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C.P.A.S. : conséquences du non-respect par le demandeur de son obligation de collaboration

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 23 mai 2022, R.G. 2021/AL/560

Mis en ligne le mardi 29 novembre 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 23 mai 2022, R.G. 2021/AL/560

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 mai 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que l’obligation pour le demandeur d’aide sociale ou de revenu d’intégration sociale de collaborer à l’instruction du dossier n’est pas une condition d’octroi mais pourra être sanctionnée, dans la mesure où elle ne permet pas au C.P.A.S. d’examiner la période pour laquelle les éléments d’information font défaut.

Les faits

Une mère de deux enfants est aidée par le C.P.A.S. depuis septembre 2016. Elle a eu, pendant les années 2014 et 2015, une relation épisodique avec un tiers qui s’est domicilié chez elle pour des périodes déterminées, partageant son temps avec une autre personne avec qui il eut un enfant.

Fin 2017, il se redomicilie chez l’intéressée et, très peu de temps après, part en vacances avec son autre amie pendant quelques semaines. Il reste cependant domicilié chez la demanderesse. Il est en situation précaire et fera d’ailleurs faillite de son activité d’indépendant fin juin 2018. Entre-temps, il a été indemnisé dans le régime A.M.I.

La domiciliation perdurera jusque début juillet 2019. Une enquête du C.P.A.S. est effectuée et l’intéressée signe alors une reconnaissance de dette, correspondant à un indu, vu la cohabitation avec ce tiers, qui a perçu des revenus.

Une décision ultérieure est prise par le C.P.A.S. en vue de réclamer un montant global de l’ordre de 13.500 euros pour la période de décembre 2017 à juin 2018, ainsi que de février 2019 à juillet 2019 (mois incomplets).

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, l’intéressée acceptant la cohabitation pendant une partie de la première période mais non pour la seconde.

Le C.P.A.S. dépose à son tour une requête, et ce en vue d’obtenir un titre exécutoire pour le montant réclamé.

Par jugement du 26 octobre 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) confirme en son principe la demande du C.P.A.S. mais réduit quelque peu la période concernée.

Appel est interjeté.

Moyens des parties devant la cour

L’appelante persiste à admettre la cohabitation jusqu’au début janvier 2018, celle-ci étant interrompue par une dispute et par le déménagement du tiers, qui s’est réinstallé avec la mère de son enfant. Elle se serait remise en couple avec lui fin juin 2018, sans que celui-ci ne se réinstalle chez elle. Elle expose gérer seule ses dépenses ménagères et dépose des attestations confirmant ses dires. Elle fait grief au C.P.A.S. de ne pas démontrer la cohabitation sous le même toit et le règlement en commun des questions ménagères.

Le C.P.A.S. pour sa part fait valoir le défaut de collaboration de l’appelante, qui l’aurait empêché de vérifier si les conditions d’octroi étaient réunies ou non, ainsi que l’existence d’une cohabitation occulte et le fait que l’appelante bénéficiait de ressources suffisantes.

Il estime la cohabitation établie et l’indu justifié. Il interjette appel sur un point du jugement relatif à la période concernée.

La décision de la cour

La cour aborde en premier lieu la question du devoir de collaboration.

Elle rappelle que celle-ci n’est pas une obligation d’octroi, mais qu’en vertu de l’article 19, § 2, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, il y a obligation pour le demandeur de fournir tous renseignements et autorisations utiles à l’examen de sa demande. Dès lors que le demandeur ne collabore pas à l’enquête sociale, le C.P.A.S. (et les juridictions du travail après lui) est dans l’impossibilité de constater que les conditions d’octroi sont remplies. La cour pose cependant la question de savoir ce qu’il en est lorsque la juridiction est mise en possession de constater après coup que les conditions sont réunies. Elle renvoie aux trois arrêts rendus par la Cour de cassation sur la question.

Dans une première décision du 30 novembre 2009 (Cass., 30 novembre 2009, n° S.09.0019.N), la Cour suprême a jugé que le C.P.A.S. peut refuser d’octroyer le droit à l’intégration sociale pour la période durant (la cour souligne) laquelle il ne dispose pas des éléments nécessaires à l’examen de la demande en raison du défaut de coopération de l’intéressé. S’il a été admis après cet arrêt que le C.P.A.S. pouvait refuser le revenu d’intégration jusqu’au jour où les documents lui étaient parvenus, la Cour de cassation a corrigé cette interprétation, dans un arrêt du 22 juin 2015 (Cass., 22 juin 2015, n° S.14.0092.F), où elle a précisé que le défaut pour le demandeur de fournir les renseignements utiles à l’examen de sa demande peut empêcher de vérifier que les conditions d’octroi sont réunies et qu’en pareil cas, le C.P.A.S. peut refuser le droit à l’intégration sociale pour la période pour laquelle (la cour souligne) il ne dispose pas des éléments nécessaires à l’examen.

Un dernier arrêt est intervenu le 5 septembre 2016 (Cass., 5 septembre 2016, n° S.15.0104.F), qui a rappelé que le défaut en question peut empêcher de vérifier que les conditions du droit sont réunies et, en pareil cas, le C.P.A.S. peut refuser celui-ci pour la période pour laquelle il ne dispose pas des éléments nécessaires à l’examen de la demande.

