Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er décembre 2021, R.G. 2018/AB/1.010
Mis en ligne le lundi 22 août 2022
Cour du travail de Bruxelles, 1er décembre 2021, R.G. 2018/AB/1.010
Terra Laboris
Dans un arrêt du 1er décembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend les obligations du travailleur en cas d’incapacité de travail ainsi que les hypothèses susceptibles de le priver de son droit au salaire garanti, rappelant le caractère impératif de l’article 31, § 3/1, de la loi du 3 juillet 1978.
Les faits
Une maison de repos et de soins avait engagé en 2016 une employée dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée pour des prestations en cuisine et d’entretien.
L’intéressée est rapidement tombée en incapacité de travail, et ce pour plusieurs périodes successives (avec interruptions) d’une durée d’une semaine.
Le salaire garanti a été réclamé pour la majorité de celles-ci, celui-ci n’ayant été payé que pour une semaine.
Une procédure est introduite en paiement et le Tribunal du travail francophone de Bruxelles y fait droit par jugement du 5 novembre 2018.
La cour est saisie de l’appel de l’employeur.
La décision de la cour
La cour examine les textes sur lesquels se fonde l’appelante pour justifier sa position de non-paiement. Il s’agit du contrat de travail, qui reprend la procédure à suivre en cas d’incapacité de travail, ainsi que le règlement de travail de l’entreprise.
Le contrat prévoit qu’en cas d’absence résultant d’une incapacité de travail, le travailleur doit avertir son employeur, au besoin par téléphone, dès le premier jour ouvrable de l’incapacité et lui fournir, dans les deux jours ouvrables à compter du début de l’incapacité (« en possession de l’employeur sous quarante-huit heures ») un certificat médical, la disposition contractuelle poursuivant qu’en cas de non-respect de forme et de délais, il n’y aura pas de salaire garanti dû.
Le règlement de travail est quant à lui plus explicite, prévoyant que, outre l’observation des obligations vis-à-vis de la mutuelle, le travailleur doit avertir immédiatement l’employeur de son incapacité, dès le début de sa prise de service, par exemple par téléphone, lui faire parvenir par voie recommandée un certificat médical dans les quarante-huit heures (« en possession de l’employeur sous les quarante-huit heures ») et que, passé ce délai, l’absence devient non justifiée. Sont également refusés un fax de même qu’une photocopie de certificat médical. Le règlement poursuit, considérant qu’est à mentionner sur celui-ci la date et le début de l’incapacité, sa durée probable, l’autorisation ou non pour le travailleur de quitter son domicile ainsi que son lieu de résidence pendant l’incapacité de travail et qu’à défaut, l’employeur n’est pas tenu au paiement du salaire garanti. Le règlement de travail prévoit encore qu’en cas de sorties autorisées, le travailleur doit se présenter spontanément sur le lieu de travail le troisième jour ouvrable qui suit le début de l’incapacité aux fins de contrôle médical en présence d’un médecin et qu’à défaut de se présenter, le travailleur conviendra d’un rendez-vous. A défaut de présentation, l’employeur n’est pas davantage tenu au paiement du salaire garanti. Ce n’est qu’en cas de sorties non autorisées que le travailleur serait soumis à la visite d’un médecin-contrôleur.
La cour confronte ensuite ces conditions à la loi, reprenant l’article 31 de la loi du 3 juillet 1978 ainsi que les travaux parlementaires sur le projet de loi sur le statut unique, celui-ci ayant quelque peu modifié l’article 31 L.C.T. (Projet de loi concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que des mesures d’accompagnement, Exposé des motifs, Chambre, 2013-2014, 3144/001)
Renvoyant à ceux-ci, la cour réexpose les conditions mises à l’octroi du salaire garanti, étant notamment qu’il n’est pas apparu opportun de modifier le délai de l’avertissement (celui-ci devant se faire, avant la modification législative, « immédiatement », par une référence plus limitée au début de la journée de travail). Il appartient au travailleur, en fonction des circonstances, de prouver qu’il a rempli son obligation légale.
La loi nouvelle prévoit cependant la possibilité d’insérer dans une convention collective (de secteur ou d’entreprise) ou dans le règlement de travail des dispositions déterminant que le travailleur en incapacité doit se tenir à disposition du médecin-contrôleur durant une partie de la journée, de maximum quatre heures consécutives entre sept heures du matin et vingt heures du soir, soit à son domicile ou un autre lieu de résidence communiqué à l’employeur.
