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Elections sociales : notion de candidature abusive

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Binche), 28 février 2022, R.G. 20/1.934/A

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Binche), 28 février 2022, R.G. 20/1.934/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 28 février 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division Binche) condamne à l’indemnité de protection une société ayant licencié un travailleur pendant la période occulte et n’ayant pas fait droit à sa demande de réintégration.

Les faits

Un ouvrier, engagé par une société de gardiennage en juin 2016, est licencié le 3 mars 2020 moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. La lettre de rupture précise que le congé est motivé par une altercation avec son supérieur hiérarchique.

L’intéressé réagit, contestant son licenciement. Il fait valoir que la procédure prévue par la loi du 19 mars 1991 n’a pas été respectée. L’organisation syndicale fait un rappel à la société un mois plus tard, vu l’absence de réaction. Une demande de réintégration ayant été introduite et l’employeur n’y ayant pas satisfait, les indemnités légales sont réclamées par plusieurs courriers. La société répond enfin qu’elle ignorait que l’intéressé s’était présenté aux élections sociales, et ce au motif qu’elle n’avait reçu la liste des candidats qu’après le licenciement. L’employeur confirme le motif, étant l’altercation avec le supérieur hiérarchique. L’organisation syndicale revient à la charge, confirmant sa position, étant que l’intéressé avait été licencié pendant la période occulte et que l’employeur n’avait pas fait droit à la demande de réintégration.

Une procédure est dès lors introduite en paiement des indemnités de protection. Sont demandées d’une part l’indemnité forfaitaire et d’autre part l’indemnité variable.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend, en droit, les règles fixées par la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats-délégués du personnel. La durée de l’interdiction de licencier (hors pour motif grave préalablement admis par le tribunal ou pour des raisons d’ordre économique ou technique préalablement reconnues par l’organe paritaire) va du trentième jour précédant l’affichage de l’avis fixant la date des élections jusqu’à l’installation des candidats élus.

Les candidats-délégués bénéficient de la même protection lors de leur première candidature. Cette protection débute à la même date et se termine deux ans après l’affichage du résultat des élections lorsqu’ils ont déjà été candidats et qu’ils n’ont pas été élus lors des élections précédentes.

Le tribunal rappelle que le travailleur licencié irrégulièrement peut demander sa réintégration aux mêmes conditions que celles dont il bénéficiait avant la rupture. Il doit en faire la demande par lettre recommandée à la poste dans les trente jours qui suivent la date de notification du préavis ou la date de rupture du contrat sans préavis, ou le jour de la présentation des candidatures si celle-ci intervient après les deux dates ci-dessus.

Renvoyant à la doctrine (O. RIJCKAERT, Le conseil d’entreprise et le comité pour la prévention et la protection au travail, Wolters Kluwer, 2015, coll. Concertation sociale, p. 477 et H.-Fr. LENAERTS, « Elections sociales 2016. La protection des candidats », Ors., 2015/9, pp. 2, 3, 13 et 14), le tribunal souligne que la protection du travailleur débute ainsi environ quatre mois avant les élections, ce qui signifie qu’elle commence avant même que les candidats soient connus de l’employeur. Ceux-ci sont en effet protégés soixante-cinq jours avant que leur candidature soit annoncée. Il s’agit de la « protection occulte ». Si l’employeur licencie alors qu’il est dans l’ignorance que le travailleur est déjà protégé, le licenciement est illicite.

Il ajoute que la candidature du travailleur licencié est valable même lorsque le contrat a pris fin avant l’affichage. La loi prévoit donc que le travailleur candidat aux élections sociales et licencié après le début de la période de protection bénéficie du même régime de protection que les autres travailleurs : il peut demander sa réintégration et, si l’employeur la refuse, il peut prétendre au paiement des indemnités.

Cependant, si la protection occulte est la règle, un abus de droit peut être constaté, étant qu’une candidature peut être posée dans le seul but de contrecarrer les effets du licenciement. Dans ce cas, il y a nullité de la candidature ou obligation pour le candidat de la retirer.

Se pose ainsi la question du recours de l’employeur en cas de candidature abusive. Un recours peut être introduit en vertu de l’article 39, § 2, de la loi du 4 décembre 2007 relative aux élections sociales contre la présentation de candidats. Les conditions posées sont que les candidatures ou les listes de candidats ne sont pas conformes aux dispositions de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, de celle du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail ou de la loi du 4 décembre 2007 ci-dessus. Un délai est prévu, étant que ce recours doit être introduit dans les cinq jours qui suivent le délai pour l’introduction des réclamations de l’article 37, § 1er, et le tribunal doit statuer dans les quatorze jours après la réception du recours.

Ce recours peut intervenir en cas d’abus de droit et le tribunal renvoie ici à la doctrine de S. REMOUCHAMPS (S. REMOUCHAMPS, Le conseil d’entreprise et le comité pour la prévention et la protection au travail, Wolters Kluwer, 2015, coll. Concertation sociale, p. 148-151) en ce qui concerne la vérification d’un tel abus.

Il s’agit d’examiner l’abus de droit au sens de la théorie classique, c’est-à-dire à la lumière des objectifs de la candidature (exercice d’un mandat de représentant du personnel) et de la nécessaire protection de ce candidat (risque de licenciement). Le contrôle judiciaire reste marginal et la charge de la preuve de l’abus de droit incombe à celui qui l’invoque.

