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Fait nouveau en matière de révision des séquelles d’un accident du travail : un arrêt de la Cour du travail de Mons

Commentaire de C. trav. Mons, 1er mars 2022, R.G. 2021/AM/110

Mis en ligne le mardi 16 août 2022


Cour du travail de Mons, 1er mars 2022, R.G. 2021/AM/110

Terra Laboris

Dans un arrêt du 1er mars 2022, la Cour du travail de Mons reprend les conditions de l’action en révision, dont la délicate question du fait nouveau requis, étant l’élément apparu postérieurement à la date de détermination de l’incapacité permanente de travail.

Les faits

Un chauffeur de poids lourds a subi un accident du travail le 4 septembre 2013 (lésion à la main droite), dont le règlement est intervenu via un accord-indemnités entériné par FEDRIS le 21 janvier 2016 (retenant un taux d’I.P.P. de 5%).

En 2018, le médecin-conseil du travailleur estime que l’incapacité permanente doit être portée à 10%. Une requête est déposée devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), qui, par jugement du 3 avril 2019, ordonne une expertise.

Dans son rapport, l’expert note l’existence d’un élément nouveau d’ordre anatomique ou physiologique entraînant une modification de l’état de la victime et imputable au moins pour partie à l’accident. Cet élément est survenu pendant le délai de trois ans après le règlement définitif des séquelles. Le taux aggravé est fixé à 8%.

L’assureur-loi conteste qu’il s’agisse d’un élément imprévisible permettant la révision des séquelles.

Dans son jugement du 3 mars 2021, le tribunal estime qu’il n’y a pas d’éléments permettant d’écarter les conclusions de l’expert.

Appel est interjeté de cette décision.

Position des parties devant la cour

L’assureur-loi estime que l’expert a commis une erreur, dans la mesure où il a retenu, au titre d’élément nouveau d’ordre imprévisible, une situation qualifiée par lui-même d’« évolution classique ». Il rappelle que la procédure en révision ne permet pas de corriger une erreur du rapport de consolidation et que ne peuvent intervenir comme sujettes à révision la modification de la conjoncture économique ou celle de l’état du travailleur victime d’une maladie ou d’un nouvel accident.

Quant à la victime, elle plaide que la demande de révision se justifie dès l’instant où il y a modification de sa capacité de travail et que celle-ci est la conséquence de l’accident. Elle donne une autre interprétation des termes du rapport, qui font état d’une « évolution classique ».

La décision de la cour

La cour reprend d’abord le rôle de l’expert, en rappelant les termes de l’article 962, alinéas 1er et 4, du Code judiciaire : le juge peut charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d’ordre technique, mais il n’est pas tenu de suivre cet avis si sa conviction s’y oppose.

Pour la cour, cette règle implique que, si le juge n’est pas tenu de suivre l’avis de l’expert dès lors que sa conviction s’y oppose, son pouvoir d’appréciation souverain est cependant limité par l’obligation qu’il a de justifier les motifs pour lesquels il entendrait rejeter les conclusions du rapport d’expertise.

Trois renvois sont faits à la jurisprudence de la Cour de cassation, étant que le juge doit veiller à ne pas violer la foi due à l’acte contenant le rapport (Cass., 5 avril 1979, Pas., 1979, I, pp. 931-933) ni lui attribuer une opinion qu’il n’a pas émise ou des constatations qu’il n’a pas faites (Cass., 22 juillet 2008, n° P.08.0965.F) et qu’il ne peut se borner à entériner les conclusions d’un rapport sans exposer les motifs pour lesquels il rejette les griefs d’une partie contre l’opinion de l’expert (Cass., 8 mars 1974, Pas., 1974, I, pp. 699-701). Il ne suffit dès lors pas d’invoquer sa conviction pour écarter le rapport, le juge étant tenu d’exposer les raisons qui la fondent. Le critère ici est la conviction du juge, c’est-à-dire, pour la Cour, la confiance qu’il a en l’expertise.

Elle rappelle également que l’avis porte sur des constatations ou des points d’ordre technique échappant par hypothèse à la compétence du juge. Il est dès lors nécessaire d’avoir sur ceux-ci recours à l’expertise, ce qui implique une certaine prévalence de celle-ci, sans pour autant qu’elle ait une valeur de présomption.

Renvoi est fait à la doctrine de S. GILSON (S. GILSON, « Assurance maladie-invalidité et expertise », Forum de l’assurance, Anthémis, 2019, p. 108), qui a rappelé en matière AMI que, par nature, l’expert est là pour trancher des avis médicaux divergents et que la critique d’un médecin-conseil qui consisterait en la réitération de sa thèse initiale est insuffisante.

