Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 23 mai 2022, R.G. 2021/AL/346
Mis en ligne le lundi 31 octobre 2022
Cour du travail de Liège (division Liège), 23 mai 2022, R.G. 2021/AL/346
Terra Laboris
Dans un arrêt du 23 mai 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) examine la condition de l’article 93, § 1er, 4°, de l’arrêté royal organique chômage, qui vise la situation du titulaire d’un diplôme de fin d’études de l’enseignement supérieur souhaitant obtenir une dispense de la disponibilité sur le marché du travail pour reprendre des études.
Les faits
Une bénéficiaire d’allocations de chômage introduit, début septembre 2019, une demande auprès du FOREm aux fins d’être dispensée de son obligation de disponibilité sur le marché de l’emploi. Elle souhaite suivre la première année d’études d’institutrice primaire. Elle est à ce moment titulaire d’un baccalauréat en information et communication à l’ULiège ainsi que d’un master en gestion culturelle de l’ULB. Elle n’a pas trouvé de travail dans sa spécialité et a occupé des fonctions d’employée (s’agissant d’un call center – fonctions ayant des répercussions sur sa santé).
Le FOREm refuse la dispense, au motif qu’elle dispose de suffisamment de possibilités sur le marché de l’emploi. Il lui est demandé de rester inscrite comme demandeuse d’emploi, d’être disponible, de rechercher activement un emploi, de répondre aux convocations, etc. Les cours commençant le 14 septembre, l’intéressée reprend une initiative, et ce dans le courant du mois d’octobre, contestant le refus de dispense.
Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, demandant l’annulation de la décision ainsi que l’octroi de la dispense.
Fin décembre 2019, un « plan d’actions » est signé avec le FOREm, prévoyant, parmi ses objectifs fixés à l’intéressée, de se former et d’évaluer ses compétences. Le plan d’action indique comme moyen : « Participer à une formation. Commentaire : reprendre des études en pénurie d’institutrice primaire ». L’intéressée suit les cours en question et réussit sa première année.
Au début de l’année suivante, elle fait une nouvelle demande de dispense, qui donne lieu à un nouveau refus, celui-ci étant fondé sur l’exigence du respect des conditions légales au début du cycle de formation.
Un recours est encore introduit devant le tribunal du travail, sollicitant le bénéfice de la dispense pour cette seconde année.
Les deux recours sont joints par le tribunal, qui déboute l’intéressée par jugement du 14 juin 2021.
Celle-ci interjette appel, demandant que lui soit accordée la dispense de disponibilité sur le marché de l’emploi pour pouvoir suivre les études d’institutrice primaire à partir de l’année 2019-2020.
La position du ministère public
Le ministère public se déclare favorable, dans son avis, à la réformation du jugement, considérant essentiellement que l’Office ne peut en même temps s’engager à tout mettre en œuvre pour que l’intéressée réussisse son objectif, qui est de reprendre ses études, tout en lui refusant la dispense.
La décision de la cour
La cour aborde le cadre général de la réglementation chômage en lien avec la question de la poursuite d’études de plein exercice. Celle-ci rend en effet impossible la disponibilité sur le marché de l’emploi, dans la mesure où les études se déroulent en journée. La cour retient cependant que permettre des réorientations professionnelles correspond à une nécessité sociale, et ce particulièrement envers des métiers en pénurie.
L’arrêté royal organique a ainsi prévu diverses dérogations en ses articles 89 et suivants et la cour reprend le texte de l’article 93 applicable à l’espèce. Le 6° de la disposition contient la condition de « stage », étant que le chômeur doit avoir bénéficié d’au moins trois-cent-douze allocations comme chômeur complet au cours des deux dernières années précédant le début des études. Cette condition n’est cependant pas exigée lorsque les études préparent à des professions dans lesquelles il y a pénurie significative de main-d’œuvre. La disposition poursuit que la liste de ces professions est établie par l’Office.
Après le rappel du texte, la cour met en exergue le principe de la compétence liée du FOREm pour l’octroi ou non de la dispense, ainsi que le pouvoir de substitution des juridictions du travail.
Le point litigieux est la condition selon laquelle le chômeur ne peut déjà disposer d’un diplôme de fin d’études de l’enseignement supérieur, condition qui est tempérée, étant que le directeur peut constater que ce diplôme n’offre que peu de possibilités sur le marché de l’emploi. A cette fin, il peut demander l’avis du Service régional de l’emploi.
