureur, il s’agit d’une police de droit commun librement souscrite et qui a été acceptée par le travailleur en application de l’article 1134 du Code civil. Il a perçu un capital et a reconnu que ce paiement réglait de façon définitive toutes les conséquences de l’accident. Il estime encore qu’il n’y a pas lieu de comparer les stagiaires avec des travailleurs ordinaires au motif qu’ils ne sont pas assujettis à la sécurité sociale et que la loi du 21 décembre 2018 (loi portant des dispositions diverses en matière sociale) ne peut avoir d’effet rétroactif. La matière n’est ici pas d’ordre public et il y a lieu de se référer à l’article 1134 du Code civil.

Quant au stagiaire, il plaide qu’il doit y avoir, en vertu de l’article 8 du Décret wallon du 18 juillet 1997, identité absolue entre la police d’assurance et la loi du 10 avril 1971, qui est d’ordre public et qui autorise la révision.

La décision de la cour

La cour retient que quatre questions se posent essentiellement, étant (i) de savoir si la réglementation relève de l’ordre public et si, dans cette hypothèse, la convention est contraire à la loi du 10 avril 1971, (ii) s’il existe une éventuelle discrimination avec les travailleurs salariés, (iii) si le travailleur a un recours contre la compagnie d’assurances, vu que l’employeur a l’obligation de contracter une assurance qui prévoit les mêmes avantages que la loi du 10 avril 1971, et (iv) dans quelle mesure la police d’assurances doit prévoir des avantages identiques à celle-ci.

Sur la première question, la cour rappelle que les régimes de sécurité sociale relèvent de l’ordre public et que l’article 6, § 2, de la loi du 10 avril 1971 dispose que toute convention contraire aux dispositions de la loi est nulle de plein droit et que le juge doit vérifier d’office le respect de la loi. A l’époque, il n’y avait pas application de la loi du 10 avril 1971, la cour relevant que la loi du 21 décembre 2018 a fait rentrer dans son champ d’application les travailleurs suivant une formation pour un travail rémunéré. Le Décret wallon du 18 juillet 1997 prévoyait déjà l’obligation pour l’employeur d’assurer le stagiaire contre les accidents du travail (et les accidents sur le chemin du travail) en concluant auprès d’une société d’assurances à primes fixes agréée ou auprès d’une caisse commune d’assurances agréée une police garantissant les mêmes avantages que ceux de la loi du 10 avril 1971. Il y a dès lors obligation de contracter une assurance dans le chef de l’employeur et celle-ci est d’ordre public, les avantages octroyés n’étant cependant pas inscrits dans un système de sécurité sociale mais dans le cadre d’une police de droit commun, la raison d’être étant que le stagiaire ne cotisait pas (ou n’avait pas encore cotisé) au régime de sécurité sociale et que cette catégorie de travailleur ne bénéficie d’aucune disposition dérogatoire quant au champ d’application de la loi.

La convention de règlement n’est dès lors pas interdite, dans la mesure où la loi du 10 avril 1971 n’est pas applicable.

Pour ce qui est de la discrimination, la cour constate que les catégories (stagiaires et travailleurs ordinaires) ne sont pas des catégories comparables et que – à admettre l’existence d’une discrimination – le juge ne peut y remédier en appliquant la loi, ne pouvant se substituer au législateur lorsque la lacune exige l’instauration d’une règle nouvelle.

Quant au droit du travailleur de se retourner contre la compagnie d’assurances, la cour constate que le stagiaire ne peut bénéficier de l’article 73 de la loi du 10 avril 1971, qui garantit aux travailleurs salariés un recours contre l’assureur-loi et que le Décret wallon ne contient pas de disposition analogue. Le travailleur ne dispose dès lors pas d’action directe autre que celle tirée de la police d’assurance pour les droits que celle-ci contient. Dès lors, elle estime que, si l’entreprise n’a pas contracté l’assurance adéquate, celle-ci devait à tout le moins être mise à la cause.

Enfin, se pose la question de l’obligation de la compagnie d’assurances de prévoir des avantages identiques et la cour conclut ici que ce point relève de la responsabilité de l’assureur, mais qu’il est sans intérêt, dans la mesure où l’entreprise n’est pas à la cause. En conséquence, elle ne peut que, réformant le jugement, dire la demande en aggravation à l’égard de l’assureur non fondée.

Le jugement est dès lors réformé dans toutes ses dispositions.

Intérêt de la décision

Cette affaire pose la question de l’indemnisation des stagiaires sous contrat de formation-insertion avant la loi du 21 décembre 2018. Si ces stagiaires n’entraient pas dans le champ d’application de la loi du 10 avril 1971, le Décret wallon du 18 juillet 1997 faisait cependant obligation à l’employeur de contracter une assurance leur garantissant les mêmes avantages que ceux mis à charge de l’assureur-loi par la loi sur les accidents du travail. Ceci n’était manifestement pas le cas en l’espèce, vu les termes de la convention tels qu’analysés par la cour.

Celle-ci a judicieusement relevé qu’en cas d’insuffisance de la couverture de la police d’assurance contractée par l’employeur, le recours ne pouvait être dirigé contre l’assureur lui-même, l’article 73 de la loi ne trouvant pas à s’appliquer, dans la mesure où la loi elle-même ne pouvait être invoquée.

L’action devait dès lors être menée contre l’employeur, quitte à ce que ce dernier se retourne contre la compagnie d’assurances, qui aurait – éventuellement – proposé une police d’une couverture insuffisante pour couvrir le risque d’accident du travail.

Rappelons que, depuis la loi du 21 décembre 2018 (loi portant des dispositions diverses en matière sociale), un article 1er/1 a été ajouté dans le texte de la loi du 10 avril 1971, qui dispose que cette loi est également applicable aux personnes qui effectuent un travail dans le cadre d’une formation pour un travail rémunéré et à leurs employeurs. Elle ne l’est cependant pas aux formations qui sont organisées en-dehors d’un cadre légal.


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