Terralaboris asbl

Nature juridique du contrat de stage conclu en application de l’A.R. n° 230 (stage ONEm) : contrat sui generis

Commentaire de Trib. trav. Mons, 20 février 2006, R.G. 353/00/M

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Mons, section Mons, 20 février 2006, R.G. n° 353/00/M

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 20 février 2006, le tribunal du travail de Mons se prononce sur la nature juridique d’un contrat de stage conclu en application de l’A.R. n° 230 du 21 décembre 1983 relatif au stage et à l’insertion professionnelle des jeunes (« stage ONEm »). Au travers de l’analyse des dispositions de l’arrêté royal et de la doctrine, le tribunal conclut que ce contrat de stage ne peut être qualifié de contrat de travail à durée déterminée.

Les faits

Madame A. a été occupée par une entreprise du secteur privé dans le cadre, dans un premier temps, des deux contrats de stage à temps plein successifs conclus en application de l’article 16 § 3 de l’A.R. n° 230 du 21 décembre 1983 relatif au stage et à l’insertion professionnelle des jeunes (contrat conclu pour une durée de six mois) puis, ensuite, dans le cadre de deux contrats à durée déterminée successifs d’un an.

L’occupation a pris fin à l’issue du terme du second contrat de travail à durée déterminée.

La travailleuse décède peu de temps après, connaissant des problèmes de santé.

Ultérieurement, l’ayant droit de la travailleuse saisit le tribunal du travail de Mons en vue d’obtenir la requalification de l’ensemble des contrats conclus (stage et CDD) en contrats de travail à durée indéterminée. Il demande dans ce cadre la condamnation de l’ancien employeur au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de trois mois ainsi qu’un franc provisionnel au titre de dommages et intérêts dus suite à l’absence d’attribution des avantages accordés dans le cadre de l’assurance « hospitalisation et maladie grave » souscrite par la société au bénéfice du personnel engagé pour une durée indéterminée.

La position des parties

La partie demanderesse estime que l’ensemble des contrats doit être considéré comme étant des contrats à durée déterminée. Vu que la succession dans le temps ne rencontre pas les exigences des articles 10 et 10 bis de la loi du 3 juillet 1978, la partie demanderesse soutient que Mme A. devait être considérée comme engagée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, rompu sans respect des modalités relatives au préavis.

Elle se fonde sur

  • l’article 21 de l’A.R. n° 230 précité, qui dispose que, sous réserve des dérogations prévues par l’arrêté, toutes les dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relatives aux contrats de travail qui concernent le contrat à durée déterminée, sont d’application au stage ;

*- les dispositions des deux contrats de stage conclus entre les parties, qui prévoyaient que les contrats étaient régis par l’ensemble des dispositions de la loi du 3 juillet 1978.

Quant à l’article 17 dudit arrêté royal, qui prévoit que le contrat de stage peut être suivi d’un contrat de travail à durée déterminée, la partie demanderesse estime que l’exception doit être interprétée restrictivement, de sorte qu’un seul contrat à durée déterminée aurait pu être conclu, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, de sorte que les seules références légales applicables sont les articles 10 et 10 bis de la loi du 3 juillet 1978.

Dans la mesure où elle estime que Mme A. avait été occupée dans les liens d’un contrat à durée indéterminée, la partie demanderesse demande ainsi le paiement l’indemnité compensatoire de préavis (trois mois) ainsi que les avantages qui étaient attribués, dans le cadre de l’assurance de groupe, aux travailleurs engagés pour une durée indéterminée.

La société fait quant à elle valoir que le contrat de stage conclu en application de l’A.R. n° 230 ne peut être assimilé à un contrat de travail, la finalité de chacun de ces contrats étant différente, le contrat de stage se caractérisant essentiellement par la direction et la surveillance, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans le cadre d’un contrat de travail, qui a pour objet la prestation d’un travail en contrepartie du paiement d’un salaire.

