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Allocations de chômage et cumul avec une pension de survie incomplète

Commentaire de Cass., 27 juin 2022, n° S.21.0066.F

Mis en ligne le jeudi 1er décembre 2022


Cour de cassation, 27 juin 2022, n° S.21.0066.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 juin 2022, la Cour de cassation se prononce sur la portée de l’article 65, § 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, s’agissant du cumul avec une pension de survie de l’O.T.A.N.

Faits de la cause

Le litige concerne le cumul des allocations de chômage et de la pension de survie que Mme J.G. perçoit de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. L’ONEm a appliqué la règle prévue par l’article 65, §§ 2 et 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage. Le § 2 précise que le chômeur qui bénéficie d’une pension incomplète ou d’une pension de survie peut, aux conditions édictées par cet article, bénéficier des allocations dans les limites de l’article 130 de cet arrêté, tandis que le § 3 énonce ce qu’il y a lieu considérer comme pension, à savoir les pensions de vieillesse, de retraite, d’ancienneté ou de survie et tous autres avantages en tenant lieu, accordés (1°) par ou en vertu d’une loi belge ou étrangère et (2°) par un organisme de sécurité sociale, un pouvoir public, un établissement public ou d’utilité publique, belges ou étrangers, ce que la chômeuse a contesté. Le § 3 de cet article 65 est au centre du litige.

Selon l’ONEm, la pension a été accordée à la suite du décès de l’époux de la demanderesse et s’analyse comme une pension de survie et l’O.T.A.N. est un établissement public ou d’utilité publique au sens de l’article 65, ce texte ayant une visée large et n’instituant pas de distinction entre les différents types d’établissements publics. La règle de limite de cumul prévue à l’article 130, § 2, trouve donc à s’appliquer.

Pour Mme J.G., la prestation versée par l’O.T.A.N. ne lui a pas été allouée en vertu d’une loi, mais sur la base du Règlement du personnel civil de cette organisation, qui institue un régime privé complémentaire aux régimes de pensions étatiques, comparable à une assurance de groupe privée ou à une pension extralégale. En outre, l’O.T.A.N., qui est une organisation internationale de droit public, dotée de la personnalité juridique, ne relève pas du champ d’application de l’article 65, qui vise des acteurs étatiques. Il n’y a donc pas lieu d’appliquer la règle de limite de cumul de la pension de survie et des allocations de chômage.

Le tribunal du travail a donné raison à la chômeuse.

L’arrêt attaqué

Sur appel de l’ONEm, l’arrêt soumis à la censure de la Cour de cassation, rendu le 1er juin 2021 par la Cour du travail de Bruxelles, a réformé cette décision.

La cour relève que :

  • « L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est une organisation de droit international public » ;
  • « Le statut de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, des représentants nationaux de l’organisation et de son personnel international est régi par les dispositions de la Convention d’Ottawa, signée le 20 septembre 1951 et approuvée par la loi du 1er février 1955 ; (…) L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord s’est dotée, sur cette base, d’un règlement intitulé Règlement du personnel civil. Ce règlement et les amendements qui y ont été apportés sont approuvés, par consensus, au niveau du Conseil de l’organisation par les représentants permanents de tous les États membres de celle-ci ; (…) Le Règlement du personnel civil s’applique, suivant le point A (i) de son préambule, à [l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord] dans son ensemble et régit l’administration du personnel de chacun des organismes de cette organisation appartenant aux catégories suivantes : personnel civil international, consultants, personnel (civil) temporaire ; (Ce) Règlement (…) détermine, sous les chapitres VII, X, XI et XV de la partie 1, les règles applicables aux membres du personnel en matière d’allocations familiales, de sécurité sociale et d’assurances, de caisse de prévoyance et de régimes de pensions ; (…) En matière de sécurité sociale, l’article 48 du Règlement du personnel civil définit la méthode d’assurance, en l’occurrence, soit l’affiliation au système de sécurité sociale du pays de séjour, soit un système d’assurance de groupe, et laisse le choix au secrétaire général de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord de fixer la méthode choisie, sachant qu’elle est ensuite obligatoirement appliquée pour tous les agents concernés (ceux du pays de séjour compris). Le choix effectivement fait est celui d’une assurance de groupe ; (…) En matière de pensions, tous les agents relèvent soit du ‘régime de pensions coordonné’ visé aux articles A.63 à A.67 du Règlement du personnel civil, qui fait l’objet d’un règlement spécifique figurant en annexe IV, soit du ‘régime de pensions à cotisations définies’ visé aux articles B.63 à B.68 du règlement précité ; (…) Le Règlement du personnel civil règle le financement des prestations qu’il prévoit, notamment en précisant qu’à côté des contributions versées par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, les agents sont redevables d’une cotisation à l’un des trois régimes de pensions et qu’ils contribuent au système de sécurité sociale et d’assurance défini au chapitre X (…) Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord a fait le choix de pourvoir elle-même à un système de sécurité sociale pour son personnel civil. Il s’agit en effet du seul régime disponible et tant l’affiliation à ce régime que le paiement de cotisations sont obligatoires. Les membres du personnel civil de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ne doivent dès lors pas être assujettis à un système de sécurité sociale national et n’ont pas d’obligation de cotiser aux systèmes de sécurité sociale nationaux. »

