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Prestations aux personnes handicapées et condition de nationalité

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 mars 2022, R.G. 2021/AB/160

Mis en ligne le vendredi 14 octobre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 7 mars 2022, R.G. 2021/AB/160

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 mars 2022, la Cour du travail de Bruxelles conclut qu’est un manquement à l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social le défaut d’information par l’Etat belge d’un citoyen étranger (non repris dans les catégories visées à l’article 4 de la loi organique) sur la possibilité de maintenir son droit aux allocations aux personnes handicapées en s’inscrivant au registre de la population.

Les faits

Un citoyen marocain, inscrit au registre des étrangers depuis 2007 et bénéficiaire d’une carte B, a perçu des allocations aux personnes handicapées depuis cette même année. Une révision d’office est intervenue en 2019 (révision quinquennale). Il a à ce moment été décidé de supprimer les allocations à partir du 1er novembre 2019 au motif que l’intéressé ne remplissait pas les conditions de nationalité prévues à l’article 4, § 1er, de la loi du 27 février 1987 et de son arrêté royal d’exécution du 17 juillet 2006.

Une assistante sociale, prestant dans un service d’aide socio-juridique, a interpellé l’Etat belge à propos de cette décision, actant notamment que la loi n’exclurait pas à un étranger de conserver ce droit, d’autant que l’intéressé en avait bénéficié par le passé. La réponse de l’Etat belge est que celui-ci est inscrit au registre des étrangers et non au registre de la population, la loi étant actuellement « appliquée de manière plus stricte ».

L’intéressé bénéficie alors d’une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale et introduit une demande d’attestation d’enregistrement auprès de l’administration communale de son lieu de résidence. Il obtient la nationalité belge le 2 avril 2020.

Une nouvelle demande est introduite et l’Etat belge admet, par décision du 16 septembre 2020, son droit à l’allocation de remplacement de revenus ainsi qu’à l’allocation d’intégration (catégorie 1) à partir du 1er septembre 2020.

Un recours judiciaire est formé.

Le jugement du tribunal du travail

Suite au recours introduit, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a statué par jugement du 20 janvier 2021. Celui-ci a condamné l’Etat belge à payer des dommages et intérêts équivalents aux allocations en cause pour la période du 1er novembre 2019 au 30 avril 2020. Pour la période ultérieure, l’Etat belge a également été condamné au paiement de l’allocation de remplacement de revenus et, pour ce qui est de l’allocation d’intégration et des avantages sociaux afférents à la réduction d’autonomie, il a désigné un expert.

Sur le dommage du demandeur, il a – même si ceci ne figure pas dans son dispositif – également considéré que celui-ci concerne l’allocation d’intégration refusée.

L’Etat belge interjette appel.

La décision de la cour

La cour résume la position des parties comme suit : pour l’intimé, il y a une faute en lien de causalité avec son dommage, dans la mesure où l’Etat belge ne l’a pas informé de la possibilité qu’il avait de remplir par une simple formalité la condition de nationalité visée à l’article 4, § 1er, de la loi du 27 février 1987, étant de demander son inscription au registre de la population auprès de son administration communale. L’Etat belge considère cependant ne pas avoir commis de faute, étant un manquement au devoir d’information et de conseil.

La cour examine, en conséquence, les obligations découlant de la Charte de l’assuré social, dont elle retient en premier lieu qu’elle est applicable à toute personne et à toute institution de sécurité sociale. Le SPF Sécurité sociale – Direction générale des personnes handicapées – est une institution de sécurité sociale au sens de la Charte, les allocations aux personnes handicapées faisant partie de la sécurité sociale. En tant que bénéficiaire de telles allocations, l’intéressé peut bénéficier des dispositions de la Charte.

Elle rappelle également l’article 3, alinéa 1er, de celle-ci, relatif à l’obligation pour les institutions de sécurité sociale de délivrer aux assurés sociaux qui en font la demande toute information utile ainsi que tout complément d’information nécessaire. Ces devoirs concernent à la fois les droits des assurés sociaux et leurs obligations, le complément d’information nécessaire visant l’examen de la demande ou le maintien des droits.

La cour reprend ensuite l’important arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 2009 (Cass., 23 novembre 2009, n° C.07.0115.F), selon lequel il ne s’ensuit pas que l’obligation pour l’institution de sécurité sociale de communiquer d’initiative à l’assuré social un complément d’information nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits est subordonnée à la condition que celui-ci lui ait préalablement demandé par écrit une information concernant ses droits et obligations.

Le critère de référence est celui de l’administration normalement prudente et diligente et, pour la cour, il faut dès lors vérifier la condition de nationalité dont l’Etat belge estimait qu’elle n’était plus remplie.

Elle reprend dès lors les conditions fixées à l’article 4 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées, qui énumère toutes les hypothèses admises eu égard à ce critère. L’arrêté royal du 17 juillet 2006 (exécutant l’article 4, § 2, de la loi du 27 février 1987) dispose quant à lui que les allocations peuvent également être octroyées aux personnes qui sont inscrites comme étranger au registre de la population (catégorie non visée à l’article 4 de la loi).

