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La prescription quinquennale pour arriérés de sommes peut-elle être appliquée à une action introduite contre un Etat étranger ?

Commentaire de Cass., 27 juin 2022, n° S.21.0003.F

Mis en ligne le jeudi 1er décembre 2022


Cour de cassation, 27 juin 2022, n° S.21.0003.F

Terra Laboris

Par arrêt du 27 juin 2022, la Cour de cassation confirme la jurisprudence qui admet l’application de l’article 26 de la loi du 17 avril 1978 contenant le Titre préliminaire du Code de procédure pénale comme règle de prescription à une action contre un Etat étranger : celle-ci implique que les éléments constitutifs de l’infraction doivent être tenus pour établis, mais l’Etat ne pourra faire l’objet de poursuites répressives.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 24 juin 2020 (R.G. 2016/AB/957 – précédemment commenté).

Les décisions de fond

La Cour du travail de Bruxelles a rendu deux arrêts en cette affaire.

L’employée d’ambassade en cause avait été occupée pendant de longues années et sa rémunération n’avait fait l’objet d’aucune retenue sociale ni fiscale. Une convention lui fut soumise en juin 2012, prévoyant le paiement d’un montant forfaitaire pour solde de compte complet et définitif destinée à compenser l’absence d’affiliation au régime de la sécurité sociale des travailleurs salariés, un nouveau contrat de travail étant conclu concomitamment.

Une procédure fut introduite, après que le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale fut intervenu infructueusement.

Le tribunal avait condamné l’Etat étranger à régulariser la situation de l’intéressée et à verser les cotisations de sécurité sociale.

Les arrêts de la cour

L’arrêt du 6 novembre 2019

La cour avait, dans ce premier arrêt, examiné quatre questions (cotisations de sécurité sociale / dommage subi, doubles pécules de vacances, demande de l’Etat étranger de restituer le montant payé en 2012 et demande d’arriérés de rémunération de la part de l’employée dans le cadre du deuxième contrat de travail).

Les développements faits par la cour dans cet arrêt sont très circonstanciés. Sur la première question, la cour conclut que l’obligation pour l’employeur d’assujettir ses travailleurs salariés à la sécurité sociale et de verser les cotisations est un pilier du système de sécurité sociale belge. Une telle obligation concerne l’ordre public et la convention de transaction est nulle et de nullité absolue.

Pour ce qui est des pécules de vacances, la cour considère qu’il faut vérifier s’il y a infraction instantanée ou délit collectif et sursoit à statuer sur ce point.

La troisième question porte sur la restitution du montant perçu par la travailleuse et la cour conclut à l’obligation pour celle-ci de ce faire, vu la nullité de la convention.

Pour la quatrième question (arriérés de rémunération), la demande est considérée fondée et un montant provisionnel est accordé, la cour réservant cependant à statuer sur l’astreinte demandée.

L’arrêt du 24 juin 2020

Dans cet arrêt, la cour décide que la demande de paiement des pécules de vacances, fut-elle fondée sur des infractions pénales, ne tombe pas sous le coup d’une quelconque immunité. L’Etat étranger invoque son immunité pénale en vertu du droit international public, mais ne précise pas le fondement de celle-ci, la cour soulignant que l’immunité reconnue par les traités internationaux et reflétant le droit international coutumier est une immunité de juridiction pénale qui a été traduite à l’article 1erbis du Titre préliminaire du Code de procédure pénale. Elle empêche des poursuites pénales ainsi que des actes de contrainte, mais ne fait pas obstacle à l’application de l’article 26 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale. Il s’agit d’une simple loi de procédure déterminant les règles de prescription en cas d’action civile résultant d’une infraction. La cour retient la même unité d’intention, qui est de ne pas avoir voulu respecter le droit social.

Le pourvoi en cassation

Le premier moyen porte sur l’immunité pénale et l’inviolabilité pénale sur le territoire belge des chefs d’Etat, chefs de gouvernement et ministres des affaires étrangères étrangers pendant la période où ils exercent leurs fonctions et, par voie de conséquence, de l’Etat étranger qu’ils représentent. L’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité pénale s’opposent, pour l’Etat étranger demandeur en cassation, à toute poursuite pénale contre un Etat étranger et, par voie de conséquence, à toute action civile contre cet Etat fondée sur le même comportement qui lui est prétendument imputable devant les juridictions civiles ou pénales d’un autre Etat. Une personne ne peut dès lors se prévaloir devant le juge civil de l’article 26 de la loi du 17 avril 1978 contenant le Titre préliminaire du Code de procédure pénale contre un Etat étranger. Pour ce, le demandeur devrait prouver l’existence d’une infraction pouvant être imputée pénalement à la partie défenderesse à l’action civile. Or, l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité pénale empêchent qu’un juge pénal ou civil se prononce sur la preuve des faits ou la culpabilité de l’auteur. Les infractions qui en font l’objet ne peuvent être déclarées établies dans le chef de la personne pénalement immunisée.

