Terralaboris asbl

Chômage : étendue de l’obligation d’information de l’organisme de paiement

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 septembre 2021, R.G. 2020/AL/229

Mis en ligne le mardi 23 août 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 9 septembre 2021, R.G. 2020/AL/229

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 septembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les obligations mises à charge des institutions de sécurité sociale par la Charte de l’assuré social, s’agissant en l’espèce de l’obligation pour l’organisme de paiement d’informer le chômeur qu’il doit s’inscrire comme demandeur d’emploi auprès du FOREm.

Les faits

Suite à l’arrêt de son activité d’indépendante, Madame C. sollicite, via son organisme de paiement, les allocations de chômage. Elle ne s’inscrit pas comme demandeuse d’emploi. L’organisme de paiement prétend qu’il a remis à l’intéressée un exemplaire de la carte de contrôle C3A, qui rappelle l’obligation de s’inscrire auprès du FOREm dans les huit jours suivant la demande d’allocations. L’intéressée conteste avoir été informée de la chose.

Après plusieurs courriers infructueux, l’organisme de paiement reçoit des éléments complémentaires requis par l’ONEm, relatifs à la période exacte d’exercice de l’activité indépendante. L’ONEm donne ensuite une réponse positive au dossier. L’intéressée est alors informée par son syndicat qu’elle ne peut être indemnisée, n’étant pas inscrite comme demandeuse d’emploi au FOREm. Elle effectue cette formalité et introduit également une demande de dérogation pour la période passée. Celle-ci est refusée, ne s’agissant pas d’un cas de force majeure.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) en paiement d’une somme équivalente aux allocations de chômage qui auraient dû être perçues pendant la période d’échanges, qui court sur cinq mois, l’intéressée considérant qu’il y a eu une faute dans le chef de son organisme de paiement, qui n’a pas rempli son devoir d’information et de conseil.

Elle est déboutée du recours qu’elle a introduit et interjette appel, demandant la réformation du jugement et réintroduisant sa demande initiale.

La décision de la cour

Sur le fond, il s’agit d’examiner les obligations de la Charte relatives à l’information due par les institutions de sécurité sociale, la cour rappelant que celles-ci s’appliquent aux organismes de paiement.

En matière de chômage, l’obligation d’information et de conseil fait l’objet d’une disposition spécifique en vertu de laquelle les organismes de paiement ont notamment pour mission de conseiller gratuitement le travailleur et de lui fournir toutes informations utiles concernant ses droits et ses devoirs dans ce secteur. Dans l’hypothèse où la demande a été formée par écrit, l’information est fournie dans un délai de quarante-cinq jours et mentionne le numéro d’identification du travailleur pour la sécurité sociale si l’organisme de paiement dispose de celui-ci (obligation prévue à l’article 24, § 1er, alinéa 1er, 3°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991).

La cour souligne l’obligation de proactivité dans le traitement du dossier, renvoyant à une abondante jurisprudence sur la question ainsi qu’à la doctrine de S. GILSON et J.-F. NEVEN (S. GILSON et J.-F. NEVEN, « Les obligations d’information et de conseil des institutions de sécurité sociale », Dix ans d’application de la Charte de l’assuré social, Waterloo, Kluwer, 2008, p. 12). L’organisme de paiement est en effet spécialisé pour informer ses affiliés de leurs droits et pour attirer le cas échéant l’attention de ces derniers sur des droits plus étendus que ceux qu’ils réclament, la cour renvoyant ici à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 10 novembre 2016 (C. trav. Liège, div. Liège, 10 novembre 2016, R.G. 2016/AL/38), qui précise encore que l’organisme de paiement ne peut reprocher à son affilié de ne pas maîtriser cette matière complexe et que c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’est adressé à lui.

Figure dans l’obligation d’information celle relative à l’obligation de s’inscrire comme demandeur d’emploi afin de bénéficier des allocations, la simple mention de celle-ci au verso de la carte de contrôle n’étant pas suffisante (avec renvoi à C. trav. Bruxelles, 8 juin 2017, R.G. 2015/AB/1.156).

Ce devoir comprend également, pour la cour, une obligation de vérification, à savoir que l’organisme de paiement droit croiser les banques de données auxquelles il a accès pour vérifier les informations administratives données par l’affilié. Ceci ressort des articles 24, § 2, alinéa 1er, 4° et 5°, ainsi que 134bis et 134ter de l’arrêté royal organique.

Sur le plan de la preuve, il incombe au créancier de l’obligation d’information de démontrer le défaut d’information. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation (la cour citant notamment Cass., 11 janvier 2019, n° C.18.0210.N). Cette preuve est cependant simplifiée lorsque l’information est précise et circonscrite. Il appartient en conséquence au chômeur d’établir le caractère précis et circonscrit de l’information à prodiguer ainsi que le contexte justifiant que l’information aurait dû lui être donnée. C’est alors à l’organisme de paiement de démontrer qu’il a effectivement fourni cette information.

Par contre, dans l’hypothèse d’une information complexe, c’est au chômeur de démontrer que l’information litigieuse devait être fournie et qu’elle ne l’a pas été. En apposant sa signature sur le formulaire C1, le chômeur affirme sur l’honneur que la déclaration est sincère et complète et est donc lié. Il a en effet la possibilité de lire le document et de comprendre exactement ce qui lui est demandé. Cependant, dès lors que le formulaire C1 ne contient aucune information quant à l’obligation de s’inscrire comme demandeur d’emploi, cette règle (dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 juin 2000, n° S.99.0113.N) ne trouve pas à s’appliquer.

La cour procède dès lors à l’examen des faits. En l’espèce, elle conclut que la chômeuse remplit ses obligations en matière de charge de la preuve, puisqu’elle démontre le caractère précis et circonscrit de l’information, celle-ci étant basique, ainsi que le contexte justifiant qu’elle aurait dû lui être donnée. Il appartient dès lors à l’organisme de paiement de prouver qu’il a fourni cette information, ce qu’il reste en défaut de faire.

Le jugement est dès lors réformé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est important sur le plan de l’application des principes de la Charte de l’assuré social au secteur chômage, et ce au moins à deux titres.

En premier lieu, l’arrêt commenté reprend une règle importante en matière de preuve du défaut d’information. Si la charge de celle-ci appartient au créancier de l’obligation d’information (le chômeur), la preuve est cependant simplifiée lorsque l’information est précise et circonscrite, l’organisme de paiement devant, cette hypothèse, démontrer qu’il a effectivement fourni l’information en cause.

Par ailleurs, l’arrêt insiste sur le comportement réactif et proactif exigé des institutions de sécurité sociale. Celui-ci a été rappelé dans un jugement du Tribunal du travail du Hainaut (Trib. trav. Hainaut, div. Mons, 15 mars 2021, R.G. 19/953/A – précédemment commenté), qui a précisé que leur rôle est de faire en sorte que les assurés sociaux puissent obtenir les prestations sociales auxquelles ils ont légalement droit. En conséquence, lorsque l’institution de sécurité sociale reçoit une information qui a une influence sur le maintien ou sur l’étendue des droits de l’assuré social à des prestations, elle est tenue de réagir et de l’informer concernant les démarches à accomplir ou les obligations à respecter en vue de la sauvegarde de ceux-ci. En l’espèce, s’agissant d’une demande de « mesures tremplin ». L’ONEm devait informer l’assurée sociale de manière précise et exhaustive quant à ses droits et obligations dans le cadre du cumul de cette activité avec les allocations de chômage, et notamment lui donner les renseignements relatifs aux « actes préparatoires ».

Relevons également un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 16 mai 2018, R.G. 2016/AB/297) en matière de taux des allocations. La cour a jugé dans celui-ci que les obligations d’information et de conseil résultant de la Charte de l’assuré social, transposées à l’article 24 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, imposent à l’organisme de paiement informé par son affilié du changement de sa situation familiale d’éclairer ce dernier sur les démarches à accomplir pour obtenir le taux correspondant à ce que celle-ci est devenue et de lui conseiller d’introduire le formulaire ad hoc. Un manquement à ce devoir d’information et de conseil se résout par l’obligation de payer à son affilié la différence entre le taux des allocations qu’il percevait avant la modification de sa situation familiale et celui qu’il aurait dû percevoir à la suite de cette modification.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be