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Un hôpital issu d’une association de C.P.A.S. est-il une autorité administrative ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 février 2022, R.G. 2019/AB/123

Mis en ligne le vendredi 14 octobre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 15 février 2022, R.G. 2019/AB/123

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 février 2022, la Cour du travail de Bruxelles a jugé qu’une association hospitalière issue d’une association de C.P.A.S. est une autorité administrative au sens de la loi du 29 juillet 1991 et qu’elle est tenue en conséquence de procéder à l’audition préalable d’un agent contractuel dont le licenciement est envisagé.

Les faits

Une infirmière prestant pour un centre hospitalier (issu d’une association de C.P.A.S.) a été licenciée en 2014 moyennant préavis à prester. Celle-ci a demandé à connaître les motifs de son licenciement et l’Association lui a répondu en précisant cependant ne pas être soumise aux dispositions de la C.C.T. n° 109, étant une A.S.B.L. de droit public.

Une procédure a été introduite, suite au licenciement, devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles). Cette action porte sur une demande de condamnation de l’association à des dommages et intérêts pour non-respect de la loi du 29 juillet 1991 (2.500 euros bruts) ainsi que de dommages et intérêts pour licenciement abusif (10.000 euros).

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal a statué par jugement du 17 mai 2018 et a alloué à l’intéressée 10.000 euros au titre d’indemnité pour licenciement abusif.

L’Association interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’Association conteste la condamnation pour licenciement abusif, demandant, à titre subsidiaire, la réduction des indemnités (celle pour licenciement abusif et celle eu égard au défaut d’audition).

La demanderesse originaire introduit quant à elle un appel incident, le tribunal ayant rejeté sa demande d’indemnité pour défaut d’audition. Elle réintroduit donc ce chef de demande et majore les montants postulés.

La décision de la cour

La cour reprend les principes relatifs à l’adage « audi alteram partem », question qui a été fortement débattue en jurisprudence et en doctrine et qui a donné lieu à plusieurs interventions des hautes juridictions.

Elle rappelle la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (C. const., 6 juillet 2017, n° 86/2017 et C. const., 22 février 2018, n° 22/2018), ainsi que celle du Conseil d’Etat sur l’exigence de l’effectivité de l’audition préalable (C.E., 24 janvier 2001, n° 92.580 et C.E., 11 décembre 2001, n° 101.742) ainsi que sur l’exigence que l’agent soit assisté du défenseur de son choix (C.E., 4 juillet 2011, n° 214.399). Elle revient ensuite sur l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 (Cass., 12 octobre 2015, n° S.13.0026.N) ainsi que sur celui du Conseil d’Etat du 27 septembre 2016 (C.E., 27 septembre 2016, n° 235.871).

La cour souligne la divergence de position de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle, la première ayant jugé qu’il n’y a pas lieu de procéder à l’audition de l’agent contractuel préalablement à son licenciement par l’autorité publique et la seconde considérant l’inverse. La Cour constitutionnelle ayant cependant rendu des arrêts préjudiciels et ceux-ci comportant un constat d’inconstitutionnalité, la cour du travail rappelle que toute juridiction est tenue de se conformer, dans le cadre d’un litige ultérieur, à la réponse donnée par la Cour constitutionnelle dans ces deux arrêts.

La question se pose cependant de déterminer si la partie appelante a la qualité d’autorité publique. La cour estime qu’il faut se référer par analogie à la notion d’autorité administrative visée par la loi du 29 juillet 1991, celle-ci renvoyant elle-même à l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. Or, cet article 14 ne détermine pas ce qu’il faut entendre par « autorité administrative ». La cour rappelle qu’est exigée la réunion de trois critères, étant (i) un critère organique (l’auteur de l’acte est-il soumis à une influence déterminante des pouvoirs publics ?), (ii) un critère fonctionnel (poursuit-il une mission d’intérêt général ?) et (iii) un critère matériel (dispose-t-il d’un pouvoir de décision contraignant à l’égard de tiers ou de prérogatives exorbitantes conférées par la loi ?). Ces critères sont cumulatifs, ainsi que l’a confirmé la Cour de cassation dans plusieurs arrêts (dont Cass., 10 juin 2005, n° C.04.0278.N).

