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Chômage temporaire « Corona » et activité accessoire

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 20 juin 2022, R.G. 21/1.773/A

Mis en ligne le vendredi 9 décembre 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 20 juin 2022, R.G. 21/1.773/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 20 juin 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège), statuant à propos de l’article 1er de l’arrêté royal du 22 juin 2020, conclut qu’il faut interpréter cette disposition comme visant la période de trois mois qui précède le premier jour d’une période d’indemnisation dans le cadre du chômage temporaire « Corona », peu importe qu’il s’agisse de la première période ou non.

Les faits

Un travailleur est mis en chômage temporaire en mars 2020. Son employeur précise qu’il s’agit d’une force majeure liée au COVID-19, à partir du 17 du mois. L’intéressé perçoit des allocations de chômage pour les mois de mars et avril 2020. Il reprend ensuite le travail.

Il est ultérieurement de nouveau déclaré en chômage temporaire « Corona », et ce du 28 octobre 2020 au 8 février 2021. Il apparaît, d’une consultation de la Banque-carrefour de la sécurité sociale, qu’il a entamé une activité d’indépendant complémentaire le 1er août 2020. Cette activité n’a pas été déclarée à l’ONEm.

Une enquête intervient dès lors et l’intéressé répond par écrit à une demande d’explications, exposant qu’il est occupé dans l’entreprise depuis le mois de mai 2019 et que la crise sanitaire a « surpris tout le monde », ayant dû, en ce qui le concerne, être mis en chômage temporaire « Corona » à partir du mois de mars 2020. Il expose qu’ayant repris le travail, il a entamé une activité accessoire en août 2020 et que celle-ci est compatible avec un travail. Ayant de nouveau bénéficié du chômage temporaire « Corona » en octobre, il n’a dû faire aucune démarche, les formalités administratives s’étant déroulées entre l’employeur et le syndicat. Il précise n’avoir pas eu de carte de pointage « où noter quoi que ce soit ».

L’ONEm prend alors une décision d’exclusion du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er août 2020, avec récupération des allocations.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège.

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur fait grief à la décision administrative de contenir une motivation erronée. Celle-ci est en effet fondée sur les articles 44, 45 et 48 de l’arrêté royal organique, sans mentionner l’arrêté royal du 22 juin 2020, concernant le chômage temporaire « Corona ». Il considère que l’article 1er de cet arrêté royal doit être interprété en ce sens qu’il suffit d’avoir exercé l’activité accessoire un jour dans les trois mois précédant le premier jour d’une période d’indemnisation (chômage temporaire « Corona ») et non dans les trois mois précédant le premier jour de la première période d’indemnisation (chômage temporaire « Corona »), sous peine de créer une discrimination entre travailleurs.

Pour l’ONEm, par contre, l’article 1er de cet arrêté royal vise un jour d’exercice de l’activité dans les trois mois précédant le premier jour d’indemnisation de la première période de chômage. Il s’agit d’éviter que les travailleurs qui étaient en train de remplir la condition de trois mois prévue à l’article 48 de l’arrêté royal organique (ayant entamé une activité accessoire pendant leur travail salarié) ne soient empêchés de remplir cette condition en raison des périodes de confinement alors qu’ils ne pouvaient prévoir la situation sanitaire. Il a été souhaité de ne pas les pénaliser en les obligeant à mettre un terme à l’activité accessoire alors qu’ils souhaitaient pouvoir se conformer à la réglementation. Il y a dès lors une « faveur » prévue à l’article 1er de l’arrêté royal et celle-ci ne doit pas s’appliquer au travailleur qui a d’abord été mis en chômage temporaire « Corona », qui a ensuite entamé une activité accessoire et a ultérieurement été remis en chômage temporaire « Corona ».

Ce travailleur n’est pas empêché de remplir la condition des trois mois à cause de sa mise en chômage temporaire et se trouve dès lors dans la même situation qu’un chômeur qui, dans la réglementation ordinaire, décide d’entreprendre une activité accessoire après avoir été mis au chômage ou après avoir été licencié moyennant paiement d’une indemnité.

Il estime que la disposition n’a pas de caractère discriminatoire, tous les travailleurs visés étant dans la même situation.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend l’article 27, 2°, a), de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui dispose que le travailleur peut bénéficier d’allocations de chômage temporaire lorsque son contrat de travail est suspendu temporairement (totalement ou partiellement). Parmi les conditions d’octroi reprises aux articles 44 et 45, figure celle de la privation de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

Une activité accessoire peut cependant être entamée aux conditions de l’article 48 de l’arrêté royal, condition que le tribunal reprend. Parmi celles-ci figure l’exigence que l’activité ait été exercée au moins pendant trois mois lorsque l’intéressé était occupé comme travailleur salarié avant la demande d’allocations. Les allocations de chômage peuvent être perçues, en ce compris pour les journées d’activité, une limitation des revenus étant soumise aux conditions de l’article 130 de l’arrêté royal.

