Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 14 mars 2022, R.G. 21/2.171/A
Mis en ligne le mardi 16 août 2022
Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 14 mars 2022, R.G. 21/2.171/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 14 mars 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) reprend la jurisprudence de la Cour de cassation sur le calcul de l’indemnité complémentaire due par l’employeur en complément aux allocations de chômage en cas de suspension du contrat de travail d’un travailleur protégé au sens de la loi du 19 mars 1991.
Les faits
Un représentant du personnel élu au sein d’un hôpital lors des élections de 2020 fait l’objet d’une procédure en admission du motif grave, telle que prévue par l’article 4 de la loi du 19 mars 1991. Celle-ci est initiée par l’employeur en date du 26 janvier 2021 et, dans le cadre de cette procédure (distincte de celle commentée), la suspension de l’exécution du contrat de travail a été ordonnée par le tribunal. Dans le cadre de celle-ci, un complément mensuel aux allocations de chômage a été payé, sur la base de l’article 9 de la loi du 19 mars 1991.
Le 30 juin 2021, l’employeur notifie au travailleur un trop perçu de l’ordre de 2.000 euros. La société précise que la somme a été automatiquement déduite de la rémunération du même mois mais que subsiste un solde de l’ordre de 290 euros, celui-ci devant être déduit sur le mois de juillet.
Le paiement du complément mensuel est par ailleurs suspendu à partir du mois de juillet. L’employeur fait alors valoir un indu beaucoup plus important et retient la totalité du double pécule de vacances. Il fait également valoir dans un courriel ultérieur que des erreurs seraient intervenues dans le calcul des compléments aux allocations de chômage, précisant à l’intéressé qu’il aurait reçu son indemnité de chômage et non la différence entre le net habituel et les allocations.
Le travailleur conteste le montant des retenues pratiquées. L’hôpital fait alors, en août, un deuxième recalcul, qui est à son tour contesté par le travailleur, au motif qu’a été pris en compte le salaire brut et non le salaire net. La discussion se poursuit, l’hôpital contestant, par l’intermédiaire de son conseil, que le montant net des allocations doive être déduit de la rémunération nette de référence pour obtenir le montant de l’indemnité due. Il considère que l’arrêté royal du 21 mai 1991 relatif aux modalités de calcul et de paiement de cette indemnité ne mentionnerait nullement que l’allocation de chômage à prendre en considération est l’allocation nette. En conséquence, en l’absence de toute disposition contraire, il maintient que c’est l’allocation brute de chômage qui sert de base de calcul à l’indemnité complémentaire.
Une procédure est en fin de compte introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (division de Charleroi), et ce par requête du 21 décembre 2021. La partie demanderesse y sollicite l’application de l’article 735 du Code judiciaire, étant que la cause doit être examinée dans le cadre des débats succincts. Les deux parties ont conclu sur cette question. Celles-ci étant en fin de compte arrivées à un accord sur ce point, le tribunal retient que cette disposition trouve en l’espèce à s’appliquer, constatant par ailleurs qu’une décision rapide est nécessaire.
La décision du tribunal quant au fond
Le tribunal examine successivement les retenues été opérées par l’employeur ainsi que la question des compléments aux allocations de chômage.
Sur le premier point, il reprend l’article 23 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, ainsi que l’article 163, 1°, a), du Code pénal social, qui vient sanctionner le non-respect de l’article 23 ci-dessus.
En l’espèce, il y a eu non-respect de la disposition légale et le tribunal considère qu’il s’agit d’une voie de fait, qui ne peut être acceptée indépendamment de l’éventuel bien-fondé des prétentions du demandeur.
Il rappelle la jurisprudence à cet égard (jurisprudence majoritaire), selon laquelle, en cas d’indu, il ne peut être question de l’hypothèse visée à l’article 23, 4°, de la loi, étant des « avances faites par l’employeur ». Il renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 17 février 1987 sur la question (C. trav. Liège, 17 février 1987, Chon. D. S., 1988, p. 50) et conclut que les retenues opérées sur le complément aux allocations de chômage sont irrégulières.
Ces indemnités sont liées au déroulement de la procédure en admission du motif grave, telle qu’organisée par l’article 2, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 19 mars 1991. Le tribunal rappelle le caractère d’ordre public de la protection spéciale des délégués.
Quant à la suspension du contrat, qui peut intervenir sur décision du président du tribunal en cas de délégué élu, ou sur décision de l’employeur en cas de candidat délégué, le tribunal reprend les termes de l’article 9 de la loi, qui impose, dans les deux hypothèses, que le travailleur protégé reçoive une indemnité complémentaire aux allocations de chômage afin de lui assurer « un revenu égal à sa rémunération nette ». Dans la loi, cette notion doit, pour son mode de calcul, être précisée par le Roi, ce qui est intervenu par arrêté royal du 21 mai 1991.
