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Maladie professionnelle : taux d’incapacité permanente en cas d’écartement

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 mars 2022, R.G. 2020/AL/239

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 mars 2022, R.G. 2020/AL/239

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 mars 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les décisions judiciaires intervenues sur la détermination de l’incapacité permanente de travail en cas d’écartement définitif : cet écartement s’ajoute aux autres facteurs socio-économiques, dont il fait partie.

Les faits

Un ouvrier a introduit une demande d’indemnisation pour une maladie professionnelle de la liste en mars 2015. Il était à ce moment occupé comme ouvrier dans la construction, était âgé de trente-deux ans et avait interrompu en cours de route ses études secondaires techniques, étant ainsi au travail depuis l’âge de dix-sept ans.

FEDRIS fit droit à sa demande par courrier du 21 juin 2017, reconnaissant une incapacité temporaire pendant deux périodes en 2015 et 2016 et une incapacité permanente de 8% à partir du 8 octobre 2016. Ce taux était divisé en 7% d’incapacité physique et 1% de facteurs socio-économiques, la date du début de l’indemnisation étant arrêtée au 23 décembre 2014.

Un recours fut introduit contre la décision de FEDRIS, demandant que le taux d’incapacité soit porté à 18%, avec la même date de départ. Ce taux était, selon la demande, à majorer pour tenir compte des facteurs socio-économiques habituels.

Un jugement fut prononcé le 24 avril 2018, désignant un expert. Le rapport de celui-ci fut déposé au greffe le 25 février 2019. Il constatait l’existence de la maladie avec un point de départ inchangé, le taux initial d’incapacité physique étant de 7%, taux qu’il porta pour les périodes ultérieures à 100% en cas d’incapacité totale et à 7% ensuite.

Parallèlement à la procédure judiciaire, sur proposition de FEDRIS, le demandeur fut écarté par décision du 21 septembre 2018 (cette demande datant du 31 mai 2017). L’écartement définitif fut admis pour la période du 21 juin 2018 au 18 septembre 2018 et une incapacité permanente de 8% reprise après cette date. La ventilation entre l’incapacité physique et économique était identique.

Un deuxième recours fut introduit par l’intéressé, celui-ci considérant qu’il devait être dit pour droit qu’en compensation de l’écartement du milieu nocif du travail pour la maladie reconnue, il devrait lui être reconnu, depuis la date de départ de l’indemnisation (23 décembre 2014), un taux de 15%.

Le tribunal vida sa saisine par jugement du 8 novembre 2019, dans lequel il joignit les causes. Le taux d’incapacité global fut fixé à 10% (soit 7% + 3%). Le demandeur fut débouté dans le dossier relatif à la demande relative à la mesure d’écartement.

Appel a été interjeté.

Les arrêts de la cour du travail

L’arrêt du 26 janvier 2021

La cour a rendu un premier arrêt le 26 janvier 2021, dans lequel elle ordonne une réouverture des débats.

Elle constate en effet que FEDRIS plaide qu’aucune des dispositions légales applicables ne prévoit la possibilité de cumuler une rente d’écartement avec les indemnités pour incapacité permanente.

Le site internet de FEDRIS, consulté par la cour, donne des explications sur la cessation définitive de travail, explications que la cour reprend très longuement, soulignant notamment les conditions de la « rente d’écartement », rente qui s’ajoute à l’indemnité pour l’incapacité permanente. Par ailleurs, dans une brochure éditée par FEDRIS, il est précisé que le taux total d’incapacité de travail est la somme du pourcentage d’incapacité physique, du pourcentage socio-économique et, éventuellement, du pourcentage de la rente d’écartement du travail ainsi que de la majoration basée sur l’âge. En outre, la cour constate que, dans un courrier envoyé au demandeur originaire, une proposition d’écartement définitif avait été faite. L’accord de l’intéressé était demandé sur cette proposition, le Fonds des maladies professionnelles (à l’époque) expliquant qu’elle entraînait l’octroi d’une prime d’écartement équivalente aux indemnités d’incapacité temporaire totale pendant nonante jours, ainsi qu’une majoration forfaitaire du taux d’indemnisation de 5% pour l’incapacité permanente.

Enfin, la cour reproduit des arrêts de sa jurisprudence inédits relatifs à la rente d’écartement et son cumul avec l’indemnité pour incapacité permanente partielle. Dans un arrêt du 14 octobre 2020 (C. trav. Liège, div. Liège, 14 octobre 2020, R.G. 2019/AL/562), elle a jugé que la cessation définitive de l’activité nocive, c’est-à-dire en l’espèce de tout métier qui exposait le demandeur au port de charges lourdes et aux vibrations mécaniques transmises par le siège, est un élément à apprécier dans le taux des facteurs socio-économiques à retenir dans le cadre de la révision pour aggravation. La cour y a considéré que le cumul est possible, concluant qu’au départ de l’aggravation de l’état physique de l’intéressé, le marché général de l’emploi qui lui était potentiellement accessible s’est fortement restreint.

