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Pécules de vacances et rémunération variable

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 18 février 2022, R.G. 20/473/A

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 18 février 2022, R.G. 20/473/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 18 février 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division de Tournai) reprend les règles des articles 38 et 39 de l’arrêté royal du 30 mars 1967 déterminant les modalités générales d’exécution des lois relatives aux vacances annuelles des travailleurs salariés et rappelle qu’en cas de rémunération variable, le pécule de vacances ne peut pas être inclus dans celle-ci.

Les faits

Un employé d’une institution bancaire, membre du comité de direction et, par ailleurs, administrateur exécutif, est licencié le 31 mars 2016 avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Une convention transactionnelle est intervenue une dizaine de jours auparavant. Fin janvier 2020, la société verse à l’intéressé un bonus (« long term incentive »), dont le montant est contesté par l’intéressé. Un projet de requête à destination du tribunal du travail est transmis par le conseil de l’employé.

Les parties restant sur leur position, une procédure est introduite en paiement d’un euro provisionnel au titre d’intérêts sur ce bonus 2016, ainsi que de pécules de vacances sur celui-ci.

Position des parties devant le tribunal

Pour le demandeur, sur la convention transactionnelle signée par les parties, il n’y a pas d’exception de transaction, celui-ci s’estimant fondé à réclamer l’exécution des obligations contractuelles concernant ledit bonus. En outre, le pécule de vacances de l’employé dont la rémunération est partiellement variable ne peut être compris dans la rémunération elle-même. Le non-paiement de ce pécule étant une infraction pénale (article 162, 3°, C.P.S.), le délai de prescription est de cinq ans. Il s’agit pour le demandeur d’une infraction continuée.

Sur le montant du bonus lui-même, le demandeur sollicite que le bonus bénéficie d’un intérêt égal au taux de croissance interne des fonds propres de la banque, comme prévu dans ses procédures permanentes générales, rien ne permettant de calculer les intérêts au taux des carnets de dépôt.

Pour la banque, il y a une renonciation dans la transaction intervenue. Il s’agit d’une clause générale et il y a lieu de retenir l’exception de transaction. Toutes les obligations de la banque ont été exécutées et elle estime son calcul fondé, l’intention des parties n’étant pas de récompenser l’intéressé sur la base des performances atteintes par la banque pendant les quatre années suivant son licenciement.

La décision du tribunal

Sur la compétence matérielle, le tribunal conclut qu’il s’agit d’une contestation sur une convention conclue avant la rupture et qui avait pour objet de régler les modalités de celle-ci. Il estime être compétent, sur pied de l’article 568 C.J.

La convention signée l’ayant été avant la rupture, l’intéressé ne pouvait valablement renoncer à des droits qui n’étaient pas encore nés. Le tribunal rappelle que la transaction – notion proche de l’abandon de droit – est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître et que celle-ci ne peut légalement être conclue aussi longtemps que le travailleur est protégé par les dispositions légales. La signature de la convention ne fait dès lors pas obstacle à l’introduction de la procédure en justice.

Le tribunal examine, ensuite, le droit au pécule de vacances sur le bonus. Il reprend les dispositions de l’arrêté royal du 30 mars 1967 déterminant les modalités générales d’exécution des lois relatives aux vacances annuelles des travailleurs salariés. Lorsque la rémunération de l’employé est totalement variable, celui-ci a droit par journée de vacances à un pécule égal à la moyenne quotidienne des rémunérations brutes correspondant à chacun des douze mois précédant le mois au cours duquel les vacances sont prises (ou, le cas échéant, pour la partie de ces douze mois au cours de laquelle il a été en service), augmentées éventuellement d’une rémunération fictive pour les journées d’interruption de travail assimilées à des journées de travail effectif normal. Si la rémunération n’est que partiellement variable, il faut appliquer les dispositions concernant à la fois la partie fixe et la partie variable (sous réserve d’autres décisions prises par convention collective). La rémunération variable inclut les primes variables dont l’octroi est lié à l’évaluation des prestations de l’employé, à sa productivité, aux résultats de l’entreprise, etc., quelles que soient la périodicité ou l’époque du paiement de ces primes. En outre, le pécule de vacances ne peut, en cas de rémunération partiellement variable, être compris dans la rémunération variable elle-même (avec renvoi à Cass., 25 octobre 1999, n° S.98.0139.N).

