Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juin 2022, R.G. 2016/AB/1.107
Mis en ligne le lundi 31 octobre 2022
Cour du travail de Bruxelles, 29 juin 2022, R.G. 2016/AB/1.107
Terra Laboris
Dans un arrêt du 29 juin 2022, la Cour du travail de Bruxelles conclut qu’est nulle une convention de rupture d’un contrat de travail pour force majeure vu une inaptitude physique définitive, dès lors que celle-ci a une fausse cause.
Les faits
Un ouvrier communal se trouve, en 2011, être l’objet de plaintes répétitives de collègues, ce qui amène le Collège communal à solliciter une procédure d’audit externe. Aucun rapport n’est établi suite à cette initiative. Plus d’une année après, des incidents sont actés dans une note de la coordinatrice du département où cet ouvrier preste, note adressée aux représentants de la Commune, signalant les difficultés rencontrées au sein de la cellule en cause, vu les comportements et les discours de l’intéressé. Cette note conclut que celui-ci ne serait pas fait pour travailler en équipe et qu’il y aurait lieu de l’orienter vers un autre poste, où il travaillerait seul. Cette note ne sera pas suivie d’effet.
L’intéressé tombe ensuite en incapacité de travail, incapacité qui sera de longue durée. Celle-ci semble due à un burnout sévère décompensé.
Lorsque le médecin-conseil de l’organisme assureur prend, après quelques mois, la décision de mettre fin à la reconnaissance de l’incapacité de travail, il précise qu’il y a « inaptitude définitive à son travail chez son employeur actuel pour raison médicale de force majeure (C4 force majeure) ». Il est conclu par le conseiller en prévention-médecin du travail à une inaptitude définitive et permanente au travail chez l’employeur actuel pour raison médicale de force majeure. Dans le même temps, l’intéressé dépose plainte auprès de la police pour harcèlement et coups et blessures contre un de ses collègues, ajoutant une description détaillée des faits ainsi que des témoins.
Le même jour, il signe avec l’autorité communale une convention constatant la cessation du contrat pour raison de force majeure médicale. Cette convention contient une clause de renonciation à introduire ou à poursuivre une action relative au contrat de travail.
Le conseil du travailleur intervient ensuite, faisant valoir que la convention signée n’est pas une transaction à défaut de concessions réciproques des parties et qu’elle n’est pas valable vu qu’elle repose sur une fausse cause et est affectée d’un vice de consentement. La Commune est mise en demeure de payer l’indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité forfaitaire pour licenciement abusif.
En l’absence de réaction de la Commune, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre).
La plainte déposée pour harcèlement moral sera, ultérieurement, classée sans suite par l’auditorat du travail, décision qui sera maintenue après une enquête complémentaire.
La décision du tribunal
Le tribunal, qui avait été saisi d’une demande d’indemnité compensatoire de préavis, d’une autre pour licenciement abusif, d’une troisième pour discrimination et d’une quatrième au titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement visée aux articles 88 et suivants de l’arrêté royal du 28 septembre 1984 (l’intéressé ayant un mandat syndical), a débouté le demandeur de la totalité de sa demande et l’a condamné aux dépens (5.500 euros).
Appel est interjeté, les mêmes chefs de demande étant repris devant la cour.
La décision de la cour
La cour aborde le litige par l’examen de la validité ou non de la convention conclue entre parties. Elle reprend les règles relatives à la force majeure ainsi que la procédure de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs. La procédure de recours contre la décision du conseiller en prévention-médecin du travail est rappelée.
Elle passe à l’examen de la cause des contrats, telle que réglementée par le Code civil, ainsi que de la nature de la transaction. L’article 1131 du Code civil dispose que l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet et l’article 2044 définit la transaction comme un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. La cour en donne également les conditions.
Vérifiant les faits de l’espèce, elle constate qu’ils sont tous situés avant l’entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2014, qui a modifié la loi du 4 août 1996, et que la Ville a entrepris une seule démarche, étant de faire procéder à un audit externe, dont elle ne dépose d’ailleurs pas le rapport. La cour précise que, même si le travailleur n’avait pas déposé plainte pour harcèlement au travail ou faits de violence (ou saisi la personne de confiance), la Ville savait en tout cas que l’incapacité de travail était en lien avec un conflit majeur existant au sein d’un de ses départements. Elle n’établit pas avoir pris des mesures à ce sujet suite à la note déposée par la coordinatrice et conclut sur ce point que, si aucune des pistes envisagées par celle-ci ne devait déboucher sur un résultat, il lui appartenait alors de licencier moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et de ne pas laisser s’enliser un conflit au point de déboucher sur une longue incapacité de travail. Même dans sa version à l’époque, la loi mettait à charge des employeurs des obligations, dont celle de mettre sur pied un système dynamique de gestion des risques.
