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Respect des normes sanitaires liées à la pandémie du COVID-19 et motif grave

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 14 février 2022, R.G. 21/326/A

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 14 février 2022, R.G. 21/326/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 14 février 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rejette que constituent un motif grave des fautes liées à l’absence de port du masque dans le chef d’un membre du personnel soignant d’une M.R.S., dès lors que le fait n’est pas dûment avéré. De même, est rejeté – faute de preuve – le grief tiré de la contribution à la propagation du virus dans l’établissement.

Les faits

Une auxiliaire de soins prestant en maison de repos et de soins était, lors du déclenchement de l’épidémie de COVID-19 en mars 2020, responsable d’une partie des résidents du rez-de-chaussée de l’établissement. Des consignes furent alors prises, sur le plan sanitaire, à l’attention du personnel. Celles-ci portaient sur l’obligation de porter un masque buccal et une blouse jetable en cas de soins, de porter un masque de type chirurgical dès l’arrivée dans les locaux de la résidence et pendant toute la durée du service, ainsi qu’un masque de type FFP2 si le membre du personnel avait été en contact avec une personne positive au COVID-19. D’autres instructions sanitaires portaient sur l’obligation de prendre la température des membres du personnel au début et à la fin de chaque service, l’obligation d’informer la direction lorsqu’un membre du personnel présentait des symptômes du COVID-19, la mise en quarantaine du personnel testé positif ou présentant les symptômes du virus, la limitation des membres du personnel dans les espaces, ainsi que leur affectation à une seule zone d’activité afin de limiter les contacts avec l’ensemble des résidents.

Au mois de juillet 2020, l’infirmière en chef constata que l’intéressée ne portait pas correctement son masque buccal alors qu’elle procurait des soins à une résidente. Les règles sanitaires lui furent rappelées à cette occasion. En octobre 2020, celle-ci effectua une prestation de travail après avoir prévenu qu’elle présentait des symptômes grippaux et interrompit celui-ci dans le cours de la prestation du lendemain. Il apparut qu’elle était positive au COVID-19 et fut immédiatement placée en quarantaine. Le lendemain, les membres du personnel furent également soumis à un test de dépistage et le résultat des tests, qui incluaient également les résidents, fit apparaître que quarante-trois de ceux-ci étaient contaminés (dont quinze au rez-de-chaussée), ainsi que neuf membres du personnel.

Lors d’une réunion du personnel, plusieurs membres informèrent la directrice du fait que l’intéressée ne portait pas correctement – voire pas du tout – son masque au contact des résidents. Après une audition, l’auxiliaire fut licenciée pour motif grave, étant qu’elle avait gravement enfreint les instructions sanitaires et mesures de précaution en vigueur, ayant retiré son masque lorsqu’elle entrait dans la chambre des résidents, dont elle avait ainsi mis la santé en danger. Lui était également reproché d’avoir « potentiellement provoqué » la propagation du COVID-19 au sein de la résidence.

Un échange intervint avec l’organisation syndicale de l’intéressée et une requête fut déposée devant le tribunal du travail.

Position des parties

L’intéressée conteste les faits, exposant qu’elle portait son masque même dans les chambres des résidents et que le contraire n’est pas établi, de même qu’il n’est pas prouvé qu’elle aurait été à l’origine de la contamination. Elle conteste le motif grave et sollicite également le paiement de primes de secteur.

Pour la société, il y a non-respect des mesures sanitaires, l’intéressée ayant participé à la contamination des résidents. Elle conteste par ailleurs devoir les primes réclamées.

La décision du tribunal

Après un bref rappel des principes, le tribunal se livre à un examen des pièces déposées par la société.

Sur la question du non-respect de la consigne de port du masque, celle-ci dépose une attestation d’une infirmière, d’une auxiliaire de soins (et collègue de l’intéressée) ainsi que de la directrice.

Vu la contestation de la demanderesse, le tribunal rappelle que la société a la charge de la preuve et que cette preuve doit être certaine.

Les attestations déposées ne sont nullement précises, seul étant avéré le fait que l’infirmière en chef n’aurait observé personnellement qu’un seul fait (étant que l’intéressée portait « mal » son masque). Pour le tribunal, il s’agit d’un épisode isolé et qui ne peut pas fonder un motif grave. S’il est fait référence à des déclarations de résidents, le tribunal constate qu’aucune de celles-ci n’est produite et que les références en elles-mêmes sont vagues. Il doute également de certaines affirmations selon lesquelles une collègue aurait pu constater personnellement la chose, vu que, parmi les mesures d’organisation liées à la pandémie, il n’y avait qu’une seule auxiliaire de soins à la fois dans les chambres des résidents.

