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Maladie professionnelle dans le secteur public : règles de prescription

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 avril 2022, R.G. 2020/AL/94

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 26 avril 2022, R.G. 2020/AL/94

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 avril 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) conclut à la non-application de l’article 2277 du Code civil pour la détermination de la prescription d’une action en réparation d’une maladie professionnelle du secteur public, seul l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 trouvant à s’appliquer.

Rétroactes

La cour statue après un premier arrêt du 22 juin 2021 (précédemment commenté). Dans celui-ci, elle avait dû examiner, dans le cadre d’une demande d’indemnisation pour maladie professionnelle dans le secteur public, le point de départ de l’indemnisation.

La partie demanderesse sollicitait que celui-ci soit fixé au 1er novembre 1998, considérant que seule la prescription prévue à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 était applicable et que celle-ci avait été valablement interrompue. Elle postulait la non-application de l’article 2277 du Code civil. Subsidiairement, elle plaidait que la date à retenir pour l’application de la prescription, à savoir la date d’exigibilité des indemnités, soit celle de l’objectivation des lésions et non celle du paiement.

Pour FEDRIS, il y avait lieu de confirmer la position du tribunal, qui avait appliqué l’article 2277 du Code civil, cette disposition n’étant pas exclue par l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967. FEDRIS faisait également valoir que, dans le secteur privé, l’application de l’article 2277 du Code civil était acquise, que celle-ci limitait la date d’exigibilité des indemnités et que ne pas l’admettre dans le secteur public serait source de discrimination, les indemnités devenant ainsi imprescriptibles.

L’arrêt du 22 juin 2021

La cour constate que, si discrimination il y a entre le secteur privé et le secteur public, celle-ci ne prend pas sa source dans l’article 2277 du Code civil mais dans l’abstention du législateur de prévoir, dans les lois coordonnées du 3 juin 1970, une disposition comparable à celle de l’article 20, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967, selon lequel l’action en paiement de la rente d’incapacité permanente due en vertu de l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), de celle-ci se prescrit trois ans à partir de la notification de l’acte juridique administratif contesté.

Elle souligne qu’au moment de l’adoption de la loi du 24 décembre 1963, le législateur entendait réparer les séquelles d’une maladie, dont le caractère professionnel venait d’être reconnu, avec un effet rétroactif devant permettre de situer la réparation du dommage autant que possible dès son apparition (la cour souligne).

Elle renvoie à la Convention n° 121 de l’O.I.T. sur les prestations en cas d’accidents et de maladies professionnelles du 8 juillet 1964, et relève qu’elle a le même objectif. Lorsque des prestations sont dues, celles-ci doivent être accordées en principe pendant toute la période donnant lieu à leur octroi. La cour souligne que la volonté du législateur belge a été concrétisée par la règle selon laquelle la victime a droit à l’indemnité pour incapacité temporaire de travail à partir du jour qui suit celui du début de cette incapacité et que, pour l’incapacité permanente, celles-ci sont dues à partir du jour où l’incapacité présente le caractère de permanence. Malgré la difficulté de diagnostiquer certaines maladies professionnelles et le laps de temps fort long susceptible de s’écouler avant que la victime ne demande le bénéfice des indemnités, le système cherche à faire coïncider le début de l’indemnisation avec l’apparition de l’incapacité de travail. On peut parler d’effet rétroactif de l’indemnisation en ce sens qu’elle couvre une période antérieure à l’introduction de la demande administrative.

La réouverture des débats porte dès lors sur les explications à donner par les parties sur les points qui précèdent et sur les conséquences qui en découlent.

L’arrêt du 26 avril 2022

La cour aborde essentiellement deux points, étant la prescription applicable et la prise de cours des intérêts.

Sur le premier point, elle rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2014 (Cass., 12 mai 2014, n° S.13.0020.F), qui enseigne que le délai de trois ans visé à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 est un délai de prescription et non de recours. La disposition porte sur les actions en paiement des indemnités. La cour rappelle également la doctrine reprise dans son arrêt du 22 juin 2021, selon laquelle, au niveau du secteur public, l’article 2277 du Code civil n’a pas vocation à être appliqué.

Elle répond ensuite à un argument de discrimination soulevé par FEDRIS, vu la situation différente dans le secteur public et le secteur privé. La discrimination alléguée résulte de l’absence, dans les lois coordonnées le 3 juin 1970, de dispositions similaires à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967, de telle sorte que, dans la présente espèce, il n’y a pas lieu d’interroger la Cour constitutionnelle, la discrimination ne résultant pas de l’ajout de la disposition visée à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967. La cour estime dès lors devoir conclure à l’application de cet article 20, ce qui implique que le droit aux indemnités n’est pas prescrit et qu’il prend cours, au vu des résultats des expertises, en novembre 1998.