De même, dans un arrêt du 25 février 2011 (C. trav. Liège, sect. Liège, 25 février 2011, R.G. 2010/AL/347), elle a conclu que, lorsque la cessation définitive de l’activité professionnelle est proposée à une victime déjà indemnisée pour une incapacité de travail permanente résultant de la maladie professionnelle, cette situation nouvelle doit être soumise aux règles régissant la révision. L’aggravation de l’état de santé de la victime constitue un élément nouveau qui donne ouverture à cette action et la victime a droit à la réparation de son incapacité permanente, réévaluée depuis sa demande ou depuis l’aggravation de son état jusqu’à la cessation définitive. Il y a donc cumul de l’allocation forfaitaire et de l’indemnisation, les avantages alloués réparant des dommages distincts.

La réouverture des débats est ainsi ordonnée afin que la cour soit davantage documentée.

L’arrêt du 22 mars 2022

Après avoir repris la position des parties après l’arrêt ci-dessus, la cour examine la majoration des facteurs socio-économiques, tenant compte de l’indemnisation intervenue correspondant à nonante jours sur pied de l’article 37 des lois coordonnées. Elle relève que la demande examinée ne se fonde pas sur cette disposition (non plus que sur l’article 38) mais sur les articles 31 et 35 de la loi.

Elle souligne que, dans un arrêt du 11 septembre 2006 (Cass., 11 septembre 2006, n° S.05.0037.F), la Cour de cassation s’est référée, pour la détermination de l’incapacité permanente de travail, à la perte ou la diminution du potentiel (la cour du travail souligne) économique de la victime sur le marché général du travail et qu’elle a rappelé les facteurs à prendre en compte.

Elle cite ensuite un autre arrêt de la Cour du travail de Liège (étant C. trav. Liège, 14 mars 2008, Chron. D. S., 2009, p. 466), qui a conclu, avec renvoi à la jurisprudence de la Cour de cassation ci-dessus, que l’écartement s’ajoute aux autres facteurs socio-économiques, dont il fait partie. La nécessité pour des raisons médicales d’être écarté de l’activité professionnelle nocive est un des éléments à prendre en compte en vue de l’évaluation des facteurs socio-économiques, intervenant à côté de l’incapacité physiologique dans la détermination du taux d’incapacité permanente (19e feuillet).

Le travailleur demandant à la cour de majorer le taux d’incapacité permanente eu égard à la nécessité d’écartement constatée, se pose la question de la date à laquelle cette majoration doit intervenir. S’agissant d’une révision, la cour estime qu’elle ne peut intervenir qu’à l’occasion de la modification de la situation médicale de l’intéressé et qu’en vertu de l’article 35 des lois coordonnées, la révision accordée vu l’aggravation intervenue ne peut prendre cours au plus tôt que soixante jours avant la date de la demande en révision ou avant la date de l’examen médical lors duquel l’aggravation a été constatée (hypothèse d’une révision d’office opérée par FEDRIS).

Elle passe ensuite à la revue de plusieurs décisions de jurisprudence sur la question, constatant en l’espèce que la nécessité d’écarter le demandeur de son activité professionnelle n’a pas été constatée dans le cadre d’une aggravation du taux d’incapacité physiologique justifiant la révision du dossier, mais suite à la demande formulée par celui-ci en 2015, FEDRIS, ayant, suite à un examen médical intervenu, invité l’intéressé à marquer son accord sur la proposition faite suite à l’avis d’écartement du conseiller médical de l’institution. Dès lors, il doit être conclu que, le 23 décembre 2014 (date de début de l’incapacité permanente reconnue), une incapacité physiologique de 7% a été retenue, à majorer de facteurs socio-économiques incluant (la cour souligne) la nécessité pour l’intéressé d’être écarté de son milieu de travail – ce qui se fera le 1er avril 2018. Le taux d’incapacité permanente admis par le premier juge (7% + 3%) doit dès lors être augmenté d’un taux complémentaire de 5% eu égard à la nécessité d’écartement.

C’est dès lors à 15% que le taux d’incapacité permanente global est fixé.

Intérêt de la décision

Les facteurs habituels à prendre en compte pour la détermination de l’incapacité permanente de travail dans la matière du risque professionnel sont connus. Ils ont été rappelés par la Cour de cassation dans l’arrêt du 11 septembre 2006 (cité). Il s’agit, en sus de l’incapacité physiologique, de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence de la victime sur le marché général de l’emploi.

La question de la nécessité d’écartement peut, comme l’envisage la cour, se poser dans le cadre d’une révision, à savoir que la situation de la victime sur le plan médical a changé ou, comme en l’espèce, être déjà présente au moment où doivent s’apprécier les facteurs socio-économiques dans le cadre de la demande en indemnisation des séquelles de la maladie professionnelle.

Dès lors, très logiquement, dès la date arrêtée comme point de départ de l’indemnisation, la détermination du taux d’incapacité permanente doit inclure la nécessité pour le travailleur d’être écarté de son milieu de travail nocif.

Il s’agit, en l’espèce, de la fixation de l’indemnisation légale sur pied des articles 31 et 35 des lois coordonnées (fixation du taux d’incapacité de travail permanente) et non de l’article 37, qui concerne l’indemnité à laquelle le travailleur qui accepte la proposition de cessation définitive de travail a droit au cours d’une période de nonante jours suivant le jour de cette fixation). Rappelons que cette indemnité de l’article 37 est égale aux indemnités d’incapacité permanente totale de travail (§ 3 de la disposition).


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