Le texte prévoit essentiellement que l’indemnité due au travailleur est égale à la différence entre le montant mensuel des allocations de chômage et la rémunération nette de référence. Celle-ci est déterminée dans ses composantes et couvre le montant moyen de la rémunération nette, augmentée du montant net des avantages acquis en vertu du contrat, et, le cas échéant, du montant moyen net des avantages en nature. Afin d’obtenir ce montant net, l’arrêté royal précise qu’il faut déduire du brut les cotisations personnelles à la sécurité sociale ainsi que le précompte professionnel.
Il donne également le mode de calcul de la moyenne visée ci-dessus : celle-ci se calcule sur la base de la rémunération ou des avantages payés (ou qui auraient dû l’être) pour les douze mois précédant le mois au cours duquel la suspension a pris cours, divisés par douze. Le § 3 de cet article 1er précise encore que le montant mensuel de l’allocation de chômage est obtenu en multipliant le montant journalier de celle-ci par vingt-six.
Les parties sont opposées en ce qui concerne le mode de calcul, étant que l’employeur veut que soit retenue la différence entre la rémunération nette et les allocations de chômage en brut, alors que le travailleur demande la soustraction des allocations nettes à partir de la rémunération mensuelle nette.
Le tribunal renvoie sur cette question à un arrêt de la Cour du travail d’Anvers (C. trav. Anvers, 28 février 2005, R.G. 2000-731), selon lequel le travailleur ne peut pas prétendre, au terme de l’année fiscale, à un complément d’indemnité sur la base de l’impôt réellement dû pour celle-ci.
La Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre cet arrêt, dans une décision du 5 février 2007 (Cass., 5 février 2007, n° S.06.0030.N), considérant que le terme « rémunération nette » n’est pas le revenu fiscal net, c’est-à-dire après déduction des impôts. La rémunération nette, pour le tribunal, doit s’entendre – comme dans l’interprétation que lui a donnée la Cour du travail d’Anvers – comme visant la rémunération qui subsiste après les deux retenues ci-dessus (cotisations de sécurité sociale et précompte professionnel) et non après, pour ce qui est des retenues fiscales, de la déduction de l’impôt réellement dû.
Cette position est partagée par le tribunal, qui conclut que c’est au regard de la rémunération nette proméritée chaque mois que le calcul doit s’opérer. Il s’agit en effet, dans la loi, de garantir au travailleur cette rémunération nette mensuelle. Le tribunal critique dès lors la position de l’employeur, qui ne garantit pas au travailleur la rémunération mensuelle nette et qui mélange du brut et du net alors qu’il y a lieu de ne retenir que le net.
Ayant ci-dessus rappelé le caractère d’ordre public de la protection, le tribunal souligne encore que l’article 1er de l’arrêté royal du 21 mai 1991 a également ce caractère et qu’il y a lieu de lui donner une interprétation stricte, c’est-à-dire de donner un sens plein et entier aux termes de la disposition au regard de l’intérêt général qu’elle protège.
Le tribunal fait encore la distinction entre l’interprétation stricte et l’interprétation restrictive, cette dernière s’imposant seulement d’une norme qui déroge à une norme générale d’ordre public.
Il est dès lors fait droit à la demande du travailleur. La réouverture des débats est ordonnée en ce qui concerne les paiements eux-mêmes. Celle-ci portera également sur un point relatif à la prime de fin d’année complémentaire de secteur, pour laquelle se pose une question relative aux jours assimilés à des prestations de travail.
Intérêt de la décision
Dans son arrêt du 5 février 2007, la Cour de cassation a rappelé l’article 9, alinéa 1er, de la loi du 19 mars 1991 et l’article 1er de l’arrêté royal du 21 mai d’exécution, pour ce qui est des modalités de calcul et de paiement de l’indemnité complémentaire.
Elle a souligné que le but de la loi tel que figurant dans les travaux préparatoires est de garantir au délégué (et au candidat) un revenu pendant la période de suspension du contrat, qui, composé des allocations de chômage complétées de l’indemnité complémentaire payée par l’employeur, équivaut à la rémunération nette précédemment gagnée. Pour la Cour, il n’apparaît pas qu’il y a lieu d’entendre par « rémunération nette » le revenu fiscal net, c’est-à-dire celui qui subsiste après la déduction des impôts, dès lors que ces impôts dépendent de divers facteurs étrangers à l’emploi.
La Cour a ainsi pu confirmer que les juges d’appel avaient justifié leur décision sans violer les dispositions visées, dans la mesure où il a été constaté que celles-ci ne garantissaient pas au travailleur protégé un revenu égal au revenu mensuel net tel que visé par la partie demanderesse, qui faisait valoir qu’il s’agissait de garantir un revenu fiscal net annuel identique, c’est-à-dire diminué non seulement des cotisations de sécurité sociale et du précompte professionnel, mais aussi des impôts proprement dits.
Le tribunal du travail juge dès lors, en la présente espèce, que l’action est fondée, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation.