Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 2 juin 2021, R.G. 2019/AL/655
Mis en ligne le mardi 23 août 2022
Cour du travail de Liège (division Liège), 2 juin 2021, R.G. 2019/AL/655
Terra Laboris
Dans un arrêt du 2 juin 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que le dépôt d’une déclaration de créance dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes est une cause d’interruption du délai de prescription des créances de l’O.N.S.S., au même titre que le dépôt d’une déclaration de créance dans le cadre d’une faillite.
Les faits
L’O.N.S.S. a mené auprès d’un employeur (personne physique) une enquête concernant quarante-six travailleurs qui n’auraient pas été déclarés à la sécurité sociale des travailleurs salariés, la période visée allant du quatrième trimestre 2002 au quatrième trimestre 2004. Le 13 avril 2007, des décisions ont été notifiées concernant dix-neuf de ces travailleurs, les cotisations réclamées étant supérieures à 200.000 euros.
Dans le cadre d’une procédure pénale, l’employeur a été condamné à une peine de travail par arrêt de la cour d’appel du 13 octobre 2011, ainsi qu’au paiement de sommes au titre de condamnation d’office (article 35 de la loi du 27 juin 1969). Un pourvoi a été introduit et a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 29 février 2012.
L’intéressé a été admis en règlement collectif de dettes par décision du Tribunal du travail de Liège le 1er juillet 2015. Dans le cadre de cette procédure, une déclaration de créance a été introduite par l’O.N.S.S. pour un montant de l’ordre de 390.000 euros. Celui-ci est encore augmenté dans un dernier extrait de compte arrêté au 27 février 2020.
Les décisions prises par l’O.N.S.S. le 13 avril 2007, décisions qui avaient procédé à l’assujettissement d’office de travailleurs, avaient été contestées et, dans le cadre de cette procédure, l’O.N.S.S. avait introduit une action reconventionnelle en date du 9 mai 2019 en vue d’obtenir un montant provisionnel de l’ordre de 205.000 euros.
Le tribunal a statué sur cette cause par jugement du 18 novembre 2019 (jugement rendu par défaut), déclarant la demande originaire non fondée et accueillant par contre celle de l’O.N.S.S.
Appel est interjeté, l’intéressé faisant essentiellement valoir un moyen de prescription ainsi que le principe non bis in idem. Subsidiairement, il demande de limiter le montant de la condamnation.
Quant à l’Office, il a porté sa demande à un montant définitif de l’ordre de 455.000 euros.
L’avis du ministère public
Le ministère public conclut en substance à la non-application du principe non bis in idem en matière civile, à l’absence de prescription (délai de sept ans) eu égard à la procédure pénale et à l’introduction d’une déclaration de créance à la procédure en règlement collectif de dettes.
La décision de la cour
Sur le principe non bis in idem, la cour rappelle qu’il s’applique aux procédures pénales. L’O.N.S.S. agit au civil et ne dispose pas d’un titre exécutoire, de telle sorte que l’autorité de chose jugée ne peut être invoquée, le principe non bis in idem supposant une identité de parties. La cour considère qu’en conséquence, la procédure au civil n’aboutira pas sur un double paiement des cotisations, majorations et intérêts, mais permettra d’assurer l’effectivité de la décision d’assujettissement de l’O.N.S.S.
Vient ensuite l’examen de la prescription de l’action en paiement des cotisations sociales ainsi que des modes de suspension et d’interruption. La prescription est de trois ans à partir de l’exigibilité des créances de l’O.N.S.S. (article 42, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969). Le délai est de sept ans si celles-ci font suite à des régularisations d’office à la suite de la constatation de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes par l’employeur (délai introduit par l’article 74 de la loi-programme du 22 décembre 2008 – entrée en vigueur le 1er janvier 2009). Pour ce qui est des modes d’interruption, l’article 42, dernier alinéa, de la loi prévoit, outre ceux visés à l’article 2244 du Code civil, une lettre recommandée de l’O.N.S.S. à l’employeur, la signification d’une contrainte (telle que visée à l’article 40 de la loi), ou encore l’introduction ou l’exercice de l’action publique ainsi que les actes de poursuite ou d’instruction.
Ce dernier motif est en vigueur depuis le 6 avril 2012. Le droit transitoire prévoit qu’une cause nouvelle d’interruption ou de suspension qui ne figure pas dans la loi au moment de la naissance de l’action est applicable à sa prescription à compter de son entrée en vigueur pour autant qu’à cette date l’action ne soit pas encore prescrite en vertu de la loi ancienne.
L’action publique a en l’espèce pris fin par l’arrêt de la Cour de cassation du 29 février 2012, date à laquelle prend cours un nouveau délai de sept ans. La demande de condamnation au paiement des cotisations, majorations et intérêts a été formée par voie de conclusions déposées au greffe du Tribunal le 9 mai 2019. Cependant, en date du 16 juillet 2015, l’O.N.S.S. a déposé une déclaration de créance dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes et celle-ci englobe la créance litigieuse. L’interruption de la prescription reposant sur la procédure pénale, la cour relève que l’O.N.S.S. ne peut réclamer des montants dus pour la période antérieure, ce qui implique une légère correction de la note de calcul.
Pour ce qui est de la déclaration de créance dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes elle-même, la cour rappelle qu’au même titre qu’une déclaration de créance au passif d’une faillite, celle-ci interrompt la prescription en tant qu’acte équivalent à la citation visée à l’article 2244 du Code civil. La décision d’admissibilité suspend la prescription envers le demandeur, étant donné l’empêchement d’obtenir de celui-ci le paiement de la créance en application de l’article 1675/7, § 1er, du Code judiciaire. Cette suspension durera tant que les effets de la décision d’admissibilité se prolongeront, c’est-à-dire jusqu’au rejet, au terme ou à la révocation du règlement collectif de dettes, et ce sous réserve des stipulations du plan de règlement, la cour renvoyant ici notamment à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 1997 (Cass., 13 novembre 1997, n° C.95.0361.N – avec note d’observations de M. REGOUT-MASSON). Elle précise encore que la contestation de la dette par le médié ne fait pas obstacle à ce mode d’interruption, qui repose sur l’acte accompli par le créancier.
En conclusion, la demande de l’O.N.S.S. n’est pas prescrite.
Intérêt de la décision
La cour rappelle en premier lieu le délai de sept ans introduit par la loi-programme du 22 décembre 2008 dans la loi du 27 juin 1969, pour la prescription des créances de l’O.N.S.S. en cas de régularisation d’office à la suite de constatations dans le chef de l’employeur de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes, ce qui est confirmé en l’espèce par la condamnation pénale.
Un point d’intérêt particulier de cet arrêt réside par ailleurs dans les effets de la déclaration de créance dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes.
La cour rappelle que celle-ci a le même effet que dans le cadre d’une faillite, étant qu’il s’agit d’un mode d’interruption de la prescription, étant un acte équivalent à la citation visée à l’article 2244 du Code civil.
Par ailleurs, la décision d’admissibilité elle-même suspend la prescription vu l’empêchement pour le créancier d’obtenir du médié le paiement de la créance. Cette suspension aura la même durée que la décision d’admissibilité elle-même.
Quant aux effets de l’interruption de la prescription relative à la créance de l’O.N.S.S., rappelons que celle-ci fait courir un nouveau délai, de la même durée que le délai initial.