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Sanction disciplinaire et contrôle judiciaire

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Arlon), 23 novembre 2021, R.G. 20/84/A

Mis en ligne le lundi 22 août 2022


Tribunal du travail de Liège (division Arlon), 23 novembre 2021, R.G. 20/84/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 23 novembre 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Arlon) rappelle que le juge peut vérifier, dans le cadre de son contrôle marginal du bien-fondé d’une sanction disciplinaire, la proportionnalité de celle-ci par rapport à la faute reprochée.

Les faits

Un travailleur s’est vu notifier une mise à pied sans solde. Il s’agit d’une sanction disciplinaire suite à des problèmes de comportement envers la ligne hiérarchique ainsi que ses collègues, lors d’une réunion d’équipe. La sanction est dûment motivée et est notamment justifiée par le caractère répété des faits reprochés. Il s’agit d’une mise à pied temporaire de cinq jours, jugée conforme au règlement de travail.

L’intéressé introduit une action devant le tribunal du travail en paiement de la somme correspondante, et ce au titre de réparation du dommage subi.

La décision du tribunal

Le tribunal examine d’abord la question de la faute, et ce avant de passer à la légalité de la sanction.

La faute est expliquée par le superviseur du demandeur. Dans une attestation circonstanciée, celui-ci expose des problèmes d’agressivité (intimidation, contestation), les faits étant répétés. Les propos ont été reconnus et les faits reprochés apparaissent dès lors établis.

Le tribunal considère également qu’est avéré un refus de travail. Il s’agit d’un manquement à l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978, le travailleur devant respect à son employeur et devant agir conformément aux ordres et aux instructions de celui-ci.

L’examen de la légalité de la sanction suite à la faute commise passe, pour le demandeur, par le rappel de l’article 18 de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail. Celui-ci dispose que, si la pénalité consiste en une amende, le total des amendes infligées par jour ne peut dépasser le cinquième de la rémunération journalière. Cependant, il ne s’agit pas en l’espèce d’une amende mais d’une mise à pied, le tribunal rappelant au demandeur que l’amende est une sanction pécuniaire, sans suspension du contrat, alors que la mise à pied est une suspension temporaire, sans prestations ni rémunération. Le renvoi à cet article 18 est jugé sans fondement.

De même, sur la question de la prévisibilité de la sanction, dans la mesure où l’article 6, § 1er, 6°, de la loi du 8 avril 1965 dispose que les pénalités, le montant et la destination des amendes ainsi que les manquements sanctionnés doivent figurer dans le règlement de travail, ce qui est bien le cas en l’espèce. La sanction est dès lors conforme à la loi.

Le délai de notification est également examiné, étant que, à peine de nullité, les pénalités doivent être notifiées au plus tard le premier jour ouvrable suivant celui où le manquement a été constaté, et ce en application de l’article 17 de la loi du 8 avril 1965.

En l’espèce, une audition a été organisée par l’employeur afin d’apporter d’éventuelles explications utiles, audition également prévue au règlement de travail. Ce n’est qu’après que l’employeur a pu disposer d’une connaissance complète des faits reprochés et des éventuels manquements, soit à la suite de l’audition, que la sanction a pu être décidée, ce qui en l’occurrence a été fait le jour même.

Le tribunal constate ici également un respect de la loi, précisant à cet égard que celle-ci ne prévoit pas de formalité à peine de nullité quant à la notification de la sanction elle-même, l’exigence légale étant que cette notification doit être certaine.

Si la loi du 8 avril 1965 prévoit par ailleurs en son article 6, § 1er, 7°, que le règlement de travail doit indiquer les recours ouverts aux travailleurs qui ont une réclamation à formuler ou des observations et contestations à présenter au sujet des pénalités notifiées, étant qu’il faut un recours interne à l’entreprise, le tribunal – tout en constatant le caractère lacunaire du règlement de travail sur ce point – conclut que, la loi ne sanctionnant pas de nullité l’absence de recours interne clairement organisé, l’audition du travailleur est intervenue en l’espèce, et ce avec l’assistance de délégués syndicaux, et qu’il n’y a pas de violation manifeste de ses droits de défense.