La collaboration n’est dès lors pas une condition d’octroi pouvant avoir pour conséquence la privation du droit. La cour souligne qu’il faut comprendre la référence « à la période pour laquelle le C.P.A.S. ne dispose pas des éléments nécessaires à l’examen de la demande » comme la période passée non documentée à suffisance par les éléments reçus tardivement, quel que soit le moment où ceux-ci ont été reçus. L’aide doit être octroyée pour toute la période passée si les conditions d’octroi sont démontrées, même tardivement, pour celle-ci.

La cour renvoie alors à la doctrine de G. PIJCKE et de M. DE RUE (G. PIJCKE et M. DE RUE, « La procédure administrative », Aide sociale. Intégration sociale – Le droit en pratique, 2e éd., Bruxelles, La Charte – à paraître), qui confirme ce principe : l’idée qu’un défaut de collaboration n’est pas sanctionné d’office par un refus du droit à l’intégration sociale est du reste conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui exclut du débat sur le droit à l’intégration ou à l’aide sociale la question du comportement du bénéficiaire. Elle s’accorde également avec la jurisprudence selon laquelle le droit au paiement de l’aide sociale ou du revenu d’intégration sociale ne dépend pas de la date à laquelle le bénéficiaire a produit la preuve de la réunion des conditions d’octroi.

La cour ne conclut dès lors pas à une absence de collaboration mais précise qu’il faut vérifier les conséquences de l’attitude de la demanderesse sur les règles relatives à la charge de la preuve. Elle reprend les périodes pour lesquelles elle est documentée et conclut qu’elle se prononcera sur celles-ci sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur l’attitude de la demanderesse à l’égard du C.P.A.S.

Pour ce qui est des montants, elle rappelle en premier lieu que la demanderesse vivait en tout état de cause à l’époque avec ses deux enfants, dont l’un mineur, et qu’elle peut dès lors bénéficier du revenu d’intégration au taux pour une personne ayant charge de famille. La discussion ne tourne dès lors pas autour du taux du revenu d’intégration mais du montant de celui-ci, au cas où l’on devrait retenir qu’elle a vécu « en couple ».

Sur le plan de la preuve, en cas de décision de révision, la cour rappelle que l’autorité doit démontrer la justesse de son revirement, situation qui est rencontrée en l’espèce, dans la mesure où il y a eu domiciliation sous le même toit avec un tiers avec qui la demanderesse a reconnu une relation affective de plus de dix ans. Il s’agit, pour la cour, d’un juste motif de revenir sur une décision passée.

La cour relève que, dans un ménage de fait, la vie sous le même toit qui caractérise une vie de couple suppose une certaine pérennité et qu’elle ne peut reposer sur une présence simultanée fortuite et ponctuelle ou relevant du « simple dépannage temporaire ». Si la domiciliation est un indice fort de la pérennité, elle retient les circonstances très particulières du dossier, pointant que, pour le travailleur social chargé du cas de la demanderesse, celle-ci est une personne naïve et facilement manipulable. La demanderesse n’a, selon les termes de l’arrêt, été considérée que comme une alternative pour les périodes où la mère de son fils mettait le tiers à la porte.

Reprenant encore d’autres éléments ponctuels, la cour conclut à l’absence de vie sous le même toit et, partant, de ménage de fait. Ceci vaut pour la période qui n’a pas été reconnue par la demanderesse.

Reste un dernier point, étant que le C.P.A.S. postule le paiement d’intérêts sur les sommes dont l’intéressée a admis qu’elle devait être remboursée. Pour la cour, il n’y a en l’espèce ni fraude, ni dol, ni manœuvre frauduleuse démontrés : comment reprocher ces comportements pour ne pas avoir déclaré une mise en ménage qui n’existe pas ?

Intérêt de la décision

La cour du travail rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne l’obligation de collaboration du demandeur d’aide sociale ou de revenu d’intégration.

Cette obligation n’est pas une condition d’octroi et est sanctionnée différemment. Il ne s’agit pas de refuser le revenu d’intégration pour ce motif, la Cour de cassation ayant au fil de ses arrêts, précisé comment interpréter la disposition légale : le défaut de collaborer peut empêcher le C.P.A.S. (de même que le tribunal) de vérifier que les conditions d’octroi sont réunies. La seule conséquence qui pourra être retenue est le refus du droit pour la période pour laquelle le C.P.A.S. ne dispose pas des éléments nécessaires à l’examen de la demande.

La cour a rappelé la doctrine la plus autorisée sur la question, qui a encore précisé à cet égard que le droit au paiement de l’aide sociale ou du revenu d’intégration sociale ne dépend pas de la date à laquelle le bénéficiaire a produit la preuve de la réunion des conditions d’octroi.

Un autre point peut également être souligné, étant relatif au ménage de fait. La cour y a – outre fustigé le comportement du tiers « parasite » – rappelé que le ménage de fait suppose une certaine pérennité et qu’il peut s’avérer – comme en l’espèce – que la domiciliation est une apparence de pérennité, mais que celle-ci est à relativiser par les faits.


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