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Licenciement en cas de désorganisation consécutive à l’état de santé du travailleur

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 13 juin 2022, R.G. 21/49/A

Mis en ligne le mardi 10 janvier 2023


Dans un jugement du 13 juin 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Huy) aborde une problématique récurrente en cas de licenciement intervenant dans un contexte d’absences du travailleur pour raisons médicales et fait la distinction entre le licenciement dû à l’état de santé lui-même et celui causé par la désorganisation du travail consécutive aux absences.

Les faits

Une employée d’une grande surface du secteur de la distribution preste depuis juin 2011 en tant que caissière et réassortisseuse, étant également chargée de l’entretien du magasin. Divers avenants au contrat de travail ont été signés, destinés à modifier la durée de travail hebdomadaire, l’intéressée restant tout le temps à temps partiel.

Elle est victime d’un accident du travail le 8 septembre 2020, alors qu’elle était occupée à mettre des viandes en rayon. Cet accident a entraîné une incapacité de travail. Dix jours plus tard, soit le 18 septembre 2020, la société l’a licenciée moyennant une indemnité compensatoire de préavis de trois mois et vingt-et-une semaines de rémunération. Le motif du licenciement figurant sur le formulaire C4 est qu’elle ne conviendrait plus à l’évolution de la fonction.

Ayant demandé à connaître les motifs du licenciement, conformément à la procédure organisée par la C.C.T. n° 109, l’intéressée reçoit un courrier recommandé, qui précise les motifs comme étant (i) un taux d’absences pour maladie très élevé, ce qui « met à mal trop régulièrement l’équilibre de la filiale », (ii) des soucis relationnels avec la clientèle (désobligeance et grossièreté), (iii) des soucis relationnels avec les collègues, ragots, tentative de créer la zizanie et (iv) manque d’implication dans le travail (lenteur, bavardages, etc.).

L’intéressée introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Huy) par requête déposée le 9 février 2021.

Elle demande condamnation de son ex-employeur au paiement de l’amende civile prévue à la C.C.T. n° 109 et, toujours dans le cadre de cette réglementation, une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Elle estime également le licenciement discriminatoire et sollicite le paiement de l’indemnité légale de six mois de rémunération. Elle réclame également des dommages et intérêts pour licenciement abusif.

En cours d’instance, l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable est postulée à titre subsidiaire au cas où l’indemnité pour licenciement discriminatoire ne serait pas allouée. Les autres postes sont maintenus. Des montants définitifs sont précisés dans des conclusions additionnelles et de synthèse.

La position des parties devant le tribunal

Pour la demanderesse, elle était toujours en incapacité de travail à la suite de l’accident du travail lorsqu’elle a été licenciée. Ceci constitue des indices graves, précis et concordants de l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé actuel ou futur et la société n’apporte aucun élément de nature à démontrer l’inexistence de toute discrimination. Sur la désorganisation, elle estime que celle-ci n’est pas établie et que les motifs d’incompétence sont à ce point antérieurs au licenciement qu’ils sont sans lien avec celui-ci.

Pour la société, par contre, l’intéressée n’a pas été licenciée en raison de son état de santé mais vu ses absences et la désorganisation du travail consécutive à celles-ci, ainsi que son comportement. Elle plaide également que la désorganisation a été accrue par la crise sanitaire.

Chaque partie dépose des attestations, confirmant sa thèse.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend, en début d’analyse de la situation, les principes guidant l’indemnisation en cas de discrimination (directe ou indirecte) en raison de l’état de santé actuel ou futur, étant les dispositions de l’article 7 (discrimination directe) et de l’article 9 (discrimination indirecte) de la loi du 10 mai 2007. Il expose également les règles en matière de preuve et d’indemnisation.

Il considère la chronologie (accident du travail – licenciement) interpellante. L’employeur justifiant le licenciement notamment en raison de l’absentéisme de l’employée, qui met régulièrement à mal l’équilibre de la filiale, il y a pour le tribunal des éléments qui permettent de présumer l’existence de la discrimination. Il appartient dès lors à la société de renverser la présomption, c’est-à-dire de prouver que le licenciement n’est pas intervenu en raison de l’état de santé ou qu’il était objectivement justifié par un but légitime, les moyens de réaliser celui-ci étant appropriés et nécessaires. Si, en effet, est discriminatoire le licenciement uniquement justifié par l’incapacité de travail, il n’en va pas de même s’il s’agit de répondre à un but légitime, étant de résoudre les problèmes de désorganisation sans qu’aucune autre mesure ne soit plus appropriée.

Le but légitime avancé par la société est de répondre aux besoins de sa filiale. Il s’agirait, à l’appui de la demande de celle-ci, d’un alourdissement de la charge de travail pour les collègues, d’une répercussion sur leur moral et d’une perturbation du fonctionnement de la filiale.