Ainsi, qu’en est-il, en l’espèce, du master en gestion culturelle ? Pour le FOREm, celui-ci offre des perspectives « variées », renvoyant au site de l’ULB, qui en vante les nombreux débouchés. Le FOREm produisant également un document interne, étant une analyse de marché faite par les services de veille, la cour constate que celui-ci est peu concluant, dans la mesure où les éléments donnés sont que les études sont de type transversal, étant qu’elles peuvent conduire à diverses professions.
Le FOREm pointant en outre quatre catégories d’opportunité d’emploi (responsable en organisation, responsable structures d’animation culturelle et technique, etc., chef de produits de tourisme, gestionnaire organisme non-marchand / directeur PME), la cour déclare que ce document ne peut être déterminant, dans la mesure où il ne repose pas sur une analyse du marché du travail réel des titulaires de ce diplôme. Elle rejette ce document pour un second motif, étant essentiellement que les chiffres du taux d’insertion qui y sont repris concernent deux catégories de diplôme, dont les titulaires d’un master en sciences administratives et/ou de gestion. Il n’est dès lors pas établi que le diplôme en gestion culturelle ne ferait pas partie de ceux qui n’offrent que peu de possibilités sur le marché de l’emploi.
Quant à l’intéressée, elle expose qu’elle n’a pas trouvé de travail dans le secteur culturel et qu’elle a dû se rendre aux Pays-Bas pour un travail peu en adéquation avec ses aptitudes, ainsi que peu valorisant (téléphoniste dans un call center). Elle expose encore les démarches qu’elle a effectuées, dans un cadre plus large que celui du domaine culturel strict.
La cour constate qu’elle n’a pas ménagé ses efforts, vu le nombre de candidatures déposées. Elle retient un « volontarisme constant depuis la fin de ses études » et conclut que son profil est celui d’une personne qui aurait trouvé un emploi correct si son diplôme avait été porteur. Les conditions de l’article 93 sont dès lors considérées comme remplies, la cour concluant que le FOREm aurait dû accorder la dispense tout en permettant à l’intéressée de garder le bénéfice des allocations de chômage.
Le jugement est dès lors réformé.
Intérêt de la décision
La Cour du travail de Liège analyse dans cet arrêt les conditions de l’article 93 de l’arrêté royal et, particulièrement, la question des métiers en pénurie (condition remplie, s’agissant du métier d’instituteur) et, surtout, celle de l’existence d’un premier diplôme. Lorsque le chômeur dispose d’un diplôme de fin d’études de l’enseignement supérieur, la dispense sera refusée, sauf s’il est constaté par le directeur du BR que celui-ci n’offre que peu de possibilités sur le marché de l’emploi. Il est précisé que, dans l’évaluation de cette perspective, le directeur peut demander l’avis du Service régional de l’emploi. Les conditions sont dès lors floues, le titulaire du diplôme ayant, sur la base de cette disposition, à déterminer pratiquement seul l’existence de possibilités réelles de travail.
En l’espèce, la cour du travail a conclu que tel était le cas, sur la base du dossier personnel de la chômeuse, qui avait introduit de nombreuses candidatures infructueuses et avait dû « se rabattre » sur une activité professionnelle peu valorisante et ayant entraîné des problèmes de santé.
La compétence de l’administration étant liée, le juge dispose d’un pouvoir de substitution dans l’appréciation du bien-fondé du refus de la dispense.
Relevons un arrêt précédemment rendu par la même cour (C. trav. Liège, div. Liège, 27 mai 2021, R.G. 2020/AL/291), qui a rappelé que les dispenses sont refusées si le chômeur dispose déjà d’un diplôme de fin d’études de l’enseignement supérieur sauf lorsque le directeur ou le juge constate que ce diplôme n’offre que peu de possibilités sur le marché de l’emploi. Pour une institutrice maternelle, qui souhaite entreprendre des études d’infirmière, la cour a relevé que depuis l’obtention de son diplôme en 2015 celle-ci n’avait travaillé que sporadiquement dans ce métier malgré les efforts entrepris et son souhait de trouver un emploi stable et/ou régulier en cette fonction et que la situation était générale.
Sur la question de la qualification professionnelle, rappelons encore que, dans une décision du 8 octobre 2020 (C. trav. Bruxelles, 8 octobre 2020, R.G. 2019/AB/305), la Cour du travail de Bruxelles a jugé que la dispense visée à l’article 93 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 est destinée au chômeur n’ayant pas de qualification suffisante pour s’insérer sur le marché de l’emploi, ce sans égard pour ses aspirations personnelles. Au regard du prescrit réglementaire, ce qui importe pour bénéficier de la dispense prévue est ainsi le peu de possibilités offertes par le diplôme possédé sur le marché de l’emploi et non celles du diplôme escompté.