Le second moyen est fondé sur l’article 19 de la Convention des Nations-Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens signée à New-York le 2 décembre 2004, la cour du travail ayant condamné l’Etat étranger à exécuter des obligations sous peine d’astreinte. L’astreinte étant une mesure contraignante, appelée à produire ses effets après la prononciation de la décision judiciaire, constitue une mesure de contrainte au sens de cette disposition. Le pourvoi fait grief à l’arrêt de la cour du travail d’avoir considéré ne pas devoir examiner le moyen que l’Etat étranger avait avancé, déduit des articles 18 et 19 de la Convention des Nations-Unies en cause. Il considère également que l’astreinte est une peine au sens de l’article 24, § 1er, de la même Convention, peine imposée en cours de procédure pour le cas où le débiteur ne s’exécuterait pas volontairement. Infliger les astreintes demandées est une violation du principe fondamental de droit international de l’égalité souveraine des Etats consacrée par la Charte des Nations-Unies de San Francisco du 26 juin 1945.

La décision de la Cour

La Cour rend un très bref arrêt.

Sur l’article 26 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, elle conclut que le moyen manque en droit. En effet, la règle de droit coutumier international de l’immunité des Etats interdit aux juridictions d’un Etat d’exercer leur pouvoir de juger sur un autre qui n’y a pas consenti. Cette règle reçoit exception lorsque l’action dirigée contre l’Etat étranger est relative à un acte de gestion et non à un acte accompli dans l’exercice de la puissance publique.

Dans le cadre d’un acte de gestion, si l’action se fonde sur des faits révélant l’existence d’une infraction prévue par la législation de l’Etat dont les juridictions sont saisies, l’immunité de juridiction pénale des Etats étrangers s’oppose certes à ce que celui-ci fasse l’objet de poursuites répressives, mais ceci ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action civile fondée sur cette infraction ni à l’application d’une norme (article 26 ci-dessus) qui soumet pareille action à un régime spécifique de prescription, impliquant que les éléments constitutifs de l’infraction soient tenus pour établis.

Pour ce qui est de l’astreinte, la Cour renvoie à l’article 19 de la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004, qui interdit les mesures de contrainte visant à forcer un Etat à exécuter une décision judiciaire rendue par un tribunal d’un autre Etat. Il y a violation de cette règle coutumière dès lors que les condamnations prononcées contre l’Etat étranger ont été assorties d’astreinte. Le moyen est fondé.

L’arrêt est cassé et la cause est renvoyée devant la Cour du travail de Liège.

Intérêt de la décision

La cour du travail avait à bon droit considéré que l’immunité de juridiction pénale de l’Etat étranger traduite à l’article 1erbis du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, si elle empêche des poursuites pénales ainsi que des actes de contrainte, ne fait aucunement obstacle à l’application de l’article 26 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, qui est une simple loi de procédure.

Cette disposition peut dès lors être invoquée aux fins de fonder une règle de prescription dans le cadre de l’action en demande de réparation du préjudice subi, comme en l’espèce.

La confirmation par la Cour de cassation de la justesse de cette conclusion est importante. Celle-ci a précisé que cette disposition soumet l’action civile fondée sur une infraction à un régime spécifique de prescription, qui implique que les éléments constitutifs de l’infraction soient tenus pour établis dans le chef de l’Etat étranger. Celui-ci ne peut cependant, vu l’immunité de juridiction pénale dont il jouit, faire l’objet de poursuites répressives.

L’on notera cependant que la Cour de cassation met un coup d’arrêt à la jurisprudence, qui avait admis d’assortir des condamnations d’astreinte, celle-ci étant interdite par l’article 19 de la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004. L’on ne peut dès lors forcer un Etat à exécuter une décision judiciaire rendue par une juridiction d’un autre Etat.

Dans la pratique, la condamnation à une astreinte s’est très souvent révélée purement théorique.


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