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Fusion bancaire : modification de fonction et acte équipollent à rupture

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 février 2022, R.G. 2019/AB/52

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 23 février 2022, R.G. 2019/AB/52

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 février 2022, la Cour du travail de Bruxelles examine sous l’angle de l’acte équipollent à rupture le respect par l’employeur de son obligation en cas de fusion de maintenir au travailleur une fonction équivalente à celle exercée précédemment.

Les faits

Un employé d’un organisme bancaire a été engagé en 2005. Suite à une fusion, les départements marketing des deux organismes bancaires concernés ont été réorganisés et sa fonction est supprimée. Il est avisé du fait qu’il devra prendre des responsabilités similaires, deux autres employés recevant des mêmes notifications. Plusieurs propositions lui sont faites dans les mois suivants et elles sont successivement refusées par l’intéressé, qui y voit soit des fonctions purement administratives, soit un changement de carrière, soit encore le projet d’intégrer un département en refonte stratégique dont les objectifs commerciaux avaient déjà été revus fortement à la baisse.

Un entretien a lieu avec la hiérarchie de l’intéressé, celle-ci confirmant, en conclusion de cette entrevue, qu’elle a la volonté de lui trouver un poste correspondant à ses compétences et que les différentes fonctions proposées impliquent des responsabilités similaires aux siennes.

L’intéressé répond, réaffirmant le caractère purement administratif et beaucoup moins axé sur la communication (étant son poste occupé précédemment), ainsi que les autres motifs pour lesquels les postes proposés ne pouvaient lui convenir. Il fait état de la situation d’attente dans laquelle il se trouve depuis près de six mois et demande à être fixé quant à une mutation définitive.

Un nouvel entretien a lieu, suite auquel l’employé insiste pour obtenir une confirmation de son transfert vers un autre poste équivalent, signalant qu’à défaut, il devra conclure à la modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail, à savoir sa fonction.

Les choses n’évolueront pas, l’intéressé mettant une nouvelle fois son employeur en demeure de trouver dans un délai déterminé un poste compatible avec sa fonction. La banque lui oppose ses refus des différentes propositions précédentes et confirme une dernière proposition, qui n’implique pas de modification du contrat. Il lui est confirmé qu’il est attendu au département en cause.

Intervient une courte période d’incapacité de travail, qui sera prolongée.

Lors de la reprise du travail dans ce nouveau poste, l’intéressé fait un rappel récapitulatif des événements survenus depuis la fusion, dans lequel il reprend les propositions faites, insatisfaisantes à ses yeux. Il conclut n’avoir d’autre choix que de constater la modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat et réclame une indemnité compensatoire de préavis. Il précise également qu’étant en crédit-temps, l’employeur est tenu d’établir que la suppression de la fonction n’est pas liée à cette cause de protection.

La société dénonce pour sa part la situation et considère que c’est l’employé lui-même qui a mis fin au contrat de travail. Elle annonce qu’elle réclamera une indemnité compensatoire de préavis.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Par jugement du 9 octobre 2018, celui-ci fait droit à la demande, déboutant la banque de sa demande reconventionnelle, qui porte sur une indemnité compensatoire de préavis. Sont ainsi allouées à la fois l’indemnité compensatoire de préavis à charge de l’employeur ainsi que l’indemnité de protection sur la base de la C.C.T. n° 103.

Appel est interjeté par la banque.

La décision de la cour

Après un rappel des principales règles en la matière, la cour examine s’il y a en l’espèce une modification importante d’un élément essentiel du contrat de travail permettant de conclure à un acte équipollent à rupture.

Elle rappelle tout d’abord que c’est au travailleur de rapporter cette preuve.

En l’espèce, l’élément essentiel est la fonction. La cour examine dès lors la fonction initiale, fonction se mouvant dans le secteur de la communication et ayant été davantage concentrée sur le « micro-marketing », ainsi que la (dernière) fonction proposée, qui est une fonction temporaire au sein d’un département de vente, et ce jusqu’au moment où l’intéressé aurait accepté une autre fonction (la cour relevant que, pour la banque, trente-sept fonctions vacantes figureraient sur son site intranet).

Il s’agit dès lors d’examiner la comparabilité des fonctions afin de vérifier s’il y a modification unilatérale importante de celles-ci.

Après avoir passé en revue le descriptif des responsabilités de chacune, la cour conclut que, même si la nouvelle fonction comporte des aspects communicationnels (à la marge), il s’agit davantage d’une fonction administrative (suivi administratif du lancement de nouveaux produits d’assurances, mise en œuvre de procédures, etc.), l’aspect communicationnel n’y est qu’accessoire. A l’opposé, la fonction précédente contenait une dimension créative importante (création d’actions de marketing local pour les points de vente avec coaching, gestion du plan media, du suivi général des projets, etc.).