L’auditorat du travail a, sur cette question, confié une enquête au Contrôle du bien-être et il a été conclu qu’il n’y a pas eu d’analyse des risques psychosociaux complète mais des bribes d’analyse relatives à des problèmes ponctuels – qui ne concernent cependant pas le dossier en cause.
Pour ce qui est de la plainte déposée, la cour rejette que l’on puisse conclure à son caractère fantaisiste, et ce même si l’intéressé avait lui-même des difficultés de comportement avec ses collègues. Vu l’évolution des choses (existence d’un conflit au travail, dont la Commune était informée, survenance d’une longue incapacité de travail, absence de proposition de solution par le service du personnel ou par le conseiller en prévention-médecin du travail, etc.), la cour constate que la convention actant la rupture du contrat de travail pour force majeure (préparée par les services de la Ville et dont le travailleur n’eût pas connaissance préalablement) ne pouvait acter valablement une incapacité définitive d’exécuter le travail convenu.
Elle rappelle la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles, qui avait retenu que le seul certificat d’un médecin, fût-ce le médecin-traitant du travailleur, ne suffit pas en soi à prouver cette incapacité définitive, non plus que l’opinion du travailleur sur sa propre aptitude au travail. La cour déplore encore ne pas connaître les informations dont disposait le médecin-conseil de la mutuelle ou le conseiller en prévention-médecin du travail, et notamment à propos du lien entre l’incapacité de travail et le conflit majeur au travail. Elle rappelle encore qu’il est du rôle de l’employeur de veiller au bien-être au travail de ses travailleurs et qu’en l’espèce, la Ville est restée passive, ce qui constitue une faute dans son chef, qui a contribué à l’incapacité de travail et à sa prolongation et fait donc obstacle à la reconnaissance d’une prétendue force majeure ainsi qu’à la possibilité pour elle de se retrancher derrière celle-ci pour constater la rupture du contrat de travail (avec renvoi à C. trav. Bruxelles, 8 décembre 2020, R.G. 2017/AB/959 et C. trav. Bruxelles, 22 mai 2018, R.G. 2015/AB/918).
La convention a été signée dans la croyance erronée que le travailleur était définitivement inapte à accomplir le travail convenu. La signature repose dès lors sur une fausse cause, en manière telle que la convention est nulle. La cour en conclut que la Ville ne peut invoquer les renonciations qui y figurent pour faire obstacle au droit de l’intéressé d’agir en justice.
L’indemnité compensatoire de préavis est due.
La cour examine ensuite le caractère abusif du licenciement au sens de l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978, ne faisant pas droit à cette demande, dans la mesure où la rupture du contrat avait un lien avec l’aptitude au travail.
Elle retient cependant qu’il y a eu discrimination, la rupture du contrat étant directement fondée sur l’état de santé actuel de l’intéressé. Il n’est pas démontré que la distinction directe constatée est justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser celui-ci étaient appropriés et nécessaires. La cour alloue dès lors l’indemnité prévue à l’article 18 de la loi du 10 mai 2007, étant l’équivalent de six mois de rémunération.
Enfin, l’intéressé s’étant également appuyé sur l’arrêté royal du 28 septembre 1984 portant exécution de la loi du 19 décembre 1974 organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats des agents relevant de celles-ci, la cour constate qu’aucune indemnité n’est prévue au cas où la procédure organisée par le texte n’a pas été suivie. Il n’est pas contesté en l’espèce que tel a été le cas, mais la cour conclut à l’absence de faute, dans la mesure où le non-respect est intervenu de l’accord de l’intéressé (même si celui-ci est fondé sur la croyance erronée qu’il était définitivement incapable d’exécuter le travail convenu).
Intérêt de la décision
C’est par le biais de l’examen de la cause de la convention que la cour conclut à la nullité de celle-ci, faisant une application stricte de l’article 1131 du Code civil ancien.
En cas de fausse cause ou de cause illicite (ou même d’obligation sans cause), aucun effet juridique ne peut intervenir. La cause (d’un acte unilatéral ou d’un contrat) peut être définie, comme la cour du travail le rappelle, comme les mobiles déterminants qui ont amené les parties à souscrire l’obligation, c’est-à-dire à conclure l’acte juridique.
Dans un arrêt du 14 mars 2008 (Cass., 14 mars 2008, n° C.05.0380.F), la Cour de cassation a précisé sur ce point que, dans un contrat synallagmatique, la cause des obligations de l’une des parties ne réside pas exclusivement dans l’ensemble des obligations de l’autre partie mais dans celui des mobiles qui a principalement inspiré son débiteur et l’a déterminé à contracter.
Par le recours à l’examen de la cause de l’engagement, le demandeur a touché directement la question de la nullité de la convention, évitant, ce faisant, l’examen du caractère obligatoire ou non de la procédure prévue à l’arrêté royal du 28 mai 2003 lorsqu’il était envisagé de recourir à la rupture du contrat de travail pour force majeure en cas d’inaptitude physique définitive.