Terralaboris asbl

Licenciement pour motif grave – imprécision des motifs graves contenus dans la lettre de licenciement

Commentaire de Trib. trav. Mons, sect. La Louvière, 23 octobre 2006, R.G. 8.754/03/M

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Mons, sect. La Louvière, 23 octobre 2006, R.G. 8.754/03/M

TERRA LABORIS asbl – Pascal Hubain

En cas de licenciement pour motif grave, il convient de ne pas confondre l’obligation de précision, dans l’énonciation des motifs avec la possibilité de se réserver la preuve, par témoins, des faits invoqués. En effet, il ne peut être suppléé par des témoignages à l’imprécision de la notification des motifs graves.

Les faits

Madame C. travaille comme infirmière dans un home pour personnes âgées.

Pendant son service, le samedi 12 janvier 2002, un incident survient. Madame C. indique de manière très laconique dans le cahier des rapports qu’une patiente a eu la jambe gauche accrochée le matin, qu’elle s’est plainte d’une douleur au genou mais qu’il n’y eut plus de plainte par la suite.

Or, il s’avère que les faits sont beaucoup plus graves puisque, le lundi, lors de la toilette de la patiente, par une autre infirmière, il a été constaté que le genou de la patiente avait doublé de volume et qu’elle ne cessait de crier de douleur.

De plus, aucune suite n’a été indiquée dans le cahier pour la journée du dimanche alors que Madame C. a terminé son service dans l’après-midi.

Le médecin traitant de la patiente a immédiatement ordonné son hospitalisation et une fracture a été diagnostiquée et opérée. L’orthopédiste de l’hôpital considère que Madame C. aurait du constater, le dimanche matin, la douleur et le gonflement du genou.

Madame C. est licenciée pour motif grave par une lettre portant la date du 16 janvier 2002 et qui mentionne comme motifs :

  • pour le samedi 12 janvier 2002, une négligence grave pour ne pas avoir mis les repose-pieds à la chaise roulante de la patiente et avoir dissimulé une erreur en ne retranscrivant pas dans le rapport les faits réels
  • pour le dimanche 13 janvier 2002, non assistance à personne en danger pour ne pas avoir demandé un avis médical. Suivant le rapport du médecin du lundi 14 janvier, il était impossible de ne pas constater la réalité des faits

Par son syndicat, Madame C. a contesté le motif du licenciement et a demandé le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Les positions des parties

Madame C. soutient que :

  • l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 implique une énonciation précise des motifs graves mais en l’espèce c’est une lettre-type qui a été utilisée ;
  • il n’y a pas eu de faute grave rendant immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle car :
    • la patiente ne s’est pas fracturé la jambe le samedi mais a buté contre le plancher en bois,
    • la patiente a été examinée par un kinésithérapeute, qui n’a pas constaté de problèmes,
    • elle a signalé l’incident verbalement au kinésithérapeute et à l’infirmière et a rédigé un rapport écrit. Aucune plainte n’était à signaler le dimanche matin,
    • la jambe de la patiente peut avoir subi une fracture le dimanche après-midi après la fin de son service,
  • la sanction du licenciement pour motif grave est disproportionnée par rapport à son passé professionnel sans tache.

Pour sa part, l’employeur fait valoir que :

  • l’énoncé des griefs est précis, a fait l’objet d’une réponse du syndicat et n’a vu sa précision contestée que 3 ans et 8 mois après le licenciement ;
  • le secrétariat social a encore répondu à la lettre du syndicat de manière très claire en ce qui concerne la faute et est resté sans réponse avant l’introduction du litige en justice ;
  • les témoignages rassemblés indiquent que Madame C. a commis deux fautes graves, à savoir que :
    • elle est à l’origine de l’accident car le repose-pieds n’a pas été utilisé volontairement et il n’est pas crédible que le pied de la patiente ait simplement « buté » contre le plancher en bois, vu la gravité de la fracture,
    • elle n’a rien dit au kinésithérapeute ou à l’autre infirmière et cette dernière n’a découvert l’incident que le lundi en lisant le cahier de rapport. Le soir, le médecin lui a dit que Madame C. aurait du se rendre compte de la gravité de la blessure le dimanche matin et aurait du appeler le médecin présent ce jour-là.

La décision du tribunal

Après avoir rappelé de manière très complète l’ensemble des conditions posées par l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 (définition du motif grave, connaissance des faits, délais et notification, précision et charge de la preuve), le tribunal s’attarde plus particulièrement sur la question de la précision des fautes invoquées.

En termes de conclusions et de plaidoirie, l’employeur a exposé que les motifs graves sont :

  • le fait d’avoir causé un accident le samedi 12 janvier 2002,
  • le fait que Madame C. n’ait rien dit au kinésithérapeute ou à l’infirmière (le samedi 12 janvier 2002) ou aux médecins présents ( le dimanche 13 janvier 2002).

Le tribunal relève cependant qu’aucun de ces motifs n’apparaît tel quel dans la lettre de licenciement, qui précise trois autres faits.

Par cette seule constatation, le tribunal considère la lettre de licenciement comme étant imprécise puisque le point de départ de la vérification ne se trouve pas.

Cependant, le tribunal considère qu’il est tenu d’examiner les autres motifs invoqués dans la lettre de licenciement et constate que ceux-ci manquent également de précision.

Ainsi, la référence à une négligence grave pour ne pas avoir mis les repose-pieds à la chaise roulante de la patiente ne permet pas de comprendre en quoi ce fait constitue précisément une négligence grave.

De même, le tribunal juge vague et imprécise la référence à une dissimulation d’erreurs ainsi que le fait de ne pas avoir retranscrit dans le rapport de nursing les faits réels : de quels erreurs s’agit-il ? que recouvrent les termes « faits réels » ?

Il en va de même pour la référence à la « non assistance à personne en danger », à savoir de ne pas avoir demandé un avis médical alors qu’en même temps il est prétendu par l’employeur qu’il était impossible de ne pas constater la réalité des faits. Le tribunal estime au demeurant que les conditions de l’article 422bis du Code pénal ne sont pas réunies : quel péril grave ? quel danger menaçant la patiente ? qui est la personne en danger ?

Le tribunal aboutit à la conclusion que les faits plaidés ne sont pas ceux invoqués dans la lettre de congé, ces derniers n’étant pas énoncés de manière suffisamment précise.

Bien plus, le tribunal rappelle que, sans doute, la connaissance certaine du fait, prévue à l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 ne doit pas être confondue avec la possibilité de prouver la réalité de celui-ci, preuve qui peut intervenir après le licenciement (par témoignages notamment) mais ici l’employeur confond l’obligation de précision dans l’énonciation des motifs avec la possibilité de se réserver la preuve par témoins des faits - alors qu’il ne peut pas être suppléé par des témoignages à l’imprécision de la notification des motifs graves.

La demande d’indemnité compensatoire de préavis est dès lors jugée fondée.

Intérêt de la décision

La décision commentée rappelle fort opportunément la nécessité de bien circonscrire les motifs du licenciement. Invoquer en termes de conclusions ou de plaidoirie des motifs totalement nouveaux par rapport à ceux énoncés dans la lettre de licenciement permet de considérer celle-ci comme étant imprécise.

De plus, le défaut de précision des motifs peut être lourd de conséquence car l’auteur du congé ne pourra plus ensuite suppléer par témoins, le cas échéant dans le cadre d’enquêtes, l’imprécision des motifs, qui ne se confond pas avec la réalité des faits.


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