Dans la ligne de ces principes, le tribunal examine ensuite les éléments de la cause, étant acquis que l’intéressé a été licencié durant la période de protection occulte. L’employeur faisant valoir que l’intéressé ne réunissait pas les conditions d’éligibilité (à savoir l’existence d’un contrat de travail), le tribunal rappelle que ces conditions doivent être remplies au jour des élections. En cas de licenciement, cette condition d’occupation doit s’apprécier au moment du licenciement lui-même. Le tribunal renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 30 mars 1992 (Cass., 30 mars 1992, n° 7.840).

Est une nouvelle fois rappelée ici la conclusion de la même doctrine dans un autre ouvrage (S. REMOUCHAMPS, « La protection dans le temps. Protection et élections sociales : regards croisés », La protection des représentants du personnel, Anthémis, 2011, p. 101), qui conclut qu’en cas de licenciement intervenant pendant la période de protection, qui a débuté le trentième jour avant l’affichage X, le travailleur ne devra pas remplir la condition d’éligibilité relative à l’existence d’un contrat de travail au moment des élections.

Un tel recours n’a en l’espèce pas été introduit dans le cadre de la procédure électorale. Pour le tribunal, à supposer même que la société puisse encore faire valoir le caractère abusif de la candidature, elle ne produit aucun élément probant en ce sens. Plaider l’absence d’engagement syndical ne suffit pas, ceci n’étant qu’une simple supputation et il renvoie ici à diverses décisions qui ont conclu que, pour que la candidature puisse être déclarée abusive, il faut que l’employeur établisse que celle-ci avait pour seul but de protéger le travailleur et non de traduire sa volonté d’exercer un mandat de représentant des travailleurs dans un organe de concertation. L’absence d’activité syndicale passée est sans incidence sous peine de faire obstacle à toute première candidature (le tribunal renvoyant également à Trib. trav. Liège, div. Liège, 2 novembre 2020, R.G. 20/2.796/A et 20/2.871/A).

En conséquence, l’indemnité est due. Vu le caractère d’ordre public de la loi, le tribunal soulève d’office l’interdiction de cumul avec l’indemnité de préavis classique. Celle qui a été payée à ce titre doit dès lors venir en déduction de l’indemnité de protection.

Intérêt de la décision

Le tribunal fait dans ce jugement un rappel précis du lien entre la protection du candidat aux élections (qui est d’ordre public) et le pouvoir de rupture dont dispose l’employeur.

Une question délicate est celle de la « protection occulte », qui vise l’hypothèse où un travailleur qui s’est porté candidat et bénéficie dès lors de la protection contre le licenciement est licencié, l’employeur étant dans l’ignorance de cette protection. La loi prévoit, au secours de l’employeur, la possibilité de réintégrer le travailleur licencié irrégulièrement.

Dès lors cependant qu’il n’est pas exclu que la candidature elle-même ait été posée par le travailleur pour se protéger contre le licenciement plutôt que pour exercer le mandat de représentant du personnel, existe un recours juridictionnel, qui permet le contrôle judiciaire du bien-fondé de cette candidature. Cet examen passe par le prisme de la théorie classique de l’abus de droit, étant le détournement de la candidature ainsi posée : celle-ci a un seul but, qui est la protection du travailleur candidat contre le risque d’un licenciement et n’est pas introduite en vue d’exercer sa mission légale.

La doctrine (S. REMOUCHAMPS, Le conseil d’entreprise et le comité pour la prévention et la protection au travail, Wolters Kluwer, 2015, coll. Concertation sociale, p. 148-151) a souligné que, s’agissant de l’examen d’un abus de droit, celui-ci impose que la preuve de l’abus soit établie par celui qui l’invoque, à savoir l’employeur, et que le détournement de la finalité de la disposition légale soit également prouvé, la jurisprudence exigeant que la candidature ait eu pour seul but de mettre le travailleur candidat à l’abri du licenciement.

Dans le jugement commenté, le Tribunal du travail du Hainaut a également renvoyé à un jugement du Tribunal du travail de Mons (Trib. trav. Mons, sect. Mons, 25 avril 2012, R.G. 12/1.060/A et 12/1.061/A), qui a clairement posé le cadre du contrôle judiciaire comme suit :

1. Pour apprécier l’existence d’un abus de droit, le Tribunal doit tenir compte des principes suivants (i) la présentation des candidats relève de la responsabilité de type politique des organisations syndicales : le choix d’un candidat éventuellement incompétent, inapproprié ou peu engagé dans l’action syndicale est d’abord sanctionné par la non-élection de ce candidat ou la baisse des suffrages ; (ii) le caractère abusif ne peut jamais se déduire de considérations, de supputations ou d’estimations relatives à la réalité de l’engagement futur du candidat dans les organes sociaux.

2. L’appréciation du Tribunal est extrêmement marginale : le rejet d’une candidature pour abus de droit doit être réservé aux situations claires, quasi incontestables, dans lesquelles il apparaît que le motif de la candidature est totalement étranger au souci de fonctionnement des organes sociaux et dans lesquelles, s’il devait être élu, il est certain ou quasi certain que le représentant du personnel n’exercera pas sa mission.


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