Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 11 mars 2022, R.G. 21/860/A
Mis en ligne le vendredi 30 septembre 2022
Tribunal du travail de Liège (division Liège), 11 mars 2022, R.G. 21/860/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 11 mars 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle, à propos d’une sanction disciplinaire de mise à pied, que l’exigence de notification au travailleur dans le jour ouvrable est une obligation formelle dont le non-respect entraîne la nullité de la sanction.
Les faits
Un employé d’une grande surface, engagé en 2006, a reçu plusieurs avertissements à partir de l’année 2017. Ceux-ci sont relatifs à des manquements divers (comportement irrespectueux, absence de pointage, refus de travail, etc.). Il se voit, le 25 avril 2020, infliger une mise à pied d’un jour, un de ses collègues ayant pointé la fin de sa pause à sa place.
En décembre 2020, un incident survient avec un tiers et l’intéressé en informe son supérieur. Le représentant de la ligne hiérarchique fait état d’impolitesse et d’agressivité lors de l’entretien téléphonique, ce qui est contesté par l’employé. Un entretien a lieu le même jour dans le bureau du directeur. Les parties sont en désaccord quant à l’annonce qui y aurait été faite d’une mise à pied de deux jours. Lors de l’entrevue, le directeur a cependant demandé au travailleur s’il souhaitait être assisté d’un délégué syndical. Une audition est alors intervenue en présence de la ligne hiérarchique et d’un délégué le lundi suivant. L’employé a alors été informé d’une mise à pied de deux jours, suite à quoi il est tombé en incapacité de travail. Un mois plus tard, la société confirme la sanction, précisant qu’elle aurait lieu ultérieurement, fixant deux dates.
L’intéressé conteste la sanction au motif du non-respect du délai d’un jour ouvrable.
Les parties étant en désaccord persistant, une procédure est lancée devant le tribunal. L’objet de la demande est l’annulation de la sanction pour les deux jours en cause, le demandeur sollicitant à titre subsidiaire sa réduction (aux fins de conformité avec l’horaire presté un des deux jours correspondants).
La décision du tribunal
Le tribunal rappelle qu’une des prérogatives patronales est le pouvoir disciplinaire et que celui-ci est encadré notamment par la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail, qui règle la question des pénalités pouvant être appliquées dans l’entreprise, celles-ci devant être prévues par le règlement de travail en vertu de l’article 16 de la loi.
L’article 17, alinéa 1er, précise, sur le plan de la forme, que, à peine de nullité, les pénalités doivent être notifiées au plus tard le premier jour ouvrable suivant celui où le manquement a été constaté. Ceci ne signifie pas que la nullité ne puisse intervenir qu’en cas de défaut de notification de la sanction par écrit (le tribunal renvoyant à Cass., 10 octobre 1994, n° S.94.0013.N). En cas de notification verbale, se pose cependant un problème de preuve.
En outre, la sanction doit respecter les articles 6, 20 et 25 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
Le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 1988 (Cass., 10 octobre 1988, n° 6.226), qui a jugé qu’une clause qui accorde la possibilité à l’employeur de modifier les conditions du contrat au titre de sanction disciplinaire est contraire à l’article 25 de la loi du 3 juillet 1978.
Il rappelle ensuite les positions différentes qu’ont adoptées deux cours du travail en ce qui concerne la validité de sanctions telles que la rétrogradation et la mise à pied. Dans une décision du 2 novembre 1998 (C. trav. Liège, sect. Namur, 2 novembre 1998, Chron. D. S., 1999, p. 386), la Cour du travail de Liège a conclu à l’illégalité de sanctions disciplinaires qui modifient un élément essentiel du contrat, ceci visant la mise à pied avec ou sans rémunération, ou encore la rétrogradation définitive ou temporaire, la cour n’admettant que des pénalités mineures, c’est-à-dire celles concernant uniquement les conditions de travail accessoires.
