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Joueur de football professionnel et contrat de travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 24 février 2022, R.G. 21/229/A

Mis en ligne le lundi 31 octobre 2022


Tribunal du travail de Liège (division Namur), 24 février 2022, R.G. 21/229/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 24 février 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) rappelle la présomption légale de contrat de travail en cas d’engagement d’un joueur professionnel percevant la rémunération minimale requise par la loi, ainsi que la possibilité, à défaut de remplir cette condition, de prouver le contrat de travail par le recours aux règles habituelles.

Les faits

Une union sportive (A.S.B.L.) signe en décembre 2019 une convention avec un joueur. Celle-ci est intitulée « Convention – Bénévolat Joueur. Indemnités de déplacement et de prestations à la victoire ». Celle-ci a une durée de six mois.

Diverses dispositions sont convenues, étant notamment un défraiement de 400 euros par mois au titre de frais de déplacement, l’obligation d’être présent lors des manifestations reprises dans la convention (soupers, concours de belotte, etc.) ainsi qu’aux matchs, sous peine d’amende. En outre, en cas de départ avant terme, le joueur est redevable de l’ensemble des primes perçues, majorées d’un montant de 250 euros, ainsi que d’un autre montant fixe de 2.500 euros. L’annexe au contrat prévoit également des sanctions en cas de carton jaune, de carton rouge, de non-respect de l’horaire, etc.

Postérieurement à la signature, ce contrat est notifié à l’URBSFA (Union Royale Belge de Football). L’A.S.B.L. explique dans la notification que le joueur est un sportif rémunéré à temps partiel.

Après la fin du contrat, celui-ci conteste la qualification y donnée, estimant être un joueur rémunéré au sens légal, et postule une rémunération minimale ainsi qu’un pécule de vacances.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur) en paiement de sommes.

La décision du tribunal

Le tribunal expose en premier lieu un problème de compétence, rappelant que celle-ci n’est pas déterminée par le statut (officiel ou affirmé) de la relation contractuelle, mais par l’objet de la demande (renvoyant à Cass., 2 février 2013, Arr. Cass., 2013, p. 496 – non publié sur Juportal).

Le demandeur sollicitant la reconnaissance du statut de joueur rémunéré, il y a compétence matérielle du tribunal du travail, sur pied de l’article 578 du Code judiciaire.

Quant au fond, le tribunal rappelle le caractère d’ordre public de la qualification de la relation de travail. S’agissant d’un joueur de football, il examine l’article B.908 du Règlement de l’URBSFA, qui impose aux clubs de football amateurs des divisions supérieures, lorsqu’ils engagent des joueurs au départ d’un club des divisions supérieures du football amateur ou d’un club du football professionnel, de notifier à celle-ci le contrat de sportif rémunéré, la date du cachet postal faisant foi. Ce n’est qu’à cette condition que le joueur est qualifié pour les matchs officiels de l’équipe de première.

Le demandeur retire de cette disposition qu’elle contiendrait une présomption de contrat de sportif rémunéré, étant acquis en l’espèce que la notification à l’URBSFA a été faite. Le tribunal rappelle qu’une présomption légale ne peut par nature être établie que par une loi et que le règlement de l’URBSFA n’a pas ce caractère, cette institution n’étant pas un organe disposant du pouvoir de légiférer. Il s’agit d’une norme de droit privé.

Pour le tribunal, cependant, même si le demandeur ne bénéficie pas d’une présomption légale, il peut apporter la preuve de son statut de joueur rémunéré, et ce par toute voie de droit, la notification étant un indice parmi d’autres.

Il en vient à l’examen de la loi du 24 février 1978 relative au contrat de travail du sportif rémunéré, qui donne de celui-ci la définition suivante : il s’agit de celui qui s’engage à se préparer ou à participer à une compétition ou à une exhibition sportive sous l’autorité d’une autre personne, moyennant une rémunération excédant un certain montant. Celui-ci est fixé annuellement par le Roi après avis de la commission paritaire nationale des sports. Pour 2020, le tribunal relève que ce montant est de 10.612 euros. Pour rentrer dans le champ d’application de la loi, cette rémunération minimale est dès lors requise.

