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Agents du secteur public (assistants de protection attachés à la Sûreté de l’Etat) et rémunération pour gardes

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 février 2022, R.G. 2017/AB/787

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 8 février 2022, R.G. 2017/AB/787

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 février 2022, la Cour du travail de Bruxelles examine le droit d’assistants de protection attachés à la Sûreté de l’Etat (avant leur transfert à la Police fédérale) au paiement d’heures supplémentaires non récupérées, d’allocations pour prestations exceptionnelles et d’allocations pour gardes (actives/passives).

Les faits

Des fonctionnaires (assistants de protection attachés à la Sûreté de l’Etat) ont introduit une procédure contre l’Etat belge. Il s’agit d’une procédure collective, concernant plus d’une cinquante de demandeurs. Ils sollicitent la rémunération d’heures supplémentaires non récupérées, le bénéfice d’allocations pour prestations exceptionnelles et celui d’allocations pour gardes actives. La demande porte sur la période antérieure au 1er juin 2016, les intéressés ayant occupé pendant celle-ci des fonctions aux services extérieurs de la Sûreté de l’Etat. Leur statut est régi par l’arrêté royal du 13 décembre 2006 portant le statut des agents des services extérieurs de la Sûreté de l’Etat.

A partir du 1er juin 2016, ils furent transférés à la Police fédérale. Ils exposent avoir été amenés à prester un grand nombre d’heures supplémentaires en sus de la durée hebdomadaire de travail, celles-ci n’ayant pas donné lieu à l’octroi d’un repos compensatoire et ces heures n’ayant pas pu être récupérées avant le transfert vers la Police fédérale.

Ils font également état de gardes à domicile, pendant lesquelles ils devaient être disponibles la journée entière jusqu’à 20 heures 30 et étaient susceptibles d’intervenir à tout moment en cas de besoin, le lendemain, et ce parfois très tôt. Ce régime de garde n’a jamais donné lieu à la moindre allocation (les périodes d’intervention réelle ayant quant à elles été rémunérées).

En juillet 2015, ils ont mis l’Etat belge en demeure d’établir un règlement de travail prévoyant les horaires susceptibles de leur être appliqués et ont demandé la récupération du solde d’heures supplémentaires, et ce dans la perspective imminente du transfert vers la Police fédérale, sollicitant également l’octroi d’un sursalaire en cas de prestation d’heures supplémentaires et d’une allocation forfaitaire pour les périodes de garde rappelable (en application de l’arrêté royal du 11 février 2013 octroyant une allocation aux membres du personnel de la fonction publique fédérale administrative qui effectuent certaines prestations).

L’administrateur général de la Sûreté de l’Etat a, par un courrier du 18 août 2015, annoncé le paiement échelonné des heures supplémentaires prestées, dans la mesure où elles ne pourraient pas être récupérées avant la date du transfert. Il a cependant refusé de faire droit aux demandes de paiement des allocations réclamées.

Ils ont en conséquence introduit une procédure le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui, par jugement du 16 mai 2017, a grandement fait droit aux demandes. Il a considéré que les intéressés pouvaient prétendre à la rémunération des heures supplémentaires effectuées et non récupérées, à l’allocation pour prestations exceptionnelles ainsi qu’à l’allocation pour gardes actives. L’Etat belge a été condamné à produire un relevé complet pour chaque demandeur.

Appel est interjeté par l’Etat belge de cette décision.

Position des parties devant la cour

L’Etat belge interjette appel sur le droit à l’allocation pour prestations exceptionnelles. Il demande également à ne pas être condamné à devoir produire le relevé complet des jours de garde pour la période concernée. Il sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a décidé qu’il était prématuré de le condamner à payer un quelconque montant dès lors qu’il ignorait si des sommes restaient encore dues, étant également prématuré le recours à un cabinet d’experts interne aux fins de déterminer les montants exacts et définitifs des heures supplémentaires avec astreinte. La même demande est faite en ce qui concerne la désignation d’office d’un expert judiciaire.

Les intimés maintiennent leur position originaire.

La décision de la cour

La cour constate que, les intimés n’ayant pas formé d’appel incident, ils ne sont pas habilités à solliciter davantage que ce qu’a alloué le premier juge, ceci visant une demande de confirmation par astreinte en ce qui concerne la production des relevés complets des heures prestées. La cour considère en conséquence être exclusivement saisie des moyens soulevés par l’Etat belge.

Elle constate que, pour ce qui est de la rémunération des heures supplémentaires, les parties ont d’un commun accord confié à un expert la mission de déterminer s’il restait encore de telles heures non récupérées et, dans l’affirmative, d’en fixer le montant, que l’Etat belge s’est engagé à régler. Ce chef de demande fait l’objet de la part des parties d’une demande de surséance.

Sur les prestations exceptionnelles, la cour restreint le nombre de personnes intéressées. Il y a accord sur ce point, ceux concernés devant être ceux occupés de manière complète et permanente. Il y a dès lors limitation pour neuf agents.

