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Incitants financiers payés par une société de financement à des salariés de sociétés concessionnaires de vente de véhicules automobiles : caractère rémunératoire confirmé

Commentaire de Cass., 14 mars 2022, n° S.21.0006.F

Mis en ligne le lundi 29 août 2022


Cour de cassation, 14 mars 2022, n° S.21.0006.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 mars 2022, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 25 juin 2020, qui avait admis, confirmant en cela une jurisprudence constante, le caractère rémunératoire d’incitants sur ventes payés à des vendeurs liés par un contrat de travail avec une société concessionnaire de vente de véhicules automobiles.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 25 juin 2020 (R.G. 2019/AB/250).

L’arrêt de la cour du travail

La cour du travail avait été saisie d’un litige entre une société de financement et l’O.N.S.S., ce dernier ayant notifié une décision d’assujettissement de commissions versées aux travailleurs salariés de concessions indépendantes, assujettissement intervenant en application de l’article 36 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. Ces régularisations concernaient l’assujettissement d’incitants versés par la société aux salariés des concessions indépendantes de plusieurs marques de voitures en tant qu’« apporteurs d’affaires », c’est-à-dire lors de la vente des produits et services financiers de la société.

Elle avait considéré en substance que les incitants litigieux rétribuaient la vente de produits ou services financiers de la société réalisée par les vendeurs salariés des concessionnaires à l’occasion de la vente du véhicule de la concession pour lequel le produit ou service financier était vendu et que c’était parce qu’ils vendaient un véhicule de la concession que les vendeurs proposaient et vendaient les produits ou services financiers de la société pour ce véhicule. C’est dès lors uniquement en raison et à l’occasion du travail exécuté en vertu du contrat de travail existant entre la concession et eux-mêmes que les vendeurs vendaient les produits et services financiers de la société et que ce n’était donc que si des ventes étaient réalisées par eux dans le cadre de leur contrat de travail que la société octroyait l’incitant en cause, aucune autre prestation n’étant fournie par les vendeurs pour cette société.

En conclusion, la cour avait jugé que les incitants octroyés en contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail constituaient de la rémunération passible de cotisations sociales.

Le pourvoi

La société a invoqué, dans son pourvoi, les articles 14, §§ 1er et 2, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, les articles 23, alinéas 1er et 2, ainsi que 38, § 1er, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés et les articles 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération du travailleur ainsi que 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

La première branche du premier moyen faisait valoir une contrariété de motifs (cette branche sera déclarée irrecevable dans l’arrêt de la Cour de cassation).

La deuxième branche contenait deux rameaux, auxquels la Cour répondra ensemble.

Le pourvoi considérait d’une part qu’en décidant qu’un avantage évaluable en argent, non pris en charge directement ou indirectement par l’employeur, est soumis aux cotisations de sécurité sociale pour autant qu’il soit la contrepartie de prestations fournies « en raison et à l’occasion » de ce contrat (ce qui implique qu’il n’est pas nécessaire qu’il soit la contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail), l’arrêt viole l’ensemble des dispositions visées en tête du moyen.

Le second rameau considérait qu’il y avait également violation de l’ensemble des dispositions visées, l’arrêt n’ayant légalement pu décider à partir des constatations effectuées que les incitants étaient soumis aux cotisations de sécurité sociale pour le motif que la vente était exclusivement déployée durant l’horaire de travail et sur le lieu de travail et que les vendeurs consacraient ainsi une partie de leur temps de travail à ces activités, le cas échéant en utilisant le matériel de l’employeur.

(Une troisième branche sera également rejetée pour irrecevabilité et n’est dès lors pas davantage commentée ici).

Le moyen développait également une deuxième branche (voir dispositions dans la requête), lui-même divisé en quatre branches (trois d’entre elles seront rejetées au motif qu’elles manquent en fait et l’une d’entre elle, fondée sur l’article 2, alinéa 1er, 3°, de la loi du 12 avril 1965, étant rejetée au motif que l’arrêt avait légalement pu décider que les avantages en cause sont évaluables en argent).