Cependant, l’examen de la proportionnalité de la sanction amène le tribunal à considérer que celle-ci n’est pas régulière. Si la décision d’infliger une sanction ainsi que l’évaluation de la gravité des faits relèvent de la compétence discrétionnaire de l’employeur et que, de ce fait, le contrôle judiciaire a un caractère marginal, le juge peut exercer son contrôle de proportionnalité et vérifier l’éventuel abus de droit à l’occasion de celle-ci.

La faute en l’espèce est établie, mais la mise à pied est excessive, s’agissant du quart du salaire mensuel. Des éléments de fait (mutation de service, absence de sanction disciplinaire, même mineure, précédemment) sont mis en exergue, le jugement concluant qu’une sanction supérieure à deux jours serait excessive et abusive. La réparation du préjudice subi porte dès lors sur trois jours de salaire.

Intérêt de la décision

Dans le cadre de son pouvoir de gestion et d’organisation, l’employeur dispose du pouvoir disciplinaire, corrélatif de sa responsabilité entrepreneuriale.

Le bien-fondé ainsi que la régularité de sanctions disciplinaires sont régulièrement questionnés en justice. Le travailleur à qui une sanction disciplinaire a été infligée a en effet le droit de la contester devant les juridictions du travail, par application de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme ou, tout simplement, en vertu de l’article 578, 1°, du Code judiciaire. Pour ce faire, il ne doit pas nécessairement avoir épuisé au préalable les recours ouverts au sein de l’entreprise. La tendance qui entend restreindre le rôle que les juridictions du travail peuvent jouer en la matière à la vérification du respect des règles de procédure, de l’existence matérielle des faits et de la légalité du manquement et de la pénalité, sans pouvoir exercer un contrôle de proportionnalité, se heurte au fondement contractuel du droit disciplinaire dans le secteur privé. Ce contrôle de légalité permet bel et bien à la juridiction saisie d’exercer un contrôle de proportionnalité, avec, au besoin, le droit d’annuler la sanction infligée (C. trav. Bruxelles, 11 septembre 2018, R.G. 2016/AB/689 – précédemment commenté).

Le caractère marginal du contrôle judiciaire est régulièrement réaffirmé. Ceci implique que les juridictions du travail ne peuvent effectuer, sur ce point, qu’un contrôle marginal, à savoir examiner si le travailleur a commis un manquement pour lequel une sanction disciplinaire peut être prononcée en vertu du règlement de travail, sans se prononcer sur l’adéquation de la sanction, sauf en cas d’abus de droit. Plus précisément, elles doivent veiller au respect du principe de proportionnalité et examiner si la sanction infligée est en rapport avec la gravité de la faute reprochée (Trib. trav. Liège, div. Neufchâteau, 25 octobre 2021, R.G. 20/30/A).

Rappelons, enfin, un arrêt du 6 juillet 2021 de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 6 juillet 2021, R.G. 2018/AB/451), qui a décidé que, comme le précise l’article 17, alinéa 1er, de la loi instituant les règlements de travail, les pénalités doivent, pour être effectives, faire l’objet d’une notification au travailleur, laquelle a également pour effet de lier l’auteur de la décision, à telle enseigne qu’une mesure subséquente de licenciement pour motif grave serait privée de tout fondement légal puisque annihilée par l’effectivité de la sanction disciplinaire infligée qui, par essence même, n’empêche pas la poursuite des relations contractuelles de manière définitive et immédiate. Il en irait tout autrement faute de notification. En ce cas, en effet, l’employeur pourrait, pour peu que sa décision finale intervienne dans le délai légal de trois jours, évoluer dans l’appréciation des suites à réserver aux faits qui sont portés à sa connaissance.


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