En l’espèce, la cour considère que l’Association est une autorité publique à qui le principe « audi alteram partem » s’applique. Il s’agit en effet d’une A.S.B.L. de droit public, association suivant le chapitre XII de la loi organique des C.P.A.S., dont les membres sont des C.P.A.S. identifiés ainsi qu’une université.

Conformément à l’article 118 de la loi organique des C.P.A.S., un C.P.A.S. peut former une association avec un ou plusieurs autres C.P.A.S. ou avec d’autres pouvoirs publics et/ou avec des personnes morales autres que celles qui ont un but lucratif, et ce pour réaliser une des tâches lui confiées par la loi. La cour note que l’Association ainsi constituée est soumise à une influence déterminante des C.P.A.S., pouvoirs publics. En tant que hôpital créé dans le cadre de l’article 18, elle poursuit une mission d’intérêt général et dispose d’un pouvoir de décision contraignant à l’égard des tiers.

Elle conclut dès lors à l’obligation d’audition préalable au licenciement de l’intéressée, ce licenciement étant une mesure grave liée, en partie en l’espèce, à son comportement. Le licenciement est irrégulier et, dans la détermination du dommage, à savoir la perte de chance pour l’intéressée de se défendre et de ne pas être licenciée, elle retient que celui-ci est distinct de la perte de l’emploi elle-même. Le dommage peut être évalué forfaitairement et en équité à 5.000 euros.

Sur le deuxième point, qui porte sur la réclamation d’une indemnité sur la base de la C.C.T. n° 109 et/ou pour abus de droit, la cour rappelle l’absence de mesures prises depuis le 1er avril 2014 – date d’entrée en vigueur de la C.C.T. n° 109 – en ce qui concerne les employeurs du secteur public, pour qui il n’existe pas de « régime analogue » concernant la motivation du licenciement.

Renvoi est ici fait à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016 (C. const., 30 juin 2016, n° 101/2016), suite auquel la jurisprudence applique le droit commun de l’abus de droit en se référant aux critères de la C.C.T. n° 109. Il s’agit dès lors de vérifier si le licenciement a été justifié par des motifs en lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou par les nécessités de fonctionnement du service et s’il n’aurait pas été décidé par un employeur normal et raisonnable.

Les faits démontrent ici que le licenciement est intervenu en fonction des nécessités du service auquel l’intéressée était affectée. Si celle-ci était une « excellente infirmière », cet élément n’est pas pertinent pour apprécier le caractère abusif du licenciement intervenu pour les nécessités de fonctionnement de celui-ci.

Intérêt de la décision

Le licenciement d’un agent contractuel au service d’un employeur public pose toujours les deux mêmes questions : audition préalable et motivation.

L’intérêt de l’espèce tranchée par la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt du 15 février 2022 est la définition d’autorité administrative. La cour y rappelle les trois critères généralement exigés, à savoir un critère organique, un critère fonctionnel et un critère matériel.

Rappelons que les critères en cause doivent être réunis cumulativement. Ainsi, dans son arrêt du 10 juin 2005 (Cass., 10 juin 2005, n° C.04.0278.N), la Cour de cassation a jugé, à propos des sociétés de logements sociaux, que celles-ci ne peuvent avoir la qualité d’autorité administrative au motif qu’elles n’ont pas le pouvoir de prendre des décisions obligatoires à l’égard de tiers.

Dans un arrêt du 14 février 1997 (Cass., 14 février 1997, n° C.96.0211.N), la Cour de cassation avait par contre jugé que les institutions créées ou agréées par les pouvoirs publics fédéraux, les pouvoirs publics des Communautés et Régions, des Provinces ou des Communes, qui sont chargées d’un service public et ne font pas partie du pouvoir judiciaire ou législatif, constituent en principe des autorités administratives, dans la mesure où leur fonctionnement est déterminé et contrôlé par les pouvoirs publics et qu’elles peuvent prendre des décisions obligatoires à l’égard de tiers.


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