Pour la cour, il n’est pas établi que les deux fonctions sont équivalentes, la partie du travail relative au respect des dispositions légales et à la gestion d’un site internet de commande d’actions marketing n’étant pas l’essence de la fonction. Le comparatif des qualités exigées pour les deux fonctions est indifférent, dans la mesure où ces qualités sont assez générales et requises pour de nombreuses fonctions dans le secteur et qu’elles ne permettent pas de rendre compte du contenu lui-même. En imposant, même à titre temporaire, à l’employé d’accomplir la fonction en cause, la banque a modifié unilatéralement de façon importante cet élément essentiel du contrat de travail. Elle précise encore que c’est à la banque qu’il appartient de maintenir la fonction de l’intéressé, étant à l’origine de la restructuration, et de veiller à lui retrouver une fonction équivalente ou, à défaut, d’en tirer les conséquences, étant de lui payer l’indemnité compensatoire de préavis.

Sur la protection contre le licenciement, la cour constate que la fusion intervenue entraînait nécessairement des doublons justifiant de se séparer d’une partie du personnel et que les explications données, mises au regard de certaines pièces, aboutissent à la conclusion que le motif dans sa nature et son origine sont étrangers à la suspension du contrat de travail.

Intérêt de la décision

La cour rappelle dans cet arrêt que la fonction est un élément essentiel du contrat de travail.

La difficulté en l’espèce réside dans l’examen du contenu concret de la fonction dans un département spécialisé d’un secteur déterminé, étant la communication dans le secteur bancaire.

La règle selon laquelle la nature de la fonction est un élément essentiel du contrat de travail n’empêche cependant pas les discussions à cet égard.

Relevons un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 26 février 2020 (C. trav. Bruxelles, 26 février 2020, R.G. 2019/AB/164 – précédemment commenté), selon lequel la nature de la fonction exercée par le travailleur constitue en principe un élément essentiel du contrat de travail, à moins que le contraire puisse être déduit de la convention ou de l’exécution que les parties lui ont donnée. La fonction convenue n’impose en effet pas nécessairement une liste intangible de tâches qui devraient être réalisées selon un modus operandi figé. L’employeur est responsable de l’organisation de son entreprise et a le droit, dans le respect de la fonction du travailleur, de déterminer les tâches à effectuer et leurs modalités d’exécution. La nature de la fonction et le niveau de responsabilité doivent cependant être maintenus.

L’obligation d’assurer une fonction équivalente est une obligation concrète. Ainsi, dans un arrêt du 20 novembre 2018 (C. trav. Mons, 20 novembre 2018, R.G. 2017/AM/209), la Cour du travail de Mons a considéré que modifie unilatéralement un élément essentiel du contrat de travail convenu l’employeur qui, sans avoir recueilli au préalable l’accord exprès du travailleur ainsi que l’y obligeait le règlement de travail, lui retire ses fonctions et responsabilités, et ce sans accompagner sa décision d’aucune proposition de réaffectation vers une fonction équivalente en termes de contenu et de niveau de responsabilité, mais en faisant, au contraire, dépendre de négociations bilatérales ultérieures, la possibilité, pour l’intéressé, de poursuivre sa carrière au sein de la société.

Il a par ailleurs été admis par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 14 juillet 2017 (C. trav. Bruxelles, 14 juillet 2017, R.G. 2015/AB/403) que l’on peut certes exiger une certaine flexibilité de la part du travailleur quant à une modification de ses fonctions en cas de réorganisation de l’entreprise et, dans ces circonstances, tendre à opérer une balance des intérêts dans l’appréciation du caractère essentiel ou accessoire de la fonction et dans l’évaluation de l’importance de la modification qui y est apportée. Ces préoccupations ne permettent toutefois pas de déroger purement et simplement à l’obligation de respecter le contrat avenu entre parties, non plus que les avenants et/ou descriptifs de fonction que les parties ont pris la peine d’établir et de signer conjointement lors de chaque modification intervenue, indiquant ainsi que, à leurs yeux, la fonction exercée constitue un élément essentiel du contrat.

Par ailleurs, la Cour du travail de Bruxelles, dans un arrêt du 26 avril 2017 (C. trav. Bruxelles, 26 avril 2017, R.G. 2015/AB/273 – également précédemment commenté), a jugé que la nature de la fonction est en principe un élément essentiel du contrat de travail, à moins que le contraire puisse être déduit de la convention ou de l’exécution donnée par les parties à celui-ci. Si la fonction convenue n’impose pas nécessairement une liste intangible de tâches et un modus operandi déterminé, il faut, dans l’hypothèse où l’employeur l’a modifiée unilatéralement, pour qu’il n’y ait pas acte équipollent à rupture, que sa nature et le niveau de responsabilité du travailleur soient maintenus.


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