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Pension de vieillesse et libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne

Commentaire de C.J.U.E., 7 juillet 2022, Aff. n° C-576/20 (CC c/ PENSIONSVERSICHERUNGSANSTALT), EU:C:2022:75

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2022


Cour de Justice de l’Union européenne, 7 juillet 2022, Aff. n° C-576/20 (CC c/ PENSIONSVERSICHERUNGSANSTALT), EU:C:2022:75

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 juillet 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne statue sur une demande de prise en compte des périodes d’éducation des enfants accomplies dans un autre Etat membre aux fins de la fixation du montant de la pension de vieillesse, le droit national (doit autrichien) acceptant celles-ci lorsqu’elles sont intervenues sur le territoire.

Les faits

Une ressortissante autrichienne née en 1957 s’installe en Belgique en novembre 1987. Elle donne naissance à deux enfants. Elle séjourne ensuite en Hongrie. Pendant cette période, elle élève ses enfants sans exercer d’emploi. Elle n’acquiert pas de période d’assurance et ne perçoit pas de prestations au titre de l’éducation de ses enfants.

En février 1993, elle retourne en Autriche, où elle entame une activité d’indépendante. Pendant treize mois, elle s’occupe de l’éducation de ses enfants. Elle est à ce moment obligatoirement affiliée au régime de sécurité sociale autrichien. Elle continuera à travailler et à cotiser en Autriche jusqu’à sa pension de retraite, qu’elle sollicite en octobre 2017. Celle-ci est calculée sur la base des périodes d’assurance en Autriche (366 mois). Y sont reprises les périodes d’éducation de ses enfants en Autriche, qui ont été assimilées à des périodes d’assurance.

Un recours est introduit contre cette décision devant l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (Tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne). L’intéressée fait valoir que, dans la mesure où elle était couverte par la sécurité sociale autrichienne avant les périodes d’éducation accomplies en Belgique et en Hongrie, celles-ci doivent également être prises en compte en tant que périodes assimilées, et ce, conformément à l’article 21 T.F.U.E.

Son recours est rejeté et appel est interjeté devant l’Oberlandesgericht Wien (Tribunal régional supérieur de Vienne), qui le rejette, considérant que les conditions d’application de l’article 44 du Règlement n° 987/2009 ne sont pas satisfaites et que les périodes en cause ne peuvent être prises en compte sur la base de l’article 21 T.F.U.E., l’intéressée se fondant sur la jurisprudence de la Cour (C.J.U.E., 19 juillet 2012, Aff. n° C-522/10, REICHEL-ALBERT c/ DEUTSCHE RENTENVERSICHERUNG NORDBAYERN, EU:C:2012:475).

Un recours est formé devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême). Celle-ci relève que les faits en cause sont comparables à ceux de l’affaire REICHEL-ALBERT et que la circonstance que l’intéressée a travaillé et a acquis des périodes d’assurance exclusivement en Autriche serait susceptible de démontrer l’existence d’un lien de rattachement suffisamment étroit avec le régime de sécurité sociale autrichien. La question se pose de savoir si l’article 44 du Règlement n° 987/2009 (dont les conditions ne sont pas réunies) est exclusif. En effet, précédemment, dans le cadre du Règlement n° 1408/71, les périodes d’éducation des enfants auraient été prises en compte en vertu de l’article 21 T.F.U.E. et, si seul peut être actuellement invoqué l’article 44 du Règlement n° 987/2009, la situation de la requérante serait devenue moins favorable.

La Cour suprême autrichienne pose dès lors à la Cour de Justice la question de savoir si l’article 44, § 2, du Règlement n° 987/2009 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la prise en compte de périodes d’éducation d’enfants accomplies dans d’autres Etats membres par un Etat membre compétent pour l’octroi de la pension de retraite sous la législation duquel l’assurée a exercé pendant toute sa vie active (sauf les périodes d’éducation des enfants) une activité – salariée ou non salariée – du seul fait de l’absence d’exercice par elle d’une activité à la date à laquelle, en vertu de la législation de l’Etat membre, la période d’éducation d’enfants a commencé à être prise en compte pour l’enfant concerné.

Une seconde question est formulée, en cas de réponse négative à la question précédente.