La société fait par ailleurs valoir que, en application de l’article 17 précité de l’arrêté royal, le législateur a prévu une exception à l’article 10 de la loi du 3 juillet 1978.

Elle estime dès lors que la seule disposition pertinente est l’article 10 bis de la loi du 3 juillet 1978, étant l’examen des conditions imposées pour la succession de contrats à durée déterminée, conditions rencontrées en l’espèce, s’agissant de deux contrats dont la durée totale n’est pas inférieure à trois mois et qui n’ont pas excédé, ensemble, deux ans. Elle conclut dès lors au débouté des demandes formulées par l’ayant droit.

La décision du tribunal

Le tribunal suit l’argumentation développée par la société.

Il se fonde sur la finalité du contrat de stage, qui est totalement différente du contrat de travail, puisqu’il ne s’agit pas de fournir une prestation de travail sous l’autorité d’une personne moyennant rémunération mais bien d’acquérir une formation pratique. D’ailleurs, c’est en vue de cette finalité que la réglementation impose à l’entreprise de veiller à ce que le stagiaire puisse effectuer son stage dans la section et dans la fonction qui correspondent à sa formation théorique, de même qu’elle impose à l’entreprise la désignation d’un maître de stage, agissant comme formateur.

Le tribunal se fonde également sur le montant de la rémunération, qui correspond à 90% du salaire octroyé aux membres du personnel de la même fonction.

Pour le tribunal, la réglementation (AR n° 230) contient d’une série de dispositions spécifiques, notamment en ce qui concerne la rupture, et prévoit diverses obligations qui seraient incontestablement superflues si le contrat de stage était un contrat de travail (le tribunal vise ainsi l’obligation pour le stagiaire de se conformer à la réglementation du temps de travail et aux autres conditions de travail, ainsi que la possibilité d’obtenir un préavis réduit et, enfin, la compétence matérielle des tribunaux du travail est explicitement rappelée.

Examinant ensuite l’article 21 de l’A.R. n° 230 (dont le contenu est rappelé supra et qui vise à rendre applicables les dispositions de la loi du 3 juillet 1978, sous réserve des dérogations prévues par l’arrêté royal), le tribunal estime qu’il ne contredit pas la thèse de la convention sui generis, les dispositions de la loi du 3 juillet 1978 étant supplétives par rapport à celles de l’arrêté royal. Elles ne concernent que l’obligation de conclure un contrat de stage par écrit au plus tard au moment de l’entrée en service du stagiaire (article 9 de la loi du 3 juillet 1978) ou celle de pouvoir mettre fin au contrat de stage pour un motif grave ou avant terme (article 35 et 40 de la loi du 3 juillet 1978).

Le tribunal estime dès lors que l’arrêté royal a organisé un régime de contrat dérogatoire au droit commun du contrat de travail (contrat sui generis), de sorte que les dispositions de la loi du 3 juillet 1978 limitant la succession dans le temps des contrats à durée déterminée sont inapplicables.

Enfin, le tribunal relève que la réglementation n’a pas prévu de sanctions lorsque sont conclus plus d’un contrat à durée déterminée à l’issue du contrat de stage.

Estimant dès lors que les contrats de stage ne peuvent être qualifiés de contrats de travail à durée déterminée, le tribunal conclut à la légalité de la rupture par arrivée du terme du second contrat à durée déterminée et rejette dès lors tant la demande d’indemnité compensatoire de préavis que celle visant les dommages et intérêts dans le cadre de l’assurance de groupe « hospitalisation et maladie grave ».

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision réside évidemment dans le point de droit tranché, à savoir la nature juridique du contrat de stage ONEm conclu en application de l’A.R. n° 230.

Relevons que cet arrêté royal est actuellement abrogé. La décision reste cependant d’actualité pour les litiges encore en cours sur cette base, mais également, pour les réglementations qui pourraient être similaires à celle de l’A.R. n° 230.


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