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Obligations de l’ONEm dans l’instruction du dossier et Charte de l’assuré social

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 11 janvier 2022, R.G. 21/1.065/A

Mis en ligne le vendredi 14 octobre 2022


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 11 janvier 2022, R.G. 21/1.065/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 11 janvier 2022, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles annule une décision administrative, en application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social, vu le défaut de l’ONEm de vérifier d’office le montant d’une pension perçue par un membre de la famille d’un bénéficiaire d’allocations de chômage, pension dont le montant ne permettait pas à ce dernier de bénéficier du taux de travailleur avec charge de famille.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage s’est vu reconnaître le statut de travailleur ayant charge de famille, ayant déclaré sur son formulaire C1 que son père venait de rejoindre son ménage. Il précise que celui-ci bénéficie d’une pension, mais n’en donne pas le montant. Est jointe au formulaire C1 une attestation mensuelle de pension donnant le montant de celle-ci (1.245 euros bruts en qualité de travailleur indépendant), le document précisant également qu’une pension est perçue à charge « de la France ».

Dans le courant de l’année 2000, une enquête est effectuée par l’ONEm sur la situation familiale de l’intéressé. Une vérification intervient auprès du Cadastre des pensions, qui confirme l’octroi d’une pension française de l’ordre de 200 euros. Le demandeur est alors convoqué et expose, lors de son audition, qu’il a communiqué le montant qui lui avait été donné par son père et qu’il n’était pas au courant, vu le très récent déménagement, de la perception d’une pension française.

L’ONEm prend alors une décision le 26 février 2021. Celle-ci contient une exclusion du bénéfice des allocations au taux travailleur avec charge de famille depuis la date du 14 décembre 2018 et l’octroi des mêmes allocations au taux cohabitant. La récupération est annoncée et une exclusion de treize semaines est prononcée.

L’ONEm motive sa décision en précisant que le montant de la pension dépasse le montant autorisé (alors de 1.375,36 euros bruts).

Pour ce qui est de la sanction, il a été tenu compte du nombre de jours en infraction, étant également précisé qu’il s’agit de la première infraction à la réglementation. L’indu est de l’ordre de 19.000 euros.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

Position des parties devant le tribunal

Pour le demandeur, il y a une erreur au sens de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social et, en conséquence, la décision ne doit produire ses effets qu’à partir du 1er avril 2021 (sans rétroagir). Il n’y aurait, ainsi, pas d’indu.

A titre subsidiaire, il plaide une faute dans la gestion du dossier et demande la condamnation de l’ONEm à réparer le dommage subi suite à celle-ci, étant l’équivalent de l’indu, thèse dans laquelle il demande la compensation judiciaire des créances.

Sur la sanction administrative, il en sollicite l’annulation et, à titre subsidiaire, son remplacement par un avertissement, étant également demandé à titre infiniment subsidiaire que celle-ci soit réduite à quatre semaines.

Pour l’ONEm, il y a lieu de confirmer la décision administrative en toutes ses dispositions et de débouter le demandeur de son recours.

La décision du tribunal

Plusieurs points de droit sont abordés, étant d’abord la question du taux des allocations de chômage telle qu’organisée par les articles 110 de l’arrêté royal organique et 61 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, ainsi que la question de l’erreur de l’institution de sécurité sociale au sens de l’article 17 de la Charte de l’assuré social.

Le tribunal reprend cette disposition, selon laquelle, si une décision est entachée d’une erreur de droit ou matérielle, l’institution de sécurité sociale prend d’initiative une nouvelle décision et celle-ci ne produira ses effets qu’à la date à laquelle la décision rectifiée aurait dû prendre effet (et ce sans préjudice des dispositions légales et réglementaires en matière de prescription). En cas d’erreur due à l’institution de sécurité sociale, la décision prend ainsi effet (sous réserve de l’article 18 de la Charte) le premier jour du mois qui suit la notification, si le droit à la prestation est inférieur à celui qui avait été reconnu initialement. Une exception est prévue, étant que ceci ne s’applique pas si l’assuré social savait ou devait savoir, au sens de l’arrêté royal du 31 mai 1933 concernant les déclarations à faire en matière de subventions, indemnités et allocations, qu’il n’avait pas ou qu’il n’avait plus droit à l’intégralité d’une prestation.

Pour ce qui est de la récupération, le tribunal expose le principe contenu dans l’arrêté royal organique à l’article 169 en cas de bonne foi du bénéficiaire.