La décision de la Cour

La Cour vérifie en premier lieu si l’article 44 régit de manière exclusive ou non la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans différents Etats membres. Dans l’affirmative, ces périodes ne pourront être prises en considération qu’en vertu de cette disposition et l’article 21 T.F.U.E. n’aura pas vocation à s’appliquer. Dans la négative, la Cour considère qu’il ne peut être exclu d’emblée que la jurisprudence REICHEL-ALBERT soit transposable à la situation lui soumise, qui relève ratione temporis du champ d’application du Règlement n° 987/2009, mais où la personne ne remplit pas la condition d’exercice d’une activité salariée ou non salariée imposée par l’article 44, § 2.

Elle souligne qu’à la date de l’entrée en vigueur du Règlement n° 987/2009, l’arrêt REICHEL-ALBERT du 19 juillet 2012 n’avait pas encore été rendu et que son enseignement n’a pas pu être pris en compte lors de l’adoption du Règlement aux fins de codification éventuelle. Si le libellé de l’article 44 n’indique pas expressément si la disposition régit la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans différents Etats membres de manière exclusive, la règle qu’il contient constitue une codification de la jurisprudence de la Cour issue des arrêts ELSEN (C.J.U.E., 23 novembre 2000, Aff. n° C-135/99, ELSEN c/ BUNDESVERSICHERUNGSANSTALT FÜR ANGESTELLTE, EU:C:2000:647) et KAUER (C.J.U.E., 16 février 2002, Aff. n° C-28/00, KAUER c/ PENSIONSVERSICHERUNGSANSTALT DER ANGESTELLTEN, EU:C:2002:82). La disposition étant intégrée dans le titre III du Règlement intitulé « dispositions particulières applicables aux différentes catégories de prestations », et ce en son chapitre IV, qui regroupe les dispositions relatives aux prestations d’invalidité et prestations de vieillesse et de survivant, la Cour considère qu’elle constitue une disposition particulière applicable à des prestations relevant des pensions qui favorise la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants aux fins du calcul de ces prestations.

La disposition fait en sorte que, lorsque l’Etat membre compétent ne prend pas en compte lesdites périodes, une compétence subsidiaire est prévue à charge d’un Etat membre qui n’est pas compétent en vertu des règles générales, mais qui était précédemment, du fait de l’exercice par la personne concernée, d’une activité salariée ou non dans l’Etat membre au moment où, en vertu de sa législation, les périodes pouvaient commencer à être prises en compte.

Il s’agit d’une règle additionnelle permettant d’augmenter la probabilité pour les personnes concernées d’obtenir une prise en compte complète de leur période d’éducation d’enfants. La Cour conclut dès lors que l’article 44 ne régit pas la prise en considération de ces périodes de manière exclusive.

L’objectif de la réglementation dont la disposition en cause fait partie est d’assurer le respect du principe de la libre circulation tel que consacré à l’article 21 T.F.U.E. L’interpréter comme devant intervenir exclusivement reviendrait à permettre à l’Etat débiteur de la pension (et dans lequel l’intéressée a exclusivement travaillé et cotisé, tant antérieurement que postérieurement au transfert de sa résidence dans un autre Etat membre où elle s’est consacrée à l’éducation de ses enfants) de refuser la prise en compte des périodes en cause et, partant, de la désavantager au seul motif qu’elle a exercé son droit à la libre circulation.

La Cour rappelle son arrêt LASSAL (C.J.U.E., 7 octobre 2010, Aff. n° C-162/09, SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS c/ LASSAL, EU:C:2010:592), qui a jugé que, lorsqu’une disposition du droit de l’Union est susceptible de recevoir plusieurs interprétations, il faut privilégier celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile.

La cour aborde ensuite la seconde question, qui est de savoir si la jurisprudence REICHEL-ALBERT est transposable à la situation soumise, où, bien que le Règlement n° 987/2009 soit applicable ratione temporis, la personne concernée ne remplit pas la condition d’exercice d’une activité salariée ou non salariée imposée par l’article 44 pour obtenir la prise en compte par l’Etat débiteur de la pension des périodes accomplies dans d’autres Etats membres. Elle rappelle que, dans cet arrêt, la personne concernée avait, au moment de la naissance de ses enfants, cessé de travailler dans l’Etat membre débiteur de la pension de vieillesse et avait temporairement établi sa résidence sur le territoire d’un autre Etat membre, dans lequel elle s’était consacrée à l’éducation de ses enfants et n’avait pas exercé d’activité. Elle était ensuite rentrée avec sa famille dans le premier Etat membre, où elle avait repris une activité professionnelle.

