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Licenciement discriminatoire et manifestement déraisonnable : cumul des indemnités

Commentaire de C. trav. Mons, 23 septembre 2022, R.G. 2021/AM/102

Mis en ligne le mardi 31 janvier 2023


Cour du travail de Mons, 23 septembre 2022, R.G. 2021/AM/102

Terra Laboris

Par arrêt du 23 septembre 2022, la Cour du travail de Mons rappelle que les indemnités prévues par la loi du 10 mai 2007 et par la C.C.T. n° 109 sont cumulables et qu’un abus de droit dans un licenciement peut également être recherché, mais à la condition d’établir que la faute de l’employeur ne concerne pas les motifs du licenciement mais qu’elle a trait, par exemple, aux circonstances de celui-ci.

Les faits

Une société de la région de Charleroi s’occupe d’organiser des événements autour d’un simulateur de chute libre, ceci étant également une attraction touristique. Il s’agit d’une P.M.E. d’une quinzaine de travailleurs. Celle-ci avait engagé en 2015 une étudiante pour deux mois et demi et a conclu l’année suivante avec elle un contrat d’ouvrière à durée indéterminée pour une occupation en cuisine et du bar. Les relations de travail ont évolué, un contrat d’employée à temps partiel étant conclu en janvier 2017 (réceptionniste, tâches d’accueil, de réservation, etc.). Parallèlement, la travailleuse maintint un mi-temps en tant qu’ouvrière. Elle devint, ultérieurement, occupée à temps plein, chargée de la gestion des événements (contacts avec les clients, traiteurs, groupes, etc.).

Elle suivit une formation pour devenir instructeur, en mars 2018. Elle fut victime d’un accident du travail lors d’un exercice dans le cadre de cette formation. Elle a consulté le 1er avril 2018 et indique avoir informé sa hiérarchie de l’accident après le rendez-vous médical. Elle a néanmoins continué à travailler toute la semaine et a été déclarée en incapacité de travail à partir du samedi suivant. Elle a également, malgré son incapacité, effectué des travaux depuis son domicile.

Elle a ensuite remis seize certificats médicaux pour une période de dix mois. Entre-temps, elle avait été autorisée par son médecin-traitant à reprendre ses activités professionnelles en travail adapté (reprise à mi-temps ou reprise sans port de charges lourdes). L’employeur a refusé la reprise dans les conditions proposées.

En janvier 2019, le médecin-traitant de l’intéressée a autorisé une reprise à 100%. Informé, l’employeur lui a signalé qu’elle avait rendez-vous auprès du médecin du travail quelques jours plus tard. Entre-temps, à l’initiative de la direction, une rencontre a eu lieu et un courrier de rupture de contrat avec effet immédiat moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis lui a été remis. Le motif du licenciement est « réorganisation ».

Le conseil de l’intéressée contesta la régularité du licenciement et adressa une mise en demeure de paiement de sommes. L’employeur fit alors valoir qu’il n’avait jamais été avisé d’un accident du travail.

Suite à la persistance de la contestation entre les parties, une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), qui, par jugement du 5 janvier 2021, condamna la société au paiement d’une indemnité pour licenciement discriminatoire au sens de la loi du 10 mai 2007, ainsi qu’à un montant de 2.000 euros bruts à titre provisionnel pour le dommage subi en raison de la déclaration tardive de l’accident du travail. Les autres demandes furent rejetées.

La société interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine les demandes originaires de l’employée, étant, en premier lieu, celle relative au caractère discriminatoire du licenciement. Elle acte les arguments des parties et reprend les principes du droit de l’interdiction de discrimination. Le débat concerne la notion d’« état de santé actuel ou futur ». Pour la cour, qui renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 janvier 2019 (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2019, R.G. 2016/AB/320), la notion couvre tous les éléments relatifs à l’état de santé du travailleur au moment de la mesure litigieuse et dans le futur par rapport à ce moment. Elle s’oppose à l’état de santé passé.