Sur la prise de cours des intérêts, elle rappelle l’article 20bis, selon lequel les rentes, les allocations et les capitaux prévus par la loi portent intérêts de plein droit à partir du premier jour du troisième mois qui suit celui au cours duquel ils deviennent exigibles.

Dans un arrêt du 8 mai 2002 (C.A., 8 mai 2022, n° 82/2002), la Cour d’arbitrage (Cour constitutionnelle actuellement) avait considéré que, dans l’interprétation selon laquelle il ne permet pas l’octroi d’intérêts moratoires avant la décision judiciaire devenue exécutoire sur la contestation relative à l’existence du droit et au montant des rentes dues à la victime d’un accident du travail, l’article 20bis n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Il l’est, dans l’interprétation selon laquelle la notion d’exigibilité figurant dans l’article 20bis comme dans l’article 42 s’identifie à la naissance du droit, de sorte que les intérêts en cause prennent cours à la date à laquelle le droit aux indemnités est né.

Suite à cet arrêt, une circulaire est intervenue (n° 523 du 5 juin 2002), précisant que, dans l’un ou l’autre cas, qu’il s’agisse de la loi de 1967 ou de celle de 1971, il faut, pour qu’il n’y ait pas de discrimination, que les intérêts en cause prennent cours à la date à laquelle le droit aux indemnités est né et que c’est cette interprétation qu’il conviendra de suivre désormais. Les intérêts sont donc dus dès la date de consolidation.

En application de ces règles, la cour constate qu’une seule question est à régler, étant de définir la date à laquelle les indemnités sont « exigibles » ou, selon la Cour constitutionnelle, « à laquelle le droit aux indemnités est né ».

FEDRIS considérant que les intérêts ne peuvent commencer à courir avant même l’introduction de la demande administrative et son instruction, la cour rappelle que l’octroi d’intérêts moratoires repose sur la volonté de dédommager un retard de paiement imputable au débiteur et qu’en l’absence de demande du justiciable, qui constitue une démarche préalable au paiement de toute indemnité, il ne peut être fait grief à FEDRIS de ne pas les lui payer.

FEDRIS sollicite ici l’application conjointe de l’article 20bis de la loi et des articles 10, 12 et 20 de la Charte de l’assuré social. Ces trois dernières dispositions concernent le délai dans lequel l’institution de sécurité sociale doit statuer, le délai de paiement des prestations et la prise de cours du délai des intérêts. Cette dernière disposition mentionne que les intérêts sont dus à partir de l’expiration du délai visé à l’article 10 (délai d’examen du dossier) et, au plus tôt, à partir de la date de prise de cours de la prestation. Ceci sans préjudice de dispositions légales ou réglementaires plus favorables. Il en découle, pour FEDRIS, que les intérêts ne devraient prendre cours au plus tôt que le 1er août 2008.

Pour la cour, il faut écarter les dispositions de la Charte de l’assuré social, qui ont un caractère supplétif, et seul doit être pris en compte l’article 20bis de la loi du 3 juillet 1967, qui est plus favorable. En conséquence, même si les indemnités sont dues à partir du 1er novembre 1998, les intérêts peuvent au plus tôt commencer à courir le premier jour du troisième mois qui suit le 4 janvier 2008 (date de la demande). En l’occurrence, il s’agit du 1er avril 2008. Il y aura également lieu de tenir compte des échéances de paiement expressément prévues par l’arrêté royal du 21 janvier 1993.

Intérêt de la décision

Se pose dans cette espèce un important problème de prescription.

Le tribunal avait ordonné deux expertises et conclu à l’existence d’une maladie professionnelle hors liste. Il avait admis le paiement des indemnités légales à partir du 29 janvier 2005. L’arrêt retient une date bien antérieure, étant le 1er novembre 1998.

L’intérêt de l’arrêt sur le plan du droit est la confirmation, avec une importante doctrine, de la non-application de l’article 2277 du Code civil dans le secteur public. La règle de prescription figure à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 et la cour rappelle que, s’il n’existe pas de disposition correspondante dans le secteur privé, il y aurait une lacune dans les lois du 3 juin 1970 (et non dans celle du 3 juillet 1967) et que, par ailleurs, aucun élément concret n’a été développé par FEDRIS quant à l’existence d’une discrimination susceptible d’interroger la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel.

La cour du travail a notamment constaté que n’était pas développée par l’Agence la question des catégories de personnes susceptibles de faire l’objet de la discrimination invoquée.

La prise de cours des intérêts se voit également précisée, dans cette décision, puisque la cour y a rappelé le caractère supplétif des dispositions correspondantes de la Charte de l’assuré social et le délai plus favorable de l’article 20bis de la loi du 3 juillet 1967.


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