Un deuxième grief est relatif au fait que la demanderesse aurait grandement participé à la propagation du COVID-19 au sein de l’établissement du fait du non-respect des gestes-barrières, et ce non seulement vu le manque de port du masque, mais également parce qu’elle était venue travailler alors qu’elle présentait des symptômes pouvant être ceux du COVID-19.

Les parties sont ici encore opposées en fait, la société soutenant que l’intéressée a presté de sa propre initiative et cette dernière précisant pour sa part qu’elle a informé correctement de l’ensemble de ses symptômes, en ce compris de la perte du goût et de l’odorat, et que, malgré cela, la directrice lui a signalé qu’il s’agissait sans doute d’un rhume et lui a demandé de prester.

Pour le tribunal, qui relève les points non contestés de la chronologie des faits, il y a eu une faute de la hiérarchie et, également, chez l’employée. La faute de la société consiste à avoir laissé prester l’intéressée alors que celle-ci présentait des symptômes de rhume, et ce alors qu’elle allait avoir des contacts rapprochés avec les personnes âgées. Le tribunal reproche par ailleurs à l’employée de ne pas s’être présentée chez le médecin immédiatement afin d’être aussitôt écartée, au vu des symptômes suspects qu’elle présentait.

Cependant, le motif grave invoqué, à savoir la participation de l’employée à la contamination au sein de la résidente, doit être établi, étant que la société doit apporter la preuve que c’est bien l’intéressée qui est à l’origine de la contamination. A cet égard, le fait qu’un peu plus d’un tiers des résidents contaminés aient été logés à l’étage où elle était affectée et que, par ailleurs, ils ne recevaient pas de visite de leurs proches et ne quittaient pas leur chambre, n’est pas jugé suffisant. En effet, ils côtoyaient d’autres membres du personnel et, par ailleurs, d’autres résidents ont été touchés. Il en va de même pour neuf membres du personnel. L’employeur échoue dès lors à apporter la preuve du motif et le tribunal admet que l’intéressée peut bénéficier de l’indemnité compensatoire de préavis.

Le tribunal examine ensuite d’autres chefs de demande, à savoir le paiement de deux jours fériés survenant dans les trente jours suivant la fin du contrat (article 14 de l’arrêté royal du 18 avril 1974), une prime d’attractivité à la sortie (convention collective de secteur du 30 juin 2006, prime de fin d’année et prime COVID-19, cette dernière se divisant en une prime d’encouragement et une prime de solidarité), et constate, sur ce dernier poste, que la prime d’encouragement a été payée et que la prime de solidarité, fixée par l’arrêté royal du 22 décembre 2020 fixant le financement et les modalités pour l’instauration d’une prime de solidarité dans les secteurs de santé, ne vise que les secteurs fédéraux, étant les hôpitaux soumis à la loi sur les hôpitaux, les centres de psychiatrie légale, les centres d’accompagnement pour les grossesses non désirées, les services de soins infirmiers à domicile, les maisons médicales et les services pour le sang de la Croix-Rouge.

Intérêt de la décision

C’est essentiellement en fait que réside l’intérêt de la décision commentée.

Le tribunal y rappelle l’obligation pour l’employeur d’apporter la preuve certaine de la faute invoquée à la base du licenciement pour motif grave. La charge de la preuve lui incombe en totalité et l’on constate en l’espèce qu’aucun élément concret n’est manifestement produit, des attestations – au demeurant peu précises et peu nombreuses – n’étant pas de nature à établir l’imputabilité de la situation visée à une personne déterminée.

La décision de licenciement pour motif grave a très vraisemblablement été prise dans un contexte de grande émotion ou de forte crainte liée à la pandémie. Ceci ne dispense cependant pas l’employeur de l’obligation légale de justifier le motif de rupture.

L’on ne manquera par ailleurs pas de se poser la question de la preuve qui aurait pu être apportée en l’espèce quant au risque de propagation. Le motif du licenciement étant double (absence de port du masque et contamination), le jugement ne répond pas à la question précise de savoir si le non-respect des normes sanitaires aurait pu – s’il avait été établi – constituer le motif grave de licenciement, le tribunal n’ayant pu que conclure que le fait n’était pas avéré.

Nul doute cependant que le non-respect de normes sanitaires de cette importance serait susceptible d’entraîner la rupture immédiate et définitive de la relation professionnelle.


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