Elle va conclure que les enseignements de l’arrêt REICHEL-ALBERT sont transposables. En effet, la requérante en l’occurrence a exclusivement travaillé et cotisé dans l’Etat membre débiteur de la pension (Autriche) tant antérieurement que postérieurement à son déménagement vers un autre Etat membre, où elle s’est consacrée à l’éducation de ses enfants. Par ailleurs, elle n’exerçait pas d’activité salariée ou non salariée en Autriche à la date pertinente pour la prise en compte de ces périodes d’éducation d’enfants.

La Cour retient dès lors un lien suffisant entre les périodes d’éducation d’enfants accomplies à l’étranger et les périodes d’assurance accomplies du fait de l’exercice d’une activité professionnelle en Autriche. Il s’en déduit que la législation de l’Etat membre doit s’appliquer aux fins de la prise en compte et de la validation de ces périodes en vue de l’octroi de la pension de vieillesse.

Elle souligne encore que, si la requérante n’avait pas quitté l’Autriche, ces périodes d’éducation d’enfants auraient été prises en compte aux fins du calcul de la pension et que, comme dans l’affaire REICHEL-ALBERT, elle aurait été désavantagée au seul motif d’avoir exercé son droit à la libre circulation. En conséquence, elle juge que, lorsque la personne concernée ne remplit pas la condition d’exercice d’une activité salariée ou non imposée par l’article 44, § 2, pour obtenir la prise en compte par l’Etat débiteur de la pension des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans d’autres Etats membres, cet Etat membre est tenu de prendre en compte ces périodes au titre de l’article 21 T.F.U.E. dès lors que la personne a exclusivement travaillé et cotisé dans ledit Etat membre, tant antérieurement que postérieurement au transfert de sa résidence dans un autre Etat membre où sont intervenues les périodes en cause.

Intérêt de la décision

L’article 44, § 2, du Règlement n° 987/2009 relatif à la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants prévoit que, lorsqu’au titre de la législation de l’Etat membre compétent, les périodes d’éducation d’enfants ne sont pas prises en compte, l’institution de l’Etat membre dont la législation était applicable du fait de l’exercice par l’intéressée d’une activité salariée ou non salariée à la date à laquelle la période d’éducation d’enfants a commencé à être prise en compte reste tenue de prendre cette période en considération en tant que période d’éducation d’enfants selon sa propre législation comme si l’enfant était éduqué sur son propre territoire.

La Cour de Justice rappelle ici trois décisions importantes de sa jurisprudence, étant d’abord les arrêts ELSEN et KAUER, où a été effectué le test du « lien étroit » ou « lien suffisant » entre les périodes d’assurance accomplies suite à l’exercice d’une activité professionnelle dans l’Etat membre débiteur de la pension de vieillesse et les périodes d’éducation d’enfants que cette personne a effectuées dans un autre Etat membre. La Cour a recherché l’existence d’un lien étroit et suffisant et l’a retenu, de telle sorte que la législation de l’Etat membre a été reconnue applicable en ce qui concerne la prise en compte des périodes d’éducation d’enfants accomplies dans l’autre Etat membre aux fins de l’octroi de la pension de vieillesse.

La Cour rappelle également son arrêt REICHEL-ALBERT, qui a interprété l’article 21 T.F.U.E. Celui-ci fait obligation à l’institution compétente d’un premier Etat membre de prendre en compte, aux fins de l’octroi d’une pension de vieillesse, les périodes d’éducation d’un enfant accomplies dans un second Etat membre comme si elles l’avaient été sur le territoire national, par une personne qui n’a exercé des activités professionnelles que dans le premier Etat membre et qui, au moment de la naissance des enfants, avait temporairement suspendu son activité et établi sa résidence pour des motifs personnels et familiaux sur le territoire du second Etat membre.

La décision de la Cour est bien sûr conforme à l’objectif poursuivi par les textes, qui visent à assurer pleinement la libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne et à éviter tout désavantage ou toute entrave qu’apporterait une législation d’un Etat membre à ce principe.

L’intérêt particulier de cet arrêt du 7 juillet 2022 réside dans la portée de l’article 44, § 2, du Règlement n° 987/2009, étant qu’il ne s’agit pas d’une disposition exclusive mais additionnelle.


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