Elle en vient au fondement de l’allocation pour garde, reprenant ici assez en détail la position des parties. Les intimés considèrent qu’il s’agit de gardes actives, à savoir qu’ils avaient l’obligation, en-dehors de leurs heures de service, non seulement d’être joignables et disponibles, mais également de pouvoir se déplacer, et ce au sens de l’arrêté royal du 11 février 2013 (article 3, alinéa 3).

L’Etat belge considère que la référence à la « disponibilité » de l’agent, telle que reprise dans un système logiciel interne, est purement indicative, signifiant seulement que l’agent n’est pas en congé et est susceptible d’être appelé pendant ses heures de service, la veille, afin de se voir confier une mission le lendemain.

Il s’agit dès lors de vérifier si l’on a affaire à une garde active ou à une garde passive au sens de la réglementation. Après avoir repris la position du premier juge, qui a admis qu’il s’agit d’une garde active, la cour examine la réglementation, étant l’arrêté royal du 11 février 2013 (avant son abrogation par celui du 13 juillet 2017).

Elle constate que le nœud du problème est de déterminer si, en-dehors de leurs heures de service (la cour souligne), les intéressés ont effectivement été soumis à une garde active ou passive en semaine et/ou le week-end, selon la définition de l’arrêté royal, dès lors que l’Etat belge ne conteste pas que les agents ont effectué des gardes à domicile.

Renvoyant au Rapport au Roi précédant l’arrêté royal, la cour souligne que celui-ci précise qu’il y a une distinction entre le service de garde passive et le service de garde active. Dans les deux cas, le membre du personnel doit rester joignable et disponible en-dehors de ses heures de service. Le service de garde active implique en outre qu’il doit pouvoir se déplacer. Le mot « active » n’inclut donc pas le fait d’effectuer des prestations. Le Rapport au Roi précise que l’allocation de garde ne couvre que ce service de garde. Dès que le membre du personnel est appelé et effectue des prestations, son temps de travail est comptabilisé et donne droit à récupération. Le cas échéant, il donne aussi droit à une allocation pour prestations irrégulières.

Pour la cour, l’accessibilité de l’agent en-dehors de ses heures de service tout au long de la journée afin de pouvoir assurer (éventuellement) une prestation le lendemain (le cas échéant à 0 heure 01), répond à la notion de garde passive. L’Etat belge doit dès lors payer à chaque demandeur l’allocation prévue pour les gardes passives prestées en semaine et/ou le week-end, mais ce dans la seule hypothèse où l’agent s’est trouvé, la veille du rappel, en-dehors de ses heures de service.

Le jugement est ainsi réformé en ce qu’il a admis qu’il y avait des gardes actives. La cour demande dès lors à l’Etat belge de proposer un calcul précis, demandeur par demandeur, de l’allocation pour les gardes passives, et ce en fonction des relevés à établir pour chacun.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la réglementation examinée par la cour du travail en cette affaire réside dans la distinction effectuée entre les gardes passives et les gardes actives. Les deux donnent lieu à rémunération, mais ce de façon distincte.

La discussion relative aux gardes se meut généralement autour de la notion de garde inactive (au domicile). L’on peut à cet égard renvoyer à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2015 (Cass., 18 mai 2015, n° S.13.0024.F), qui a jugé que, lorsque les travailleurs effectuent des gardes selon un système qui veut qu’ils soient accessibles en permanence sans pour autant être obligés d’être présents sur les lieux de travail ou en un lieu déterminé par l’employeur, seul le temps lié à la prestation effective de travail assurée en cas d’appel doit être considéré comme du temps de travail. L’article 8, § 1er, de la loi du 14 décembre 2000 n’appelle pas une autre interprétation. L’arrêt, qui considère que l’obligation des pompiers de la Ville de Dinant qui assurent une garde à domicile est uniquement de pouvoir être joints et de « se tenir prêts à se présenter à la caserne dans un délai très court », justifie légalement sa décision de ne pas considérer ces gardes inactives comme du temps de travail.

Relevons encore que la Cour de cassation avait déjà rendu deux arrêts précédemment :

  • Le 10 mars 2014 (Cass., 10 mars 2014, n° S.13.0029.N), elle a considéré que le temps pendant lequel le travailleur doit être joignable en permanence sans présence sur le lieu du travail n’est pas du temps de travail au sens de l’article 19 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail ;
  • Le 6 juin 2011 (Cass., 6 juin 2011, n° S.10.0070.F), elle a jugé qu’en ce qui concerne la rémunération des heures de garde inactive (obligation pour le travailleur de répondre aux appels de l’employeur sans obligation de se trouver dans un endroit précis ou d’accomplir les tâches habituelles), cette rémunération, si elle n’est pas équivalente à celle des heures de travail effectif, n’est pas contraire à la loi.

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