Les travaux parlementaires soulignent l’importance d’appliquer cette possibilité dans le strict respect du principe de proportionnalité par rapport à l’objectif du contrôle médical et que celle-ci intervient sans préjudice du droit de l’employeur de contrôler la réalité de l’incapacité de travail pendant toute sa durée, qui ne nécessite pas nécessairement une présence permanente au domicile. Le refus du salaire garanti peut intervenir dans trois hypothèses, étant (i) que le travailleur n’a pas averti immédiatement l’employeur, (ii) qu’il n’a pas présenté, le cas échéant, son certificat dans le délai prescrit et (iii) qu’il ne s’est pas soumis au contrôle.
Après ce rappel des obligations actuelles, la cour examine le comportement de l’intéressée, effectuant en parallèle l’analyse de l’article 31 de la loi, dont elle rappelle en premier lieu qu’il n’est pas entièrement supplétif. Il l’est, dans son § 2, qui prévoit la possibilité de faire figurer l’obligation ci-dessus dans une convention collective ou un règlement de travail, ainsi que celle de déroger par la même voie au délai de deux jours ouvrables pour l’envoi ou la remise du certificat médical. Certaine partie du § 3 est également supplétive, étant la possibilité encore de prévoir dans un texte (ci-dessus) que le travailleur doit se tenir à disposition de l’employeur dans les termes précités.
La cour souligne que l’article 31 de la loi n’autorise cependant pas l’employeur à imposer le mode de notification du certificat médical par le règlement de travail ni a fortiori à priver le travailleur de son droit au salaire garanti en cas de non-respect de celui-ci. La loi ne contient une telle sanction que si le travailleur n’a pas respecté les trois obligations visées et cette sanction ne peut intervenir pour ce qui est des dispositions supplétives. En outre, l’obligation de renvoyer le certificat par voie recommandée, sanctionnée en cas de non-respect par le constat d’une absence non justifiée, n’est pas conforme à la loi, dans la mesure où elle alourdit les obligations du travailleur. Celui-ci doit en effet pouvoir informer par n’importe quel moyen, et notamment un mail ou un fax. L’envoi d’un recommandé obligerait en effet le travailleur malade à effectuer les formalités ad hoc, ce qui restreint ses droits.
La cour précise que l’article 31, § 4, dispose encore que le salaire garanti ne peut être retiré, en ce qui concerne la production du certificat médical, que par le non-respect du délai et que le mode prévu pour la transmission qui figurerait dans la convention collective ou le règlement de travail n’est pas visé. Cette clause est dès lors contraire à l’article 6 de la loi du 3 juillet 1978.
Elle constate également d’autres irrégularités, notamment l’obligation pour le travailleur de se présenter spontanément sur le lieu du travail le troisième jour ouvrable qui suit le début de l’incapacité, celle-ci aggravant les obligations du travailleur. La cour spécifie ensuite les raisons pour lesquelles une telle disposition est contraire à l’article 31, § 3, de la loi et souligne notamment qu’un tel texte prévoit une obligation systématique de se présenter, alors que la loi précise que le travailleur ne se présentera auprès du médecin-contrôleur que s’il y est invité et que la demande doit être faite par l’employeur.
Elle critique également la procédure mise en place, étant l’obligation pour le travailleur malade de se rendre sur son lieu de travail, où il devra attendre qu’un médecin-contrôleur se présente et, éventuellement, rencontrer l’employeur et ses collègues. Cette clause aussi est considérée comme nulle, étant contraire à l’article 6 L.C.T.
Elle confirme dès lors le jugement, reconnaissant le droit de l’intéressée au salaire garanti.
Intérêt de la décision
Dans cet arrêt, qui contient des développements fouillés quant à l’article 31 de la loi du 3 juillet 1978, la cour du travail souligne deux points importants, le premier étant qu’une source de droit inférieure à une autre ne peut en modifier les dispositions impératives et que les obligations du travailleur en incapacité de travail ont été modifiées lors de l’introduction du statut unique.
Pour ce qui est du premier point, les conditions légales sont précisées – assez longuement d’ailleurs – à l’article 31 de la loi du 3 juillet 1978 et elles ne peuvent être alourdies par un règlement de travail ou une convention collective (de secteur ou d’entreprise). La cour s’est attachée à cet égard à distinguer dans la disposition légale les points à caractère supplétif ou impératif.
Le second point d’intérêt de l’arrêt est, précisément, de mesurer l’étendue de la modification législative intervenue suite à l’introduction du statut unique par la loi du 26 décembre 2013, soulignant qu’a un caractère impératif le § 3/1, qui prévoit les seules hypothèses dans lesquelles le travailleur peut se voir refuser le bénéfice du salaire garanti, hypothèse qui couvre les jours d’incapacité précédant le jour de l’avertissement à l’employeur ou de la remise du certificat, ou encore du contrôle médical. Toute autre exigence restreignant les droits du travailleur ne peut être admise.
L’on notera au passage que la remise du certificat « dans les quarante-huit heures » est plus restrictive que le délai légal de « deux jours ouvrables »…