Reprenant la position de l’employée sur la question, la cour rappelle qu’un licenciement intervenant dans les jours suivant une reprise de travail suite à une longue maladie peut être considéré comme lié à l’état de santé actuel du travailleur. Une distinction fondée sur l’état de santé passé est visée par la loi du 10 mai 2007 dès lors qu’elle peut être rattachée à des appréhensions de l’employeur quant à l’état de santé actuel ou futur. Ainsi, un licenciement motivé par des absences médicales passées du travailleur est intrinsèquement lié à des inquiétudes quant à son état de santé actuel ou futur et, partant, aux critères expressément protégés. La cour rappelle également qu’une incapacité de travail faisant suite à un accident du travail relève de celui-ci et que, lorsqu’un licenciement est fondé sur les absences, il est de facto en relation avec l’état de santé actuel (renvoyant à la doctrine de A. MORTIER et M. SIMON, « Licencier en raison des absences médicales passées : une discrimination ? », J.T.T., 2018, pp. 84 et s.).

En l’espèce, la limitation constatée présentait un caractère temporaire mais durable, s’étant prolongée durant près de dix mois. La chronologie des faits autour du licenciement démontre que la société ne souhaitait pas que l’employée poursuive sa collaboration professionnelle, de telle sorte que le licenciement est directement lié à l’incapacité de travail et à l’état de santé. La cour considère que l’intimée démontre de manière effective que son état de santé a justifié un traitement différencié à son égard. La société a poursuivi vis-à-vis d’elle une politique de gestion du personnel de nature à l’exclure en raison de son état de santé actuel ou futur, alors même qu’elle reste en défaut de démontrer que l’absence au travail aurait engendré des conséquences néfastes sur l’organisation de l’entreprise. L’employeur pourrait produire la preuve que la réorganisation de ses établissements était la mesure appropriée, ceci étant susceptible de constituer la preuve contraire de l’absence de comportement discriminatoire. La preuve que le licenciement était lié aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise n’étant cependant pas apportée, la cour confirme le caractère discriminatoire de celui-ci.

Elle en vient ensuite au caractère manifestement déraisonnable de la mesure, point qui amène le débat sur le cumul avec l’indemnité pour discrimination. La cour conclut à la possibilité de ce cumul, dès lors que l’indemnité forfaitaire prévue à l’article 18 de la loi du 10 mai 2007 a une cause juridique distincte de l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Ce cumul ayant été refusé par le premier juge, le jugement est réformé sur ce point.

Elle examine ensuite si, en l’espèce, l’intéressée a droit à cette indemnité, non sans avoir procédé à un rappel important du mécanisme de la convention collective.

Pour ce qui est du motif visé en l’espèce (réorganisation), motif donné sur le formulaire C4, la cour considère que celui-ci ne répond assurément pas à l’exigence d’un motif concret. Cependant, l’employée n’a pas sollicité par courrier recommandé, dans le délai légal, la communication de celui-ci. Il appartient dès lors à cette dernière, conformément à l’article 10 de la C.C.T., de rapporter la preuve du caractère manifestement déraisonnable du licenciement. La cour constate que la société a remplacé l’employée durant son incapacité de travail et a préféré garder la remplaçante à son service. Elle rappelle qu’un employeur ne peut invoquer comme nécessité de fonctionnement un événement qu’il a lui-même créé, à savoir procéder au remplacement d’une travailleuse en incapacité de travail pour répondre aux nécessités de fonctionnement de son entreprise et tirer argument de cette situation pour s’opposer au retour de la travailleuse une fois sa santé recouvrée en préférant conserver à son service la remplaçante, et ce alors qu’aucun manquement professionnel n’a jamais été reproché à la travailleuse en incapacité de travail.

La cour fait dès lors droit à la demande d’indemnité. Celle-ci est fixée à dix-sept semaines de rémunération, le montant maximal se justifiant par l’absence de motif de licenciement et au vu du passé professionnel irréprochable de l’intéressée.

Elle souligne qu’il n’y a pas lieu de soumettre cette indemnité aux retenues au titre de cotisations de sécurité sociale.