Un argument de prescription étant soulevé, le tribunal reprend les articles 2262bis du Code civil et 26 de la loi contenant le Titre préliminaire du Code de procédure pénale, ainsi que l’article 162, 3°, C.P.S., qui érige en infraction pénale le non-pécule de vacances. Il s’agit d’une infraction matérielle, qui n’exige pas la preuve d’une intention frauduleuse dans le chef de son auteur. Il rappelle encore que la prescription est de cinq ans et que l’infraction est commise de manière instantanée à la date ultime prévue pour le paiement.

Le demandeur faisant valoir qu’il s’agit en l’espèce d’un délit continué, le tribunal rappelle les règles relatives à l’infraction continuée, avec les modifications intervenues par la loi du 11 juillet 1994 relative aux tribunaux de police et portant certaines dispositions relatives à l’accélération et à la modernisation de la justice pénale. Celle-ci a donné une base légale à la notion de délit collectif.

La Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 18 février 2004 (Cass., 18 février 2004, n° P.03.1689.F), que la disposition nouvelle n’avait pas modifié la règle selon laquelle, en cas de même intention délictueuse, la prescription de l’action publique prend cours à partir du dernier fait commis qui précède.

La question de savoir s’il y a unité d’intention relève de l’appréciation du juge du fond (le tribunal renvoyant à Cass., 4 décembre 1989, n° 6.869). Il constate en l’espèce que le demandeur ne s’explique pas sur l’intention délictueuse unique qu’il demande de retenir et considère pour sa part qu’est insuffisante la succession ininterrompue des infractions instantanées. Il renvoie pour ce à plusieurs décisions de cours du travail (dont C. trav. Mons, 26 juin 2007, J.T.T., 2008, p. 146 et C. trav. Bruxelles, 10 octobre 2006, J.T.T., 2007, p. 145).

S’il est admis en doctrine (avec renvoi à J. CLESSE et F. KEFER, « La prescription extinctive en droit du travail », J.T.T., 2001, p. 206) que la réitération du même fait peut révéler une pratique systématique, articulée sur un but unique, qui pourrait être ne pas respecter le droit social, il faut néanmoins mettre à jour ce mobile. La persistance dans le même travers peut être la conséquence d’une ignorance de l’existence de l’obligation elle-même, ce qui exclut l’infraction continuée. Dès lors, la prescription en l’espèce sera retenue, tenant compte que le délai prend cours à partir de chaque fait de manière indépendante, délai de cinq ans.

Enfin, sur la demande d’intérêts sur le bonus « long term incentive », le tribunal reprend le règlement interne, qui confirme le bien-fondé de la demande à cet égard, étant que la politique de rémunération de la banque prévoit de manière générale un intérêt égal au taux de croissance interne des fonds propres jusqu’à la date de libération.

Intérêt de la décision

Ce jugement reprend les règles en matière de pécules de vacances en cas de rémunération variable. Il rappelle qu’en vertu de l’article 38, l’employé qui prend ses vacances a droit à la rémunération normale afférente aux jours de vacances et à un supplément égal par mois de service presté ou assimilé à du travail effectif au cours de l’exercice de vacances, à 1/12e de 92% de la rémunération brute du mois pendant lequel les vacances prennent cours (article 38 de l’arrêté royal du 30 mars 1967). L’article 39 précise ce qu’il en est du supplément visé à l’article 38, en ce qui concerne son mode de calcul. Il s’agit de la moyenne mensuelle des mêmes rémunérations. Si la rémunération est fixe et variable, les deux dispositions sont à appliquer pour les rémunérations visées.

En outre, le jugement rappelle que les primes variables liées à des critères tels que l’évaluation des prestations, la productivité du travailleur, le résultat de l’entreprise ou d’une partie de celle-ci, ou encore tout critère rendant le paiement incertain et variable, font partie de la rémunération variable sur laquelle le travailleur a droit aux pécules ci-dessus.

Une autre règle est encore reprise par le tribunal, étant que les pécules de vacances (et la prime de fin d’année également) ne peuvent être inclus dans la rémunération variable.

L’on peut encore se poser la question de savoir si, en cas de rémunération variable, il y a lieu de prendre en compte le simple pécule perçu pour le calcul du double pécule de l’année suivante. La Cour du travail du Mons a abordé cette question dans un arrêt du 9 mars 2011 (C. trav. Mons, 9 mars 2011, R.G. 2010/AM/26 – précédemment commenté). Elle a conclu que le pécule de vacances constitue effectivement une contrepartie de prestations de travail, puisque la durée des vacances est proportionnelle au travail exécuté pendant l’année de référence. Il s’agit d’une rémunération réellement gagnée. Rien ne s’oppose dès lors à la prise en compte de la période de référence pour le calcul de celui de la période subséquente.


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