Enfin, sur la sanction, il rappelle qu’en cas d’absence de déclaration relative à la situation familiale du chômeur ou de déclaration inexacte ou incomplète, il peut y avoir exclusion du bénéfice des allocations (exclusion de huit à treize semaines) ou avertissement (articles 153 et 157bis de l’arrêté royal).

Le tribunal retient que, pour le demandeur, l’ONEm était tenu de consulter le Cadastre des pensions préalablement à tout octroi. Il y a eu erreur dans l’instruction du dossier eu égard aux directives internes de l’ONEm ainsi qu’au devoir de minutie auquel cette administration est tenue. Le tribunal précise que ces directives sont invoquées par le demandeur sur la base d’un rapport de la Cour des comptes, dont résulte l’annonce d’une mise en œuvre d’une procédure de contrôle des informations du Cadastre des pensions par l’ONEm pour le deuxième semestre 2018.

En l’espèce, il constate que le montant de la pension n’est pas repris mais a été complété par une attestation du Service fédéral des pensions en février 2019, ce qui ressort du dossier de l’ONEm. Il en découle que non seulement l’ONEm connaissait le montant de la pension belge, mais également l’existence d’une pension étrangère. L’on ne peut, pour le tribunal, conclure à une déclaration incomplète. En outre, la pension belge étant proche du plafond admis pour qu’il puisse être retenu qu’il s’agissait de revenus de remplacement, l’ONEm aurait dû vérifier préalablement à tout octroi le montant de la pension française. Il y a dès lors erreur au sens de l’article 17 de la Charte et la décision est annulée.

Intérêt de la décision

Le tribunal a relevé dans ce jugement certaines obligations des institutions de sécurité sociale dans l’instruction du dossier. Pour le demandeur, il y avait manquement au devoir de minutie ainsi que manquement à l’article 17 de la Charte.

La question de la limite du devoir d’instruction des dossiers fait régulièrement débat et les notions sont précisées et affinées régulièrement en jurisprudence.

Renvoyons à cet égard à deux arrêts (précédemment commentés) :

  • Dans un arrêt du 24 mai 2019, la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 24 mai 2019, R.G. 2018/AL/455) a considéré que la Charte de l’assuré social est venue codifier certains principes de bonne administration en matière de sécurité sociale, mais que celle-ci n’épuise pas la question des devoirs qui s’imposent aux institutions de sécurité sociale. L’article 3 est une application du devoir de minutie, étant que les institutions doivent communiquer d’initiative à l’assuré social tout complément d’informations nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits. En présence d’un élément douteux, le devoir de conseil et d’information pesant sur l’ONEm impose la proactivité que requiert le devoir de minutie reposant sur l’administration et celui-ci est dès lors tenu de solliciter les clarifications nécessaires à une prise de décision en connaissance de cause.
  • Dans un arrêt du 14 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 14 mars 2018, R.G. 2015/AB/1.186) avait déjà énoncé les mêmes principes. Dès lors qu’existait en l’espèce dans le dossier un élément « douteux », l’ONEm devait faire le nécessaire pour clarifier les choses et qu’il y avait en conséquence lieu d’examiner les faits à la lumière de l’article 17, alinéa 2, en ce qui concerne la rétroactivité de la décision prise.

Par ailleurs, l’étendue du devoir d’information et de conseil est régulièrement questionnée en jurisprudence. Sur la question de la situation familiale, citons encore un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 16 mai 2018 (C. trav. Bruxelles, 16 mai 2018, R.G. 2016/AB/297), qui a considéré que les obligations d’information et de conseil résultant de la Charte de l’assuré social, transposées à l’article 24 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, imposent à l’OP informé par son affilié du changement de sa situation familiale – hypothèse qui fait partie de ce qu’il doit gérer au quotidien – d’éclairer ce dernier sur les démarches à accomplir pour obtenir le taux correspondant à ce que celle-ci est devenue et de lui conseiller d’introduire le formulaire ad hoc, en expliquant, dans une annexe, qu’une discordance pourrait temporairement apparaître entre sa situation réelle et celle résultant du registre national. Un manquement à ce devoir d’information et de conseil se résout par l’obligation dans laquelle se trouve l’O.P. de payer à son affilié la différence entre le taux des allocations qu’il percevait avant la modification de sa situation familiale et celui qu’il aurait dû percevoir à la suite de cette modification.


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