Tout en rappelant qu’une incapacité de travail participe des impondérables qui en soi augmentent la charge de travail et déstabilisent le travail et les habitudes du personnel (11e feuillet), le tribunal constate qu’il n’est pas établi concrètement comment les absences en cause ont désorganisé le magasin. Aussi, suivre la position de la société impliquerait-il d’avaliser le licenciement d’un travailleur en incapacité.

En ce qui concerne les autres griefs, ils ne sont pas retenus, vu d’une part l’ancienneté pour ce qui est d’avertissements (antérieurs au licenciement de huit à cinq ans) et d’autre part l’absence de précision d’attestations faisant état de plaintes de collègues et de clients.

Le tribunal fait dès lors droit à la demande.

Pour ce qui est de l’amende civile, l’employeur a répondu, donnant les motifs, mais la demanderesse estime que ceux-ci ne répondent pas aux exigences de la C.C.T. n° 109. Pour le tribunal, ce chef de demande n’est pas fondé, dans la mesure où la demanderesse a pu, à la lecture de la lettre, dire si elle admettait ou contestait le fait d’avoir été souvent malade et d’avoir perturbé le travail et, de même, pour les autres griefs.

L’intéressée est également déboutée de sa demande d’abus de droit, fondée sur la base du droit commun, aucune des conditions de l’article 1382 du Code civil n’étant remplie.

Le tribunal examine encore d’autres points plus factuels (calcul de l’indemnité compensatoire de préavis et documents sociaux), non repris ici.

Intérêt de la décision

Ce cas tout à fait particulier de licenciement donne lieu, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, à une jurisprudence intéressante. La distinction y est faite, pour ce qui est du motif réel du licenciement, entre l’incapacité de travail elle-même (étant le motif de l’état de santé, protégé par la loi) et des nécessités de fonctionnement de l’entreprise, s’agissant des effets de l’incapacité de travail sur l’organisation de celle-ci. Ce renvoi indirect est celui existant déjà dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, actuellement abrogé. Est ainsi admis un licenciement qui intervient pour un motif de désorganisation de l’entreprise, et non pour un motif de santé. A la base de la décision de rupture, se trouve dès lors l’absence elle-même (peu importe son origine, pourvu qu’elle soit justifiée), comprise comme étant à la source d’un problème de fonctionnement.

L’appréciation de la désorganisation suppose cependant le respect de deux prémisses. La première a été rappelée dans le jugement du Tribunal du travail de Liège commenté, étant qu’une incapacité de travail participe des impondérables qui en soi augmentent la charge de travail et déstabilisent le travail et habitudes du personnel (11e feuillet), l’incapacité de travail étant par ailleurs appréhendée par le législateur comme une cause de suspension du contrat et non de rupture.

L’existence d’une incapacité va dès lors nécessairement – sauf à supposer que la fonction du travailleur absent pouvait sans dommage ne pas être exercée – exiger de l’employeur de prendre, dans le cadre de ses prérogatives d’organisation et de gestion de l’entreprise, des mesures destinées à la pallier. Ce n’est dès lors pas ici que se trouve la désorganisation exigée. Il appartient – et le tribunal a insisté sur cette deuxième prémisse également – à l’employeur d’établir les éléments qu’il invoque à l’appui de la désorganisation, s’agissant d’éléments de fait dûment avérés.

En application de l’article 28, § 1er, de la loi, dès que la partie a démontré l’existence de « faits » permettant de justifier la possibilité d’une discrimination, il incombe à l’employeur de prouver que celle-ci n’existe pas. Il s’agit ici de rapporter la preuve conformé aux exigences du droit civil, telles qu’actuellement reprises dans le Livre VIII du Code civil.

L’on notera, sur le degré de preuve exigé, que la règle générale est la preuve certaine, celle-ci étant définie (article 8.5.) comme devant être rapportée avec un degré raisonnable de certitude. Si la preuve par vraisemblance est admise à l’article 8.6., une section particulière est consacrée aux présomptions légales. Les effets de celles-ci sont définis expressément dans la disposition, étant que la présomption légale qu’une loi attache à certains actes juridiques ou faits modifie l’objet de la preuve ou, le cas échéant, dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve. Cette présomption peut être renversée sauf si la loi en dispose autrement, si elle entraîne la nullité d’un acte juridique, ou encore si elle entraîne l’irrecevabilité d’une action. La règle est dès lors que la présomption légale est réfragable. Si l’objet de la preuve est modifié, rappelons qu’il ne s’agit pas, dans le cadre de la preuve à rapporter par l’employeur au sens de la loi du 10 mai 2007, d’un fait négatif. Il s’agit, au contraire, d’apporter la preuve certaine de l’existence d’un autre motif que le critère protégé par la loi. Ne peut dès lors être admise, dans ce mécanisme, la preuve par vraisemblance de l’article 8.6.


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