Enfin, la cour rappelle que chaque partie a le droit de soumettre à l’appréciation du juge ses griefs à propos du rapport, ajoutant « pour autant, toutefois, (qu’elle) développe des remarques et critères pertinents ».

Elle en vient ainsi aux conditions de la révision telles qu’imposées par l’article 72 de la loi du 10 avril 1971, celles-ci étant au nombre de quatre et étant cumulatives :

  • La première concerne l’exigence d’une modification de l’état physique depuis le rapport de consolidation, modification qui entraîne une modification de l’incapacité permanente de travail (avec renvoi à Cass., 23 octobre 1989, n° 6.683).
  • Celle-ci doit en outre être survenue par suite des conséquences de l’accident et non d’une cause étrangère, ou encore lorsque l’accident a cessé d’exercer toute influence sur l’importance de la lésion, s’agissant alors de l’évolution d’un état pathologique évolutif antérieur.
  • Existe également une condition de temps, étant que cette modification doit survenir dans le délai de trois ans, ne pouvant être pris en compte ni un fait antérieur à l’accord-indemnités ni un fait postérieur à l’expiration de ce délai (la situation où la modification entraînerait une évolution se prolongeant au-delà de l’expiration de ce délai étant une autre hypothèse, qui permet que la date de la nouvelle consolidation ne se situe pas nécessairement dans ce délai).
  • Enfin, la modification doit découler d’un élément apparu postérieurement à la date de détermination de l’incapacité permanente de travail. C’est le « fait nouveau ».

La cour relève que c’est cette quatrième condition qui fait problème en l’espèce, renvoyant également à la terminologie utilisée par l’expert, qui a fait état d’une « évolution classique » dans la description de l’état de la main et du poignet de l’intéressé.

Elle constate que l’expert a justifié de manière rigoureuse les raisons qui, pour lui, devaient conduire à l’existence d’une aggravation (sur la base d’examens radiologiques notamment, où une étude diachronique du dossier d’imagerie médicale a été effectuée). L’expression utilisée par l’expert n’implique pas l’existence d’une contradiction avec le constat de l’élément médical nouveau, la cour soulignant encore que l’expert n’a nullement déclaré que l’aggravation survenait de manière systématique et inéluctable.

Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

La question du fait nouveau requis par la loi est source de débats, la Cour de cassation ayant, à diverses reprises, apporté des précisions sur la question

Dans un arrêt du 26 mai 2008 (Cass., 26 mai 2008, n° S.07.0111.F – précédemment commenté), elle s’était prononcée à propos d’un fait nouveau admis comme tel dû à des lésions existant au moment du règlement initial mais qui n’apparaissaient sur les radiographies de l’époque. Dans la mesure où, pendant le délai de revision, le défendeur avait émis de nouvelles plaintes, entraînant la réalisation de nouvelles radiographies sous un angle différent, le juge du fond avait pu admettre le fait nouveau dès lors que les séquelles n’étaient pas connues à la date du premier accord (n’apparaissaient pas sur les radiographies de l’époque en raison de l’angle sous lequel elles avaient été prises et ne pouvant, dès lors, raisonnablement être connues, l’angle de vue n’ayant surpris à l’époque aucun des médecins intéressés par l’expertise).

La jurisprudence est abondante et l’on peut citer un arrêt récent de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/153), où celle-ci a confirmé que l’action en révision n’a pas pour objet de redresser les erreurs commises dans l’évaluation initiale du taux d’incapacité permanente. Lors de l’action en révision, le juge saisi doit apprécier in concreto s’il a été tenu compte de la modification invoquée dans l’état de la victime lors de la fixation de l’incapacité permanente et, dans la négative, si celle-ci était à ce point prévisible que le juge eut nécessairement dû en tenir compte. Dans chacune de ces deux hypothèses, l’action en révision ne sera pas fondée.

Rappelons encore que, dans le cadre de la procédure en révision, il est généralement retenu que la présomption légale de causalité ne vaut pas. Une jurisprudence isolée l’a cependant admise (C. trav. Liège, div. Liège, 5 septembre 2019, R.G. 2018/AL/351 – également précédemment commenté), qui a jugé que la présomption légale de l’article 9 s’applique également dans le cadre d’une action en aggravation, étant entendu que cette même disposition légale permet à l’assureur-loi de la renverser, en apportant la démonstration de l’absence d’imputabilité à l’accident du travail des séquelles invoquées par la victime. À partir du moment où une relation causale, même partielle, même indirecte, est raisonnablement établie entre l’aggravation et l’état de la victime, la réparation légale couvre la totalité du dommage.


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