Par contre, dans une décision du 22 juin 1990 (C. trav. Bruxelles, 22 juin 1990, J.T.T., 1991, p. 164), la Cour du travail de Bruxelles a estimé que les dispositions prévues comme pénalités dans le règlement de travail s’insèrent automatiquement dans les contrats et que la sanction de rétrogradation prévue dans le règlement de travail est régulière.
Par ailleurs, la Cour du travail de Liège a ultérieurement (C. travail Liège, 18 décembre 2000, Chron. D. S., 2001, p. 458) admis une mise à pied en renvoyant à l’article 6, 6°, de la loi instituant les règlements de travail et ne faisant pas référence à la loi du 3 juillet 1978.
En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne conteste pas la légalité de la sanction mais uniquement le délai de notification. L’entretien avec le directeur ayant eu lieu le vendredi, le tribunal en retient que la sanction devait être notifiée au plus tard le samedi, qui est un jour ouvrable. Vu le déroulement des faits, il conclut au non-respect du délai prescrit à peine de nullité par l’article 17 de la loi. Il considère en conséquence ne pas devoir s’interroger sur la légalité de la sanction, puisqu’il l’a annulée.
Intérêt de la décision
La jurisprudence récente s’est à plusieurs interrogée sur l’étendue du contrôle judiciaire en cas de sanction disciplinaire, ainsi d’ailleurs que sur la compétence des juridictions du travail.
Relevons que, dans un arrêt du 11 septembre 2018 (C. trav. Bruxelles, 11 septembre 2018, R.G. 2016/AB/689 – précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles a admis que le travailleur à qui une sanction disciplinaire a été infligée a le droit de la contester devant les juridictions du travail, par application de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme ou, tout simplement, en vertu de l’article 578, 1°, du Code judiciaire. Il ne doit, pour ce faire, pas nécessairement avoir épuisé au préalable les recours ouverts au sein de l’entreprise. Pour la cour, la tendance qui entend restreindre le rôle que les juridictions du travail peuvent jouer en la matière à la vérification du respect des règles de procédure, de l’existence matérielle des faits et de la légalité du manquement et de la pénalité, sans pouvoir exercer un contrôle de proportionnalité, se heurte au fondement contractuel du droit disciplinaire dans le secteur privé. Ce contrôle de légalité permet bel et bien à la juridiction saisie d’exercer un contrôle de proportionnalité, avec, au besoin, le droit d’annuler la sanction infligée.
Dans certaines décisions, l’accent est mis sur la proportionnalité de la sanction. Ainsi, dans un jugement du 9 juin 2021 (Trib. trav. Liège, div. Huy, 9 juin 2021, R.G. 20/81/A – également précédemment commenté), le Tribunal du travail de Liège a considéré qu’en cas de sanction disciplinaire, le contrôle judiciaire porte sur la régularité de la procédure et sur la vérification de l’existence des faits. Le juge doit également examiner si la sanction prise est proportionnelle à la gravité du comportement.
Quant au rapport avec le motif grave, la Cour du travail de Bruxelles a jugé, le 6 juillet 2021 (C. trav. Bruxelles, 6 juillet 2021, R.G. 2018/AB/451), que, comme le précise l’article 17, alinéa 1er, de la loi instituant les règlements de travail, les pénalités doivent, pour être effectives, faire l’objet d’une notification au travailleur, laquelle a également pour effet de lier l’auteur de la décision, à telle enseigne qu’une mesure subséquente de licenciement pour motif grave serait privée de tout fondement légal puisque annihilée par l’effectivité de la sanction disciplinaire infligée, qui, par essence même, n’empêche pas la poursuite des relations contractuelles de manière définitive et immédiate. Il en irait tout autrement faute de notification. En ce cas, en effet, l’employeur pourrait, pour peu que sa décision finale intervienne dans le délai légal de trois jours, évoluer dans l’appréciation des suites à réserver aux faits qui sont portés à sa connaissance.