Le tribunal rappelle que la réglementation a été assouplie, vu la crise sanitaire du COVID-19, un arrêté royal du 22 juin 2020 contenant une dérogation à l’article 44. Il s’agit, dans le texte initial, de permettre au chômeur temporaire, pour la période du 1er février au 30 juin 2020, sans qu’il ne doive satisfaire aux conditions de l’article 48, de pouvoir exercer une activité accessoire avec maintien du droit aux allocations, pour autant qu’il ait déjà exercé cette activité accessoire dans le courant des trois mois, calculés de date à date, qui précèdent le premier jour où il a été mis en chômage temporaire suite à la crise sanitaire du COVID-19. La période a été ultérieurement étendue pour couvrir celle du 1er février au 31 août 2020 et celle du 1er octobre 2020 au 30 juin 2021.

Le tribunal examine la motivation de la décision administrative et annule celle-ci, vu l’absence de référence à l’article 1er de l’arrêté royal du 22 juin 2020. En vertu de son pouvoir de pleine juridiction, il examine les droits de l’intéressé aux allocations, étant qu’il entreprend d’interpréter l’article 1er de l’arrêté royal.

Il suit la position de l’assuré social, appuyée par l’auditorat du travail, à propos de la détermination de la période de trois mois. Il s’agit de celle qui précède le premier jour d’une période d’indemnisation dans le cadre du chômage temporaire « Corona », peu importe qu’il s’agisse ou non de la première période d’indemnisation dans le cadre de celui-ci, pour autant que ces périodes soient entrecoupées par des périodes de travail. En effet, si, après une première période d’indemnisation, le travailleur reprend le travail et entame (au moins un jour) une activité complémentaire pendant cette période de travail, il est, en cas de nouvelle période de confinement, « coupé dans son élan » de la même façon que le travailleur qui avait entamé une telle activité avant le premier confinement.

Le tribunal rejette la thèse de l’ONEm, considérant qu’entre deux périodes de chômage temporaire « Corona », le travailleur qui reprend le travail et entame une activité accessoire en plus de son travail n’est manifestement pas au chômage et qu’il ne peut savoir qu’une nouvelle période de confinement va s’annoncer.

Il conclut que l’article 1er serait discriminatoire s’il devait être interprété comme ne s’appliquant qu’au travailleur qui a exercé son activité accessoire au moins un jour dans les trois mois précédant la première période de chômage temporaire « Corona ». Cette disposition doit trouver à s’appliquer, de la même manière, au travailleur qui a entamé une activité accessoire au moins pendant un jour précédant, selon le jugement, la deuxième, la troisième ou la quatrième période de chômage temporaire « Corona ».

Intérêt de la décision

La précision apportée par le tribunal dans ce jugement est importante, les juridictions n’ayant à notre sens pas encore eu à statuer sur l’interprétation de cette disposition spécifique.

La logique du système implique l’exercice de l’activité accessoire avant la première période de chômage, une interprétation différente ne pouvant qu’aboutir à un traitement différencié des situations visées.

Comme souligné dans le jugement, « bien malin (…) celui qui, au cours des deux dernières années de crise sanitaire, pouvait prévoir si son activité allait ou non, au cours des trois mois suivants, faire l’objet d’une fermeture ou de restrictions importantes ! » (6e feuillet).

Par ailleurs, de la même manière que l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 vise l’exercice de l’activité accessoire au moins pendant trois mois lorsque le chômeur était occupé comme travailleur salarié avant sa demande d’allocations, la dérogation introduite par l’arrêté royal du 22 juin 2020 exige que l’activité accessoire ait déjà été exercée dans le courant des trois mois, calculés de date à date, qui précèdent le premier jour où il a été mis en chômage temporaire « Corona ».

Ce serait ajouter au texte que d’exiger que la disposition renvoie à la première mise en chômage temporaire, alors que, à ce moment, le travailleur n’a pas exercé d’activité accessoire et n’est dès lors pas visé par les conditions de celle-ci et de son cumul avec les allocations.

Précisons enfin que, dans un jugement du 16 juin 2022 (Trib. trav. Liège, div. Liège, 16 juin 2022, R.G. 21/2.542/A), le même tribunal (autrement composé) a conclu de même, précisant que le législateur n’a pas voulu, lorsqu’il a pris l’arrêté royal spécial « COVID-19 », figer la situation à l’époque de mars 2020 et qu’au contraire, il a tout fait pour essayer de s’adapter à la situation au jour le jour, faisant valoir la prise d’un second arrêté royal du 22 décembre 2020, qui a élargi et prolongé les mesures prises en matière de chômage dans le cadre de la lutte contre la propagation du COVID-19. Pour le tribunal, il est évident qu’en élargissant la période couverte par la modification de l’article 48, le but n’était pas d’élargir la période de référence mais celle où les conditions étaient simplifiées.


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