Enfin, un troisième moyen était essentiellement tiré de l’article 1315 de l’ancien Code civil, selon lequel celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

L’arrêt de la Cour

La Cour a essentiellement examiné les deux rameaux de la deuxième branche du premier moyen.

Les constatations faites par la cour du travail sont les suivantes : proposition par la société des produits de financement, leasing et location, assurances crédit et auto liées à la vente de véhicules automobiles, recours aux vendeurs salariés de concessions indépendantes de vente de véhicules automobiles, octroi à ces vendeurs d’incitants en contrepartie des contrats de vente des produits financiers apportés, choix par les concessionnaires-employeurs des produits financiers pouvant être proposés et vendus par les vendeurs, absence d’obligation dans le chef de ces derniers d’assurer le financement des véhicules vendus et possibilité de proposer des produits financiers d’autres sociétés, vente des produits financiers nécessairement liée à celle d’un véhicule du concessionnaire et prestations intervenant durant l’heure de travail et sur le lieu du travail prévu dans le contrat de travail, avec utilisation du matériel de l’employeur.

Pour la Cour de cassation : en énonçant dans ce contexte que la vente d’un produit financier de la société a lieu à l’occasion de la vente du véhicule et en raison et à l’occasion du travail exécuté en vertu du contrat de travail, l’arrêt donne à connaître que le travail accessoire de vente des produits financiers constituait, comme le travail principal de vente des véhicules, l’exécution de ce contrat de travail.

Le moyen est rejeté au motif qu’il manque en fait, dans la mesure où il suppose que, selon l’arrêt, la vente des produits financiers ne constituait pas l’exécution du contrat de travail.

Enfin, le troisième moyen est rejeté au motif qu’il manque en droit, la Cour renvoyant à l’article 36 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, selon lequel, lorsqu’une fraction de la rémunération est payée au travailleur à l’intervention d’un tiers, celui-ci est substitué à l’employeur pour l’accomplissement de toutes les obligations relatives à cette rémunération qui incombent à cet employeur en application de l’arrêté. Le tiers est déchargé de ses obligations, à condition de fournir à l’employeur tous les renseignements requis pour lui permettre de déclarer dans le délai réglementaire la rémunération visée et de lui transmettre le montant des retenues dès qu’elles ont été effectuées sur cette rémunération.

Pour la Cour, il incombe au tiers à l’intervention duquel la fraction de rémunération est payée et qui se prévaut de la décharge précitée de prouver qu’il a transmis à l’employeur ces renseignements et le montant de ces retenues.

Intérêt de la décision

Hors le troisième moyen, le pourvoi a essentiellement été rejeté au motif qu’il manquait en fait.

La décision de la cour du travail est dès lors définitive et l’on peut rappeler à cet égard qu’à la même époque, la même cour du travail (autrement composée) a rendu un arrêt similaire en date du 10 août 2020 (C. trav. Bruxelles, 10 août 2020, R.G. 2017/AB/29 – précédemment commenté). La cour y a renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2016, (Cass., 10 octobre 2016, n° S.15.0118.N), selon lequel la circonstance qu’un tiers prend en charge l’avantage financier et non l’employeur, ni directement ni indirectement, est sans incidence : cet avantage peut constituer une rémunération au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération.

La cour du travail y avait également repris un autre arrêt de la Cour suprême (Cass., 20 mai 2019, n° S.18.0063.F), qui a précisé que sont rémunératoires les avantages en argent ou évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de l’engagement, bien qu’ils ne constituent pas la contrepartie du travail fourni. La rémunération allouée pour le travail effectué en raison du contrat de travail constitue dès lors de la rémunération au sens de l’article 2 et, en vertu des articles 14 de la loi du 27 juin 1969 et 23 de la loi du 29 juin 1981, elle entre en ligne de compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale.

Elle avait encore renvoyé aux conclusions du premier Avocat général LECLERCQ précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 10 septembre 1990 (Cass., 10 septembre 1990, Pas., 1991, 24).

Nous avions rappelé, dans le commentaire de cet arrêt de la cour du travail, que la jurisprudence en la matière est constante et avions également rappelé que l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2019 a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 7 mars 2018, R.G. 2015/AB/316 – également précédemment commenté) relatif à des primes versées à des vendeuses de parfumerie.


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