Enfin, sur un chef de demande relatif à des dommages et intérêts en raison du caractère abusif du licenciement – chef de demande rejeté par le tribunal –, elle rappelle les exigences légales sur le plan de la preuve, étant qu’il incombe à la partie qui s’est vu notifier un congé de démontrer un dommage distinct de celui couvert par l’indemnité de rupture, celle-ci étant réputée réparer l’entièreté du dommage, tant matériel que moral, résultant de la rupture du contrat de travail. De tels dommages et intérêts peuvent être réclamés en sus d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, à la condition que la faute invoquée ne concerne pas les motifs du licenciement mais qu’elle ait trait (par exemple) aux circonstances dans lesquelles il a été donné, ces circonstances n’étant pas visées par cette convention collective de travail.

Pour la cour, en voulant garder la remplaçante et en entreprenant de ce fait de licencier l’intéressée, l’employeur a commis une faute. Celle-ci a fait l’objet d’une condamnation spécifique, étant une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, pour lequel, d’ailleurs, elle a bénéficié de l’indemnisation maximale prévue par la C.C.T.

Le chef de demande est rejeté.

Restent encore une question d’indu lié aux paiements effectués à la rupture, ainsi que deux autres chefs de demande très factuels (facture et transaction pénale). Ceux-ci sont purement factuels.

Intérêt de la décision

Cet arrêt très récent contient moult développements en droit quant aux principes applicables en cas de licenciement lié au critère de l’état de santé actuel et futur, critère protégé par la loi du 10 mai 2007. La cour y a rappelé les travaux préparatoires de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination, en ce qu’ils ont introduit la notion d’état de santé actuel ou futur. Un important article de doctrine (A. MORTIER et M. SIMON, « Licencier en raison des absences médicales passées : une discrimination ? », cité) a permis de préciser les hypothèses relatives à l’état de santé passé ainsi qu’à l’état de santé actuel et futur.

Les absences passées ne sont pas couvertes par la loi mais, si tel est le cas pour les absences elles-mêmes, elles peuvent avoir des prolongements dans la situation « actuelle » (à savoir au moment du licenciement) ou « future » (étant postérieure à celui-ci). Les auteurs de cet article de doctrine ont souligné qu’un licenciement motivé par des absences médicales passées peut être intrinsèquement lié à des inquiétudes quant à l’état de santé actuel ou futur et, partant, aux critères protégés. Il n’y a dès lors pas lieu d’exclure l’existence d’absences passées pour raison médicale de la problématique du caractère éventuellement discriminatoire d’un licenciement motivé par des événements liés à l’état de santé du travailleur.

En l’espèce, la cour a également fait une stricte application des étapes du contrôle judiciaire : dès lors que des faits dûment établis ont permis de présumer l’existence d’une discrimination, il appartient à l’employeur de renverser la présomption légale, c’est-à-dire d’établir que le motif est autre. Parmi les motifs, figurent les nécessités de fonctionnement de l’entreprise et c’est celles-ci qui ont été visées (exclusivement) par l’employeur. Invoquant une réorganisation, l’employeur était dès lors tenu (i) d’établir la réalité de celle-ci et (ii) de prouver que cette réorganisation avait un but légitime, qu’elle était nécessaire et que les moyens utilisés pour atteindre l’objectif étaient proportionnés.

En l’occurrence, c’est la décision de l’employeur d’écarter la travailleuse sous contrat à durée indéterminée afin de maintenir en fonction sa remplaçante qui a été retenue comme le motif présidant à la décision de licencier. La cour a rappelé ici un principe souvent développé dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, étant que l’employeur ne peut créer lui-même un événement (en l’espèce le remplacement de la travailleuse en incapacité de travail) pour tirer argument de cette situation dans le but de s’opposer au retour de la travailleuse une fois celle-ci guérie. Ne constitue dès lors pas une nécessité de fonctionnement de l’entreprise le remplacement de la travailleuse malade et la volonté de l’employeur de maintenir la remplaçante en poste au retour de la travailleuse remplacée, ceci, bien évidemment, dans l’hypothèse (rencontrée en l’espèce) de l’absence de manquements professionnels.


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