La cour du travail conclut à ce stade que : « La thèse d’un régime privé complémentaire aux régimes de pensions étatiques défendue par [Mme J.G.] ne peut ainsi être suivie ».

Elle examine ensuite « les termes de l’article 65, § 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui fondent une acception large de la notion de pension à prendre en compte et visent tous les avantages accordés à titre de pension, quelle que soit l’origine, belge ou autre, de ceux-ci, et tant les pensions nationales qu’étrangères. »

Enfin, elle considère « que la généralité des termes dudit article 65, § 3, commande d’assimiler une pension accordée par une institution supranationale, telle l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, à une pension accordée par un organisme de sécurité sociale ou un établissement public ou d’utilité publique ‘étranger’ ». Il s’impose donc d’appliquer la règle anti-cumul.

La requête en cassation

Les dispositions dont Mme J.G. invoque la violation sont notamment : les articles 65, spécialement §§ 2, alinéa 1er, et 3, et 130, spécialement §§ 1er, 4°, et 4, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage ; les articles 1er et 2 du Traité de l’Atlantique Nord, signé à Washington le 4 avril 1949 et approuvé par la loi du 2 juin 1949 ; l’article IV de la Convention sur le statut de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, des représentants nationaux et du personnel international, signée à Ottawa le 20 septembre 1951 et approuvée par la loi du 1er février 1955 et l’article unique de la loi du 1er février 1955 portant approbation de la Convention sur le statut de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, des représentants nationaux et du personnel international, signée à Ottawa le 20 septembre 1951.

La demanderesse reproduit l’argumentation développée devant les juridictions de fond, que la prestation versée par l’O.T.A.N. l’est, non en vertu d’une loi, mais sur la base du Règlement du personnel civil de cette organisation, qui institue un régime privé complémentaire aux régimes de pensions étatiques, comparable à une assurance de groupe privée ou à une pension extralégale, et que cette prestation est accordée par l’O.T.A.N., qui est une organisation internationale de droit public, dotée de la personnalité juridique, ne relevant pas du champ d’application de l’article 65, qui vise des acteurs étatiques.

La demanderesse soutient également que « l’arrêt donne de l’article 130 de l’arrêté royal du
25 novembre 1991 une interprétation (large) qu’il n’a pas et ne peut pas avoir, vu ses termes et son caractère d’exception, et l’interprétation restrictive qui en est la conséquence ».

L’arrêt commenté

La Cour rejette le pourvoi. Pour l’application de l’article 65, §§ 1er et 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, sont considérées comme pensions au sens de l’article 65, § 3, « les pensions de vieillesse, de retraite, d’ancienneté ou de survie et tous autres avantages en tenant lieu accordés 1° par ou en vertu d’une loi belge ou étrangère et 2° par un organisme de sécurité sociale, un pouvoir public, un établissement public ou d’utilité publique, belges ou étrangers.

Cette définition inclut dans le champ d’application de la règle anti-cumul qu’elle concerne tout avantage tenant lieu de pension accordé au chômeur par une institution publique, fût-elle internationale, en vertu d’une norme générale et impersonnelle. »

Intérêt de la décision

A notre connaissance, aucun arrêt de la Cour de cassation n’avait statué sur la portée de cet article 65, § 3.

Un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 5 décembre 2019 (R.G. 2018/AB/778, publié sur www.terralaboris.be) avait déjà décidé que : « Pour l’application de l’article 65 de l’arrêté royal portant réglementation du chômage sont à considérer comme pensions les pensions de vieillesse, de retraite, d’ancienneté ou de survie et tous autres avantages en tenant lieu, accordés, par ou en vertu d’une loi belge ou étrangère, à l’intervention d’un organisme de sécurité sociale, d’un pouvoir public ou d’un établissement public ou d’utilité publique, belges ou étrangers. La généralité de ces termes commande d’y assimiler les avantages alloués par les institutions supranationales, comme, notamment, la pension versée au conjoint survivant d’un fonctionnaire européen. »

C’est cette interprétation large que l’arrêt commenté nous paraît confirmer.


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