Le texte prévoit également (en son article 3) que, nonobstant toute stipulation expresse et quel que soit le titre qui lui est donné, le contrat est réputé un contrat de travail d’employé et est régi par les dispositions de la législation correspondante et par les dispositions de la loi du 24 février 1978.

Pour ce qui est de la rémunération, la doctrine a balisé celle-ci comme suit : (i) le seuil s’applique indépendamment du fait que le joueur est sous contrat de travail à temps plein ou à temps partiel et (ii) la rémunération prise en compte est celle définie par la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération (Ch.-E. CLESSE, L’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants. Aux frontières de la fausse indépendance, Kluwer, 2021, p. 38).

En l’espèce, le montant retenu au titre de frais de déplacement, même s’il était requalifié, n’aboutirait pas à ce minimum. Le demandeur ne peut dès lors prétendre bénéficier de la présomption ci-dessus.

Le tribunal nuance toutefois : ceci ne signifie pas que l’existence d’un contrat de travail est exclue. Celui-ci peut exister, mais la preuve doit être apportée par le demandeur. Il s’emploie dès lors à rechercher l’existence d’un contrat de travail, conformément à la loi du 3 juillet 1978 et à la loi-programme du 27 décembre 2006, dont il reprend certains extraits relatifs à la méthode de qualification.

Le joueur étant demandeur en requalification, il doit dès lors apporter la preuve que les dispositions contractuelles ou la manière dont la convention a été exécutée sont incompatibles avec la qualification qui lui a été donnée. Il ne suffit pas, selon le jugement, « d’apporter la preuve d’éléments permettant de ‘faire pencher la balance’ vers l’une ou l’autre forme de contrat », mais il convient de démontrer l’incompatibilité des dispositions contractuelles avec l’exécution de la relation elle-même. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne les prestations.

Pour ce qui est des sanctions, le tribunal considère que celles qui sont prévues ne sont pas davantage incompatibles avec l’existence d’une relation non subordonnée, les parties étant libres de prévoir les conséquences qui s’attachent à l’inexécution de leurs obligations contractuelles. La preuve de l’incompatibilité légale exigée n’étant pas apportée, le tribunal conclut au débouté.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège (division Namur) est l’occasion de revenir sur la loi du 24 février 1978 relative au contrat de travail du sportif rémunéré. Celle-ci prévoit expressément en son article 2 qu’il faut entendre par là celui qui s’engage à se préparer ou à participer à une compétition ou à une exhibition sportive sous l’autorité d’une autre personne, moyennant une rémunération excédant un certain montant.

Référence est faite également à la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs pour ce qui est de la fixation du montant (fixation annuelle). Le champ d’application personnel de la loi peut être étendu (ou restreint) par le Roi.

La présomption légale figure à l’article 3 de la loi, qui dispose que, nonobstant toute stipulation expresse et quel que soit le titre qui lui est donné, le contrat conclu est réputé un contrat de travail d’employé et est régi par les dispositions de la législation correspondante (outre par les dispositions de la loi en cause).

Les renvois à la législation sociale sont dès lors nombreux et d’autres dispositions analogues à celles de la loi du 3 juillet 1978 se retrouvent, notamment en cas de rupture du contrat (qu’il soit à durée déterminée ou indéterminée).

Ainsi que l’a judicieusement repris le tribunal, si les conditions de la loi du 24 février 1978 ne sont pas remplies sur le plan du minimum de rémunération exigée, la présomption légale ne s’appliquant dès lors pas, il est loisible au joueur de faire reconnaître malgré tout l’existence d’un contrat de travail. Il y a lieu, dans cette hypothèse, de retomber sur les principes généraux de la loi du 27 décembre 2006, avec ses règles en matière de charge de la preuve.


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