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Refus d’embauche et discrimination sur la base de la naissance

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 25 mars 2022, R.G. 20/1.546/A

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 25 mars 2022, R.G. 20/1.546/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 25 mars 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège), appliquant le Décret de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination, accueille une demande de paiement de l’indemnité protectionnelle, vu un refus d’embauche fondé sur l’existence d’un lien de parenté avec une autre personne occupée : c’est une discrimination sur la base de la naissance.

Les faits

Un professeur d’éducation physique fut engagé par un pouvoir organisateur de l’enseignement libre subventionné pour l’année 2018-2019. En cours d’année, il adressa un courrier au président de l’A.S.B.L., posant des questions quant à son avenir professionnel, ayant appris que l’association ne souhaitait plus engager les membres d’une même famille au sein des établissements qu’elle gérait. Il expliquait également son attachement à l’institution. La réponse apportée par le président exposait clairement que la position de principe de l’association était de ne pas engager des personnes présentant un degré de parenté qui risquerait de se dégrader. Il rappelait des difficultés précédentes connues dans les écoles et précisait être obligé de « (lui) fermer la porte », et ce dans un souci de cohérence. Il confirmait que cette décision de ne pas poursuivre la relation avec lui était définitive. Cette position entraîna certaines réactions au sein de l’établissement, mais l’autorité resta de marbre.

UNIA intervint en septembre 2019, faisant état d’un « refus d’embauche ». Le Centre précisait qu’il y avait là une différence de traitement sur la base du critère de la naissance, critère protégé par la législation anti-discrimination. Le président apporta dans sa réponse des précisions, confirmant qu’il avait été décidé de ne plus engager de personnes qui auraient un lien de parenté ou d’alliance jusqu’au deuxième degré avec un membre du pouvoir organisateur ou un membre du personnel. Il considérait qu’il n’y avait pas de discrimination sur la base de la naissance mais une politique d’engagement opportune dans l’intérêt de tous les membres du personnel et des élèves. Le conseil de l’association précisa, dans un courrier ultérieur, que la justification de la mesure incriminée était la prévention des conflits et risques psychosociaux, ajoutant que la mesure avait un caractère proportionné, la fonction de l’intéressé étant une fonction en pénurie, qui lui permettrait dès lors de retrouver aisément un autre emploi.

Tout en contestant le caractère discriminatoire de la politique d’embauche, le courrier précisait que l’A.S.B.L. avait décidé, sans reconnaissance préjudiciable, de ne plus appliquer cette décision. Le professeur était invité à poser sa candidature, étant cependant précisé qu’un engagement ne pouvait lui être garanti, vu l’obligation de respecter des règles de priorité, conformément au Décret du 1er janvier 1993. Le conseil de l’A.S.B.L. contestait que l’indemnité protectionnelle soit due, au motif que l’intéressé n’avait jamais posé sa candidature pour une place vacante et qu’il ne pouvait prétendre avoir été victime d’une discrimination.

Les parties restèrent sur leur position et une procédure fut introduite, le travailleur demandant, à titre principal, l’indemnisation forfaitaire de six mois pour dommage matériel et moral et, à titre subsidiaire, l’indemnité de trois mois si le tribunal devait admettre qu’il était démontré que le traitement défavorable aurait également été adopté sans la discrimination.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle le cadre légal, étant le Décret de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination. Celui-ci reprend la naissance parmi les critères protégés et interdit toute discrimination sur la base de ceux-ci.

L’article 4 dispose que le texte s’applique en matière de relations d’emploi, celles-ci visant à la fois les relations statutaires et les relations contractuelles que la Communauté française peut régir en vertu des articles 9 et 87 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 et de l’article 127, § 1er, 1°, de la Constitution, étant précisé que ceci inclut les conditions d’accès à la fonction, y compris en matière de promotion, ainsi que les conditions d’exercice de ces fonctions (rémunération et rupture).

L’article 5 précise les conditions dans lesquelles une distinction fondée sur les critères en cause ne constitue pas une discrimination, étant que celle-ci peut être objectivement justifiée par un but légitime, les moyens de réaliser celui-ci devant être appropriés et nécessaires.

Sur le plan de la preuve, l’article 42 du Décret organise un système de partage de la charge de la preuve, étant que, lorsque la personne qui s’estime victime d’une discrimination invoque devant la juridiction compétente des faits qui permettent de présumer l’existence d’une telle discrimination, il appartient au défendeur d’établir que celle-ci n’existe pas.

Le tribunal entreprend, ensuite, l’examen des faits à la lumière des principes dégagés, organisant celui-ci autour de quatre axes.