La cour examine dès lors les conditions d’inscription à ce registre. Pour ce, l’étranger doit être autorisé à s’établir en Belgique en application de la loi du 15 décembre 1980 et elle poursuit avec le rappel de l’article 15, alinéa 2, de celle-ci, ainsi que de l’article 30, § 1er, alinéa 2, de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 relatif à la carte d’identité d’étranger ou le permis de séjour de résident de longue durée – UE.

Elle constate qu’en l’espèce, les allocations ont été payées à partir du 1er novembre 2007 et que l’intéressé était légitimement en droit de s’attendre au maintien de celles-ci en l’absence de modification de sa situation administrative (et médicale). Il se comprend difficilement que, douze ans plus tard, l’octroi soit refusé au motif qu’il ne remplissait pas cette condition.

En conséquence, pour la cour, les devoirs d’information et de conseil à charge de l’Etat belge l’obligeaient, dans les circonstances de l’espèce, à l’informer l’intéressé de la nécessité de demander son inscription au registre de la population pour maintenir son droit. La cour souligne encore que, si, en annexe de la décision prise, figurait une mention selon laquelle l’intéressé pouvait obtenir des renseignements complémentaires par téléphone, par lettre ou par courriel, ceci est insuffisant à assurer le respect par l’Etat de ses obligations au sens de la Charte. Il y a dès lors une faute et la cour souligne encore que, si la pratique administrative conduisait à interpréter la condition légale de manière plus stricte, il « aurait été si simple » d’informer l’intéressé du changement de cette pratique. Il en va d’autant plus ainsi que, sur son site internet, l’Etat reprend toutes les informations sur les conditions de nationalité.

La cour note encore que l’intéressé a demandé des renseignements complémentaires via l’assistante sociale. Le dommage étant constaté, étant la privation des allocations, la cour renvoie à la doctrine de J.-Fr. NEVEN (J.-Fr. NEVEN, « La réparation selon le droit commun des fautes des institutions de sécurité sociale », Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., 2012, p. 253) pour ce qui est de la réparation : celle-ci doit se faire par équivalent et non en nature, étant que le principe de légalité empêche de considérer que le demandeur réunissait les conditions à l’octroi des allocations avant le premier jour du mois suivant l’obtention de la nationalité.

L’intervention du C.P.A.S. couvrant l’allocation de remplacement et l’obligation de remboursement n’étant pas établie, la cour limite le dommage à la privation de l’allocation d’intégration pour la période en cause.

Une contestation subsistant entre parties quant à la catégorie de l’allocation d’intégration pour la période postérieure, la mesure d’expertise ordonnée par le tribunal est confirmée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait une application stricte de l’obligation d’information de l’Etat belge en la matière, la cour considérant que, vu les obligations mises à charge des institutions de sécurité sociale, il ne peut être revenu sur une décision d’octroi, au motif d’une application « plus stricte » de la condition de nationalité, et ce alors qu’une régularisation administrative (passage du registre des étrangers au registre de la population) permettrait le maintien de cet octroi. Pour la cour, il y a manquement à l’article 17 et, le dommage étant établi, il y a lieu de le réparer par équivalent.

Sur ce type de situation, elle renvoie à la doctrine, qui a retenu que c’est ce mode de réparation qui doit intervenir et non la réparation en nature, vu le principe de légalité.

Sur la question, soulignons que le Tribunal du travail francophone de Bruxelles avait rendu un jugement très motivé le 11 octobre 2017 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 11 octobre 2017, R.G. 16/7.748/A – précédemment commenté). Celui-ci avait retenu que les obligations en matière d’information utile au sens de la Charte ont été précisées dans le secteur des prestations aux personnes handicapées par un arrêté royal du 22 mai 2003, étant qu’il s’agit de tous les renseignements qui, dans le domaine concerné par la demande d’allocations, éclairent la situation personnelle de la personne handicapée. Ces informations doivent notamment porter sur les conditions d’ouverture du droit. Cette obligation d’information n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré social ait préalablement fait une demande par écrit (renvoi à Cass., 23 novembre 2009, S.07.0115.F). Dans la jurisprudence, l’article 4 de la Charte est compris comme imposant aux organismes de sécurité sociale un comportement actif et proactif : ils doivent faire en sorte que les assurés sociaux puissent obtenir les prestations sociales auxquelles ils ont légalement droit. Dès lors que, depuis 2014, l’Etat belge a revu sa pratique administrative à propos de la condition de nationalité, il ne pouvait ignorer d’une part qu’une personne étrangère pouvait voir son droit aux allocations ouvert par une inscription au registre de la population et d’autre part que l’insuffisance de l’inscription au registre des étrangers a été rappelée à diverses reprises par la Cour de cassation (dont Cass., 16 juin 2014, n° S.11.0074.F).


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