Le premier consiste à déterminer si le travailleur était candidat à l’embauche au 1er septembre 2019. Il renvoie à la lettre de l’intéressé envoyée dans le courant de l’année académique 2018-2019 et à la réponse qui y fut apportée, celle-ci confirmant que l’A.S.B.L. avait conscience du souhait de l’intéressé à cet égard.

La deuxième question est de déterminer si la mesure litigieuse constituait une discrimination directe et le tribunal répond par l’affirmative.

Le troisième point porte sur la justification objective de la mesure par un but légitime. Il admet que le but poursuivi par l’A.S.B.L., qui est de prévenir les conflits ainsi que les risques psychosociaux, est un objectif légitime.

Vient ensuite l’analyse du quatrième point, étant de savoir si la mesure est appropriée et nécessaire pour atteindre ce but. Appliquant les règles du Décret en matière de charge de la preuve, le tribunal retient que le refus d’embauche de l’intéressé est établi au motif qu’il était le frère d’une enseignante déjà en poste et que ce fait est de nature à présumer une discrimination fondée sur la naissance, discrimination dont l’A.S.B.L. doit démontrer l’inexistence. Il s’agit de prouver non seulement que la mesure n’est pas discriminatoire, mais également qu’elle n’est pas disproportionnée par rapport à l’objectif visant à prévenir les conflits et les risques psychosociaux.

Reprenant les éléments du dossier, dont un rapport établi par le conseiller en prévention précédemment et contenant les mesures de prévention collectives que celui-ci indique, le tribunal conclut que le pouvoir organisateur aurait dû veiller à l’application de ces recommandations et non refuser purement et simplement d’embaucher le demandeur. Il fait grief à l’A.S.B.L. de ne pas démontrer que ces mesures n’étaient pas susceptibles de prévenir les conflits et les risques psychosociaux. L’existence d’une différence de traitement est dès lors établie et celle-ci est disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi.

Le tribunal aborde, enfin, la question de l’indemnité à laquelle le demandeur peut prétendre : six mois ou trois mois. Il conclut que l’A.S.B.L. ne démontre pas que l’intéressé aurait subi le même traitement désavantageux s’il n’avait pas été exclu en raison de son lien de parenté. C’est dès lors l’indemnité de six mois qui est allouée.

Intérêt de la décision

Si le contentieux de la discrimination est abondant, celui relatif à la discrimination sur la base de la naissance est assez rare.

Le tribunal a accueilli, dans l’espèce tranchée, la demande du travailleur, et ce dans le cadre d’un texte spécifique, applicable en Communauté française, s’agissant du Décret du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination. Celui-ci a pour objectif de créer un cadre général et harmonisé pour lutter contre la discrimination fondée sur différents critères protégés, son article 2, 4°, relevant l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction politique, la langue, l’état de santé actuel ou futur, une caractéristique physique ou génétique, ou encore l’origine sociale, notamment.

Les conditions d’accès à la fonction ainsi que leurs conditions d’exercice sont reprises dans la définition des « relations d’emploi ». Le champ d’application est dès lors très large, couvrant l’ensemble des aspects de la relation de travail.

Le Décret suit le mécanisme de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, tant sur la question de la preuve (partage de la charge de la preuve) que sur la justification d’une distinction directe et, enfin, sur le montant de l’indemnité.

Rappelons qu’en la matière les difficultés de preuve ont été prises en compte par le législateur par l’instauration d’une présomption de discrimination. Dans un arrêt du 8 janvier 2020 (C. trav. Bruxelles, 8 janvier 2020, R.G. 2017/AB/97), statuant à propos d’un autre critère (état de santé), la Cour du travail de Bruxelles a retenu qu’il convient de ne pas apprécier d’une manière trop stricte les présomptions de l’existence d’une discrimination liée à un critère protégé, sous peine de ne pas atteindre l’objectif du législateur, qui est de protéger la partie la plus faible à travers le système de partage de la charge de la preuve.

La charge de la preuve est ainsi considérablement allégée. Il faut à cet égard renvoyer à l’enseignement de la Cour constitutionnelle, en son arrêt du 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2.009). La haute cour y a précisé que la victime d’une discrimination doit démontrer que le défendeur a commis des actes ou a donné des instructions qui pourraient, de prime abord, être discriminatoires et que les faits avancés doivent être suffisamment graves et pertinents. Il ne suffit pas qu’une personne prouve qu’elle a fait l’objet d’un traitement qui lui est défavorable, encore doit-elle prouver les faits qui semblent indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites. (Voir également Trib. trav. Hainaut, div. Mons, 24 janvier 2022, R